Cher(e) toi,
Tiens, aujourd'hui on va se faire du bien. On va s'autoriser un truc qu'on aime bien faire mais on nous a toujours dit que c'était mal. On va arrêter de culpabiliser et on va tous crier en coeur :
"Tout ça c'est la faute des auuuuutres !" Ça fait du bien non ? Mais tu vas voir, j'ai mieux : c'est prouvé par la science.
❤️
Avant de commencer, si tu ne me connais pas, je me présente : je suis Benoît Raphaël, co-fondateur de Flint. Et un dimanche sur deux, je réfléchis avec toi sur la façon dont nous pouvons parvenir à penser par nous-mêmes dans le chaos de l'info. Dans cette édition nous parlerons : de la raison pour laquelle nous passons autant de temps à nous comparer aux autres sur les réseaux sociaux (première partie d'une série en deux épisodes !), de super outils d'intelligence artificielle pour nous aider dans nos lectures et notre travail, de notre capacité à ne voir que le mauvais côté de l'information, et de, hum, comment aider Flint à poursuivre sa mission. ❤️Je ne sais pas si tu as remarqué, mais nous passons en moyenne six heures devant un écran, dont la moitié sur Internet. En moyenne,
c'est 2h30 pour les Français. Dont
plus de la moitié sur les réseaux sociaux.
Durant ces six heures, tu es bombardé d'informations dont une grande partie te laissent un sentiment d'indigestion. On appelle ça la fatigue informationnelle.
Elle touche un Français sur deux. On pense à tort qu'il s'agit d'un trop plein d'informations. Mais en réalité, il s'agit surtout d'un plein normal d'informations qui ne te servent à rien.
Je parle d'informations, pris au sens large, hein. Ça va du mail relou de ton collaborateur à 18h le vendredi qui te demande
"Euh, Dominique, tu peux me forwarder le brief client ASAP ? Merci.", à ces vidéos (énervantes reconnais-le) de tes amis en vacances sur Instagram, en passant par ce reportage sur les Français qui n'en peuvent plus. Ou encore cette petite recherche Google innocente pour savoir si ces petits boutons rouges sur la peau c'est inquiétant ou pas. Et je passe sur le blanchisseur de dents à moitié prix sur Amazon qui, d'un coup, te semble une évidence.
Tu vas sans doute me répondre : rooooh, ça va, oui oui je sais, parfois je regarde des trucs sans intérêt, mais je me soigne. Avec un peu de discipline, je vais réussir à ne consulter que des trucs qui me sont VRAIMENT utiles. Tiens, demain par exemple. Promis. Oui mais sauf que...
Réfléchis.
Est-ce que tu sais ce qui t'est vraiment utile ? De quoi as-tu besoin comme infos pour vivre mieux ou travailler mieux par exemple ? Oui, je sais que la question parait stupide, mais reste avec moi, le sujet mérite d'être déroulé. Tu vas comprendre... Ça pourrait même te surprendre. En tout cas moi ça m'a donné le vertige.
(Histoire de mettre un peu de poésie dans cette petite enquête, j'ai demandé à une Intelligence artificielle de l'illustrer avec des dessins du gentil monstre Totoro) (Et si tu ne connais pas Totoro, voilà une super idée de visionnage de film sous la couette pour ce dimanche).Comme je te vois sceptique, commençons par un truc simple. Quand tu as soif, tu bois de l'eau n'est-ce pas ? Et quand tu n'as pas soif, tu ne bois pas d'eau. Bien.
Mais à part boire de l’eau quand tu as soif, sais-tu vraiment de quoi tu as réellement besoin dans la vie ? D’un point de vue un peu plus existentiel par exemple ? Tu n'obtiendras pas la même réponse selon que tu est disons, un moine bouddhiste, un adolescent en pleine découverte des joies et des déceptions émanant de la vraie vie, ou un adulte qui lui est en plein dedans et tente désespérément de réussir sa vie avant de faire son premier burnout (et de se tourner, au choix, vers le boudhisme, les antidépresseurs ou le, hum, snorkling peut-être) (je parle du snorkling parce que j'ai essayé à plusieurs reprises histoire de vivre l'instant présent tu vois, sauf que moi j'ai complètement paniqué).
Pour savoir ce dont il a besoin, l’être humain a inventé une technique étonnante : il regarde ce que fait son voisin.
