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Tout ce que tu ne voulais pas savoir sur ton cerveau mais qu’il faut que tu saches même si c’est flippant – Flint Dimanche 57

Tout ce que tu ne voulais pas savoir sur ton cerveau mais qu’il faut que tu saches même si c’est flippant – Flint Dimanche 57

Tu l’as sentie la vague de froid ? C’est un peu comme si on nous avait volé notre printemps pour nous remettre un bout d’hiver. Moi j’appelle ça une vague scélérate. Tu sais ce que c’est une vague scélérate ? C’est une vague qui arrive par derrière, en général (enfin je l’imagine toujours venir par derrière mais je ne suis pas hyper sûr de la valeur scientifique de cette idée) mais sans prévenir. Tu vois, il fait beau, la mer est calme, et d’un coup la vague arrive. En général elle détruit ton bateau. Je ne sais pas toi, mais la vague scélérate du froid, avec ses petits vents agaçants, elle m’a mis de beaucoup moins bonne humeur. Mais ça va passer. C’est une phrase qu’on dit souvent, ça, depuis un an : ça va paaaaaaasser.

Bon, je ne voulais pas du tout te parler de ça en fait, désolé. Mais il fallait que ça sorte. Et peut-être que pour toi aussi. Bref. Maintenant ça va mieux. Ce dimanche, je vais te faire des révélations. Sur toi. Enfin, presque toi, je vais te parler de ton cerveau qui là, en cet instant même, tandis que toi tu lis cette lettre, est aussi en train de lire la lettre. Sauf que, sans que tu en aies conscience, il fait des trucs trèèèèès bizarres tandis que tu me lis tranquille en lisant ton café.

Tiens, par exemple, je vais te mettre une photo de cerveau, juste là.

Bon, tu le vois le cerveau par IRM ? Tu ne sens rien de bizarre ? C’est normal, le cerveau est scélérat, comme la vague. Pendant que tu es en train de lire ce mots en essayant de savoir où je veux bien vouloir en venir avec cette introduction super longue, ton cerveau est en train d’installer tranquillement en toi l’idée que ce que je vais écrire est complètement fiable scientifiquement.

Par contre, si je mets un histogramme à la place, par exemple celui-là qui a l’air super sérieux…

… eh bien ton cerveau va considérer que ma lettre est moins fiable scientifiquement.

Voilà. Bonne journée. Cordialement.

Bon, je continue. Pour être plus précis, cette conclusion surprenante est le résultat d’une expérience scientifique démontrant que ton cerveau est parfois aussi opaque et stupide qu’un algorithme de Facebook. Tu vas voir, tu n’en es qu’au début de tes surprises.

« En 2008, McCabe et Castel ont mené (des) expériences étudiant l’impact de différents types de supports visuels accompagnant une série de textes de vulgarisation portant sur les neurosciences cognitives. L’idée sous-jacente à cette étude était de montrer l’existence d’un biais chez les lecteurs en faveur d’images de cerveau par rapport aux autres types de supports pouvant accompagner les articles de presse. »

« Les auteurs ont rédigé une série de textes de vulgarisation scientifique, présentant des résultats fictifs mais néanmoins crédibles. Ensuite, chaque participant évaluait ainsi 3 textes : un accompagné d’une image de cerveau, un accompagné d’un graphique de type histogramme, et un pour lequel aucune image n’était présentée. »

Résultat ?

