10-09
Flint Production
La Russie, robinet énergétique de l’Europe
Dans sa mission pour t’aider à découvrir de nouvelles sources d’information et de nouvelles voix, Flint a décidé de donner la parole à des experts, dans leur domaine respectif : énergie, environnement, géopolitique, technologie, sociologie. Ces articles sont une mise en page de threads, des séries de tweets publiés sur Twitter. Nous avons sélectionné ces textes pour l’éclairage précis et parfois méconnu qu’ils apportent sur des problématiques d’actualité.
💡 Pourquoi lire cette analyse ? Parce qu’elle apporte une nouvelle perspective aux relations entre Union Européenne et Russie. L’Europe dépend toujours à 70% des énergies fossiles et son premier fournisseur de gaz est le géant russe.
✍️ L’auteur : @laydgeur est un habitué des threads fouillés sur les questions énergétiques. Il détaille ici les enjeux géopolitiques et environnementaux que recouvre l’approvisionnement européen en gaz.
Retrouvez ce fil sur Twitter au bout de ce lien ou découvrez-le ci-dessous sous forme d’article.
🔙 Avant tout, un peu de contexte…
– En Europe comme dans le monde, le pétrole est la 1ère énergie utilisée : un tiers de l’approvisionnement total. Le gaz est dans les mêmes proportions (~un quart) mais le charbon est moitié moindre en Europe.
– Donc dans l’Union européenne, plus de 70% de l’énergie utilisée est d’origine fossile, c’est un peu mieux que dans le monde (80%) mais ce n’est pas folichon du tout. Là où ça coince, c’est que les dotations géologiques de l’Europe en énergie fossiles sont très limitées…
🇪🇺 La production d’énergie en Europe
– Les Pays-bas furent à la fin des années 1970 le troisième producteur mondial de gaz après les Etats-Unis et l’URSS. Ce classement n’a pas duré mais leur production est restée stable grâce au développement de l’offshore, et s’est complètement effondrée depuis 2014.
– Le Royaume-Uni a été un producteur important de pétrole et de gaz grâce aux gisements de la mer du nord, mais a passé son pic de production de pétrole en 1999 et de gaz en 2000 (et son pic de charbon en 1913).
– Même avec cette baisse de 40% par rapport à son maximum, le Royaume-Uni produit encore actuellement deux fois plus de pétrole que les 27 pays de l’Union Européenne réunis…! C’est dire la pauvreté de nos réserves…
– La Norvège ne fait pas partie de l’Union Européenne mais est un gros producteur d’hydrocarbures (là aussi grâce à la mer du Nord). Elle a passé son pic de pétrole en 2000, et le gaz est en baisse depuis 3 années de suite, ce qui n’était jamais arrivé avant.
– L’Allemagne et la Pologne possèdent à eux deux 70% des réserves de charbon restantes en Union Européenne (soit 6% des réserves mondiales), mais leur production est en baisse constante depuis plus de 30 ans.
– La conclusion de ce tour d’horizon, c’est que l’Union Européenne est extrêmement dépendante des importations étrangères d’énergies fossiles : 95% pour le pétrole, 85% pour le gaz, et 45% pour le charbon (dont 70% pour l’anthracite qui est un charbon de meilleure qualité).
– Et surtout, il faut regarder l’évolution de ces chiffres : sur les 30 dernières années, hormis le pétrole déjà à un niveau très élevé, la dépendance aux importations n’a fait qu’augmenter, entre +25% et +40%, malgré une consommation énergétique quasi constante…! Mais auprès de quel pays l’Union européenne importe ses énergies fossiles ? La Russie. Voici pourquoi.
🇷🇺 La Russie, un territoire riche en réserves
– La Russie est le plus grand pays de la planète, et en règle générale, plus un pays est grand et plus il a de ressources sur son territoire. C’est tout à fait le cas ici :
* 1ères réserves de gaz (20% du total mondial)
* 2èmes réserves de charbon (15%) après les USA
* 6èmes réserves de pétrole (6%)
– Des réserves absolument considérables, que même la consommation domestique des ménages russes ne peut pas absorber dans sa totalité. Voici pourquoi la Russie est une puissance qui exporte :
* 2ème exportateur de brut (12%) après l’Arabie Saoudite, et 2ème exportateur de produits pétroliers raffinés (10%) après les USA
* 1er exportateur de gaz (25%)
* 3ème exportateur de charbon (18%) après l’Australie et l’Indonésie
– Et de par sa proximité avec l’UE, la Russie est évidemment l’un de ses premiers fournisseurs :
*en pétrole brut (27% des imports)
*en charbon (presque la moitié du total des imports)
*en gaz (40% des imports). C’est sur cette ressource que nous allons nous pencher.
🚚 Comment s’achemine cette ressource ?
– Le gaz est importé en Europe à environ 30% via des navires méthaniers (gaz liquéfié) et tout le reste via des pipelines. Pour ces pipelines en provenance de Russie, il y a quatre principaux pays d’arrivée dans l’UE : l’Allemagne (un tiers du total), la Slovaquie (22%), la Pologne (15%) et la Roumanie (12%).