Pourquoi fait-on cela ? Parce que, ont découvert les chercheurs qui s’intéressaient au sujet, le mimétisme comportemental est un facteur essentiel de l’apprentissage. Le bébé mime les gestes ou les grimaces de ses parents pour apprendre les émotions ou à faire des trucs importants comme marcher par exemple, ou ne pas mettre sa cuillère dans le nez au lieu de la bouche. Cette théorie développée par l’anthropologue René Girard dans les années 90 a été confirmée par les travaux de chercheurs en psychologie généticienne et en neurosciences qui ont mis en avant le rôle des “neurones miroirs” :
“D'après leurs recherche, dès les premiers instants suivant la naissance, ces neurones qui font un lien entre les parties du corps des êtres observés par le nouveau-né à ses propres organes, sont le facteur essentiel de l'apprentissage”.
En poussant la réflexion, ce mécanisme d’imitation permet aussi de générer des émotions partagées, voire des hallucinations collectives. Il est surtout ce qui te pousse à regarder ce que fait ton voisin afin de savoir si tu as réussi ou pas dans la vie. Je passe sur le fait que ton voisin fait exactement la même chose que toi, afin de t'éviter de sombrer dans un trou noir existentiel du genre : oui mais alors si mon voisin m’imite pour trouver un sens à sa vie et que je fais la même chose, où est le sens de la vie ? Hein ? Passons.
Ce phénomène d’évaluation sociale a été rendu populaire entre 1913 et 1940, par un dessinateur de presse new-yorkais, Arthur R Pop. Son “comic strip” s’appelait “Keeping Up With the Joneses”. Littéralement, en français : suivre les traces des Jones. La bande dessinée mettait en scène la famille McGinis, qui s'élevait dans la société en s'efforçant de " suivre " ses voisins, les Jones. Les Jones étaient des personnages invisibles, dont on parlait souvent mais qu'on ne voyait jamais.
D’où l'expression "keeping up with the Joneses".
Avec l’arrivée d’Internet, ces chers voisins invisibles sont devenus beaucoup plus envahissants. Avec plus de 3 milliards d’humains publiant quotidiennement leurs aventures et leurs émotions sur les réseaux sociaux, nous sommes désormais encerclés par autant de voisins à imiter. Ce qui rend la tâche de notre cerveau beaucoup plus compliquée.
L’expression “keeping up with the Jones” aurait pu être remplacée par “Keeping up with the Internet” ou, plutôt : “Keeping Up With The Kardashian”. Si vous avez passé les années 2010 dans une grotte, la famille Kardashian est cette tribu américaine qui a influencé la planète entière en publiant à peu près tout ce qui lui passait par la tête sur les réseaux sociaux (avec une proportion considérable de photos en petite tenue).
Mais c’est finalement une expression un peu plus sérieuse qui a été popularisée : le FOMO. C’est l’acronyme de “Fear Of Missing Out”. En français, ça donnerait “la Peur De Rater Quelque Chose”, soit PDRQC, qui est beaucoup moins facile à prononcer.
Le terme a été inventé en 2004 par l’auteur et investisseur américain Patrick Mc Ginnis, dans un article pour “The Harbus”, le magazine de la Harvard Business School. McGinnis y fait référence à deux FO : le FOMO (la peur de rater quelque chose donc...), et le FOBO (fear of better options) (la peur qu’il existe de meilleures options).
Cette dernière, selon lui, provoque, en plus du stress, de véritables blocages dans la prise de décision.
Le FOMO intervient donc quand tu as peur de rater une opportunité susceptible d’activer notamment l’un de ces fameux leviers fondamentaux qui déterminent ta capacité à survivre : la position sociale (le pouvoir), le sexe, la nourriture, et éviter le danger. A l’époque où nous n’avions que les Jones comme voisins et modèles, c’était plus facile. Mais depuis que Facebook, Instagram et TikTok se sont installés dans leur quartier avec les Kardashian, notre cerveau ne sait plus où donner de la tête si j’ose dire.
Depuis que les Jones existent, notre cerveau est confronté à une double tension cognitive qu’il, s’il n’y prend pas garde, peut l’amener à un état de saturation : d’un côté récolter les informations (auprès de ces voisins invisibles) pour déterminer ce dont nous avons besoin même si nous n’en avons pas besoin (mais qui sait ?), de l’autre pour identifier les infos nécessaires à la satisfaction de ces besoins.
Tension à laquelle il faudrait ajouter une autre nécessité, qui en découle : afin de décompresser, nous sommes aussi incités à chercher d’autres “informations” disons, hum, décompressantes. Le seul objectif des ces infos stupides est de faire baisser notre stress, comme les pandas mignons qui jouent avec un ballon, ou des informations "réconfortantes" qui défilent en masse sur Instagram du genre “
Ne fais pas attention à ce que les autres pensent de toi”. Ou encore “
la procrastination c’est mal". Ou mon préféré "C
omment j’ai retrouvé la liberté en me levant à 5 heures du matin” (j'ai essayé, j'avoue).