« Les résultats de l’étude ont montré que les participants étaient davantage en accord avec la déclaration « le raisonnement scientifique dans cet article est correct » lorsque l’article était accompagné d’une image de cerveau, que lorsqu’il était accompagné d’un histogramme ou présenté sans image. Autrement dit, la présence d’une image de cerveau avait tendance à convaincre les participants de la validité scientifique de l’argumentation déployée dans l’article, alors même que cette image n’apportait rien au raisonnement en lui-même. »

Ce constat est un peu flippant, je le reconnais, mais il va t’être très utile par exemple le jour où te retrouveras face à ton cousin (au hasard aujourd’hui pour le déjeuner de Pâques si toi aussi tu as pris ta voiture en ce week-end de nouveau « confinement qui n’est pas un confinement » pour t’enfuir à la campagne retrouver ta famille). Ton cousin t’explique par exemple que tout ça, les morts liées à la Covid, c’est des conneries, qu’on nous cache tout on nous dit rien, ou que les vaccins on s’en fout. Et toi tu n’as pas forcément toutes les infos pour répondre parce que ton cousin te sort des tas de données que tu ne connaissais pas, et c’est bien normal parce qu’avec le nombre de trucs vrais et faux qui ont été écrits sur la crise sanitaire il est impossible de tout retenir et de tout trier. Du coup tu traites ton cousin de complotiste mais tu es toi-même un peu perdu. Mais maintenant, je vais te donner une parade qui va te soulager. Commence par dire à ton cousin : au lieu de te méfier de l’Etat qui veut nous manipuler, est-ce que tu fais plus confiance à ton cerveau. Là ton cousin va te dire : bah oui ! Moi je pense par moi-même (à cet instant, il devrait aussi rajouter : « et je fais confiance à mon intuition »). Alors tu peux lui raconter l’histoire de l’article avec la photo de cerveau.

Mais il y a plus étonnant encore, ajoutes-tu avec un grand sourire condescendant qui va te faire du bien mais qui va aussitôt provoquer chez ton cousin l’envie de t’écraser son oeuf de Pâques sur le nez. Reste encore un peu…

Cette histoire de la photo de cerveau, je l’ai trouvée, parmi d’autres histoires tout aussi étonnantes, dans un cours en ligne proposé gratuitement par l’Université de Genève : « Exercer son esprit critique à l’ère informationnelle« . Cette formation prépare les étudiants  » à détecter et à contrôler la validité des prétendues théories diffusées largement, en particulier par les réseaux sociaux« . Et a pour « objectif de développer (leur) capacités de vigilance épistémique à l’ère du numérique, qui soient applicables à leur domaine d’étude et également à leur activité de professionnel et de citoyen« . La vigilance épistémique ça veut dire être capable de raisonner par rapport aux connaissances. Donc de penser par soi-même comme dit ton cousin. Eh bien justement.

Je n’en suis qu’à la deuxième semaine, mais je voulais déjà partager avec les deux ou trois trucs que j’ai appris et qui m’on suffisamment déstabilisé pour changer mon regard sur l’information que je consomme.

L’histoire la plus surprenante est celle du fait-divers qui va faire faire à ton cerveau absolument n’importe quoi selon les mensonges qui seront insérés dans l’information alors même que l’on t’a dit ce qui était vrai et faux avant. L’expérience, qui s’appelle « Jugez Etienne », a été menée par l’Université Libre de Bruxelles en psychologie sociale et en linguistique (et publiée en 2018 dans la revue « Social Cognition »).

Dans l’expérience, on écoute une histoire sur Etienne qui a commis un délit. L’histoire est racontée par un homme, qui dit la vérité à propos des faits qui se sont déroulés, mais son récit est entrecoupé de mensonges qui sont dits par une voix de femme. L’expérience a aussi été menée en inversant les voix, mais aussi en changeant les mensonges. Les premiers mensonges étaient là pour atténuer l’acte d’Etienne, les seconds pour les aggraver. Résultat ? Alors même que l’auditeur est prévenu avant d’écouter l’histoire que l’homme dit la vérité et que la femme ment, quand on lui demande à combien d’années de prison il condamnerait Etienne, sa décision change du tout au tout en fonction des mensonges qu’il a entendus. 3 ans si les mensonges étaient ajoutés pour atténuer. 5 ans s’ils étaient au contraire à charge.

Comment est-ce possible ? Eh bien les chercheurs ont découvert que, même lorsque l’on sait que tel ou tel aspect de l’histoire est faux, le cerveau retient inconsciemment l’histoire comme étant vraie. Ce n’est qu’après qu’il doit faire un effort de déconstruction. Tu vois mon cousin ?

Dans ce cours, j’ai enchainé les surprises concernant mon ami le cerveau. J’ai par exemple appris qu’il fonctionnait un peu comme un algorithme. Par exemple les biais : le biais est un mécanisme que ton cerveau met en place pour prendre des décisions sans avoir à trop réfléchir. Parce que, par exemple, si tu devais réfléchir à la réalité de la valeur du billet à chaque fois que tu le donnes au boulanger pour acheter ton pain, ta vie (et celle du boulanger) deviendrait très très compliquée. Donc tu n’y réfléchis pas, ce qui te laisse du temps pour autre chose. Donc à la base c’est pratique. Sauf quand tu dois prendre une décision importante. Les conséquences de ces mécanismes de gros branleur (parce qu’il faut dire les choses comme elles sont, notre cerveau essaie de réfléchir le moins possible sinon il grille ses circuits) sont vertigineuses. Par exemple, son truc à lui, c’est de remplir les trous sans s’en rendre compte. Et il les remplit par rapport à ses connaissances antérieures. Ce qui fait que l’on peut dire que le cerveau reconstitue en permanence la réalité par rapport à ses préjugés. Ainsi, je résume grossièrement, ton cerveau se crée des illusions cognitives : illusions qui sont créées « par une interférence entre ce que nous voyons, qui sont des informations incomplètes ou ambiguës, et la tentative de notre cerveau de leur donner du sens. »

Autre particularité chelou de notre cerveau : la cécité attentionnelle.

(Je suis très fier de ce dessin)

Quand il se concentre sur un truc, ton cerveau ne perçoit pas le reste. En fait il le voit mais il l’oublie aussitôt. Ce qui fait que parfois nous mémorisons des infos dont n’avons pas conscience. Par exemple, si on te fait lire 4 titres de journaux dont deux sont sous forme interrogative, et qu’on te demande ensuite lesquelles avaient un point d’interrogation, tu auras beaucoup de mal à t’en souvenir. Conséquence : tu enregistres inconsciemment ces infos comme étant affirmatives (par exemple « les antennes 5G sont-elles dangereuses ? ») alors même qu’elles ne l’étaient pas.

Il y a plein d’autres biais à découvrir, tous m’ont fait réaliser que mon cerveau était aussi opaque qu’un réseau de neurones en intelligence artificielle. Par exemple le biais d’autorité : un témoin direct d’un événement comme le 11 septembre qui dit que l’attentat est le résultat d’un complot. Il n’a aucun élément scientifique à sa disposition, mais les recherches montrent qu’il sera perçu comme plus crédible alors même qu’il n’y a aucun lien entre son expérience et la réalité scientifique de la théorie qu’il défend.

Et ainsi de suite. Je m’arrête là !

Je voulais te parler du biais d’ancrage, très perturbant lui aussi, mais je n’ai pas le temps. Alors je te mets quand même le dessin rigolo que j’avais fait pour l’occasion et je te laisserai le découvrir dans ce cours d’esprit critique. Ou alors en faisant des recherches sur Internet si tu préfères, hum hum…

Tout ça pour te dire qu’avant d’accuser les robots (comme je l’ai fait ici, huhu) ou les forces impérialistes pour ce qui concerne la qualité de l’information que tu consommes, tu devrais d’abord commencer par te méfier de ton cerveau. Après, tu pourras t’occuper du reste ! Il y a du boulot, non ?

Ce billet est un extrait de la lettre hebdomadaire « Flint Dimanche », qui explore avec toi comment nous pouvons mieux nous informer dans un monde rempli d’algorithmes. Pour la recevoir, abonne-toi à Flint ici. Tu recevras également une sélection de liens personnalisée, envoyée par l’intelligence artificielle de Flint.