– C’est assez peu connu, mais tout comme il y a un réseau européen pour l’électricité, il y a aussi un immense réseau de transport de gaz européen, avec de gros échanges frontaliers entre tous les pays. Et par ce système de distribution, la Russie est donc assez logiquement le 2ème fournisseur de gaz de la France, avec 20% du total.
– Un pipeline coûte très cher à construire, mais une fois en place, sa capacité d’approvisionnement est imbattable, et est faite pour durer des décennies. Le gaz russe va continuer à arriver, en France et en Europe, par centaines de milliards de mètres cubes.
– Voilà pourquoi Vladimir Poutine peut se réjouir que “la consommation de gaz des pays d’Europe du sud augmente” et espérer “que ça continuera dans les prochaines années”.
💨 À quoi sert tout ce gaz ?
– Le gaz peut avoir de nombreuses utilités, à différentes échelles : production d’électricité, chauffage des logements, des commerces et des bureaux, source de chaleur pour l’industrie. Ces secteurs représentent 90% des usages du gaz dans l’Union Européenne.
– En France par exemple, le gaz est la première énergie de chauffage des logements.
🏭 Peut-on se passer de gaz ?
– Dans le plan Énergie 2050 de la commission européenne, il est énoncé que “le gaz joue un rôle clé dans la transition énergétique” pour remplacer le charbon dans la production électrique, et pour le chauffage résidentiel (où il peut être pertinent si l’électricité est trop carbonée).
– Peu de possibilités existent pour se passer du charbon. Même si l’essor de l’éolien et du solaire est massif, ces deux énergies ne sont pas sans défauts. De plus, certains pays veulent sortir du nucléaire, il n’y a donc pas vraiment le choix : il faut du gaz.
👀 Comment se comportent nos voisins ?
– En Allemagne, tous les scénarios du Fraunhofer ISE prévoient la construction de plus de 100 GW de centrales à gaz dans les 30 prochaines années, soit l’équivalent de tout le parc électrique français actuel… mais au gaz !
– Au 1er semestre 2021 et pour la toute première fois, la première énergie consommée outre-Rhin était le gaz, à cause d’une météo froide et de vents faibles qui ont augmenté la consommation de gaz pour le chauffage et les centrales électriques.
– Un pays qui a très bien réussi à se passer du charbon est le Royaume-Uni, grâce à la mise en place d’une taxe carbone plancher sur la production électrique. Ils ont quasiment arrêté le charbon en seulement quelques années.
– Mais pour beaucoup de pays, l’équation est très compliquée : pour le climat, il faut arrêter le charbon au plus vite, mais cela veut aussi dire faire une croix sur ses ressources énergétiques domestiques, et augmenter sa dépendance à la Russie…
– Ajoutez à ça que le gaz n’est acceptable uniquement car il permet de se passer rapidement du charbon, mais il n’est pas viable à long terme pour le climat (ça reste une énergie fossile très carbonée). Dans le même temps, les infrastructures gazières sont prévues pour durer des décennies, et ont bien l’intention de fonctionner le plus longtemps possible pour rentabiliser leurs investissements.
🇫🇷 Et la France dans tout ça ?
– La loi française interdit la construction de nouvelles centrales électriques au gaz (une fois celle de Landivisiau achevée), mais l’exploitation de celles déjà en place (12 GW) va pouvoir continuer pendant des décennies pour la raison qu’elles sont récentes.
– Selon la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), “[le gaz émet moins de CO2 que le charbon] cela explique qu’il n’y a pas de mesures particulières pour la réduction du gaz naturel”. De plus, “la demande de cette énergie devrait être réduite du fait des mesures de maîtrise de la demande, notamment dans le bâtiment” et “il n’y a pas de mesures de maîtrise de l’énergie directement ciblée sur le vecteur gaz.”
– Le rapport renseigne également sur l’approvisionnement en gaz de la France : “L’approvisionnement de la France a connu ces dernières années une concentration sur la Norvège et la Russie, ces deux pays représentant aujourd’hui près de 70 % des importations, contre environ 50 % au début de la décennie.”
– Et sur les prévisions de la production : “La Norvège, devrait connaître un plateau de production entre 2020 et 2030. Le déclin de la production européenne […], devrait s’accélérer. Cette baisse de la part des producteurs européens pourrait être compensée par une augmentation des importations de gaz russe ou de GNL.”
Cet exposé donne, je l’espère, une bonne vision de la situation de l’approvisionnement énergétique de l’Europe, et notamment sa dépendance vis-à-vis de la Russie. Ceci devrait aussi permettre de mieux appréhender et éclairer les discussions géopolitiques actuelles, notamment à propos du pipeline sous-marin reliant la Russie à l’Allemagne : Nordstream 2.
Pour compléter ou corriger cet article et apporter vos sources, 📝 rendez-vous sur sa version participative ou venez 💬 en discuter avec nous sur Discord.