L’information détox comme remède à l’information toxique, en quelque sorte. Mais qui reste toujours de l’information encombrante. C’est un peu comme si tu essayais de réduire le bruit d’un bébé qui hurle dans le train en le couvrant avec un bruit relaxant. Par exemple, le bruit de la mer. Ça soulage, mais je ne suis pas sûr que ça résolve le problème du bruit. Ça me rappelle la blague du type qui, stressé par sa mauvaise haleine avant un rendez-vous galant, s’était goinfré de bonbons à la sève de pin. Arrivée au rendez-vous, il ouvre la bouche pour dire bonjour mais la jeune fille lui répond:
“c’est bizarre cette odeur, tu ne sens pas ? C’est comme si quelqu’un avait fait caca derrière un sapin”. Haha. Mais passons.
Toujours est-il est que cette obsession que nous avons de nous comparer aux autres ne nous fait pas que du bien. Si le mimétisme est un levier clé de notre apprentissage, il génère également beaucoup de stress. Or, nous l’avons vu, notre appétit insatiable de l’information est en partie provoqué par le stress. Pourquoi ? Parce que nous essayons de capter un maximum d’’informations pour nous donner le sentiment de contrôler le monde qui nous entoure.
Mais pourquoi sommes-nous autant stressés par l'observation des autres ? Je veux dire, on pourrait juste regarder les autres comme des amis ou des étrangers et continuer tranquillement notre vie sans avoir besoin de vérifier et de mesurer tout ce que font les autres. Surtout si c’est pour ensuite comparer toutes ces informations à notre propre vie.
Cette évaluation permanente du regard des autres peut également, si nous n’y prenons pas garde, nous éloigner de ce dont nous avons réellement besoin.
Qu’est-ce que le stress au fond ? Le stress c’est l’incapacité à décider de ce qui est important, particulièrement lorsque ces choix sont sont incompatibles. Notre cerveau fait ces choix tout le temps.
Le lien entre la consultation des réseaux sociaux et l’augmentation de l’anxiété, voire de la dépression, est discuté depuis longtemps. C’est un sujet compliqué, parce que les réseaux sociaux permettent aussi de découvrir de nouveaux horizons, de se faire connaître, d’exposer sa pensée et de la confronter aux autres, et donc d’apprendre. Mais ils excitent également notre syndrome des Jones. Et donc notre anxiété. Un bon moyen de vérifier ce paradoxe est de regarder ce qu’il se passe lorsque nous décidons de nous discipliner un peu, c’est à dire lorsque nous nous abstenons d’aller regarder ce que notre voisin poste sur les réseaux sociaux.
En 2018, une équipe de chercheurs de l’Université de Pennsylvanie a testé cette méthode auprès de ses étudiants. 143 d’entre-eux ont été assignés au hasard à limiter l'utilisation de Facebook, Instagram et Snapchat à 10 minutes, par plateforme, par jour (soit 30 minutes en tout, ou à utiliser les médias sociaux comme d'habitude pendant trois semaines (
c’est à dire 2h30 en moyenne).
Résultats ? “Le groupe à utilisation limitée a montré des réductions significatives de la solitude et de la dépression sur trois semaines par rapport au groupe de contrôle. Les deux groupes ont montré des diminutions significatives de l'anxiété et de la peur de manquer quelque chose par rapport à la base de référence, ce qui suggère un bénéfice d'une auto-surveillance accrue.” Conclusion des chercheurs : “Nos résultats suggèrent fortement que limiter l'utilisation des médias sociaux à environ 30 minutes par jour peut conduire à une amélioration significative du bien-être”.
Il y a donc un stade où l’effet découverte est remplacé par l’effet déprimant. On peut considérer que passé une certaine limite, il n’y a plus d’informations utiles à absorber et que l’on rentre dans une simple mécanique d’évaluation sociale ou de tentative de calmer son stress (face à une situation angoissante par exemple). Plus d’informations ne signifie pas mieux d’informations.
Ceci posé, pourquoi regarder ce que font les autres nous prend-il autant de temps ? Pourquoi est-ce que ça nous laisse ce sentiment d'insatisfaction ? Et, surtout, pour en revenir à ma question posée plus haut : pourquoi cela nous stresse-t-il ? Parce que, comme nous l’avons vu, nous nous comparons en permanence aux autres. Et pourquoi nous comparons-nous en permanence aux autres au point d'avoir du mal à nous arrêter ? Parce que les autres, hum, nous stressent. Il y a une explication scientifique derrière ce phénomène. C'est ce que je te propose de découvrir dans la prochaine lettre !
Ah le suspense !
(Merci à l'IA de Midjourney pour les illustrations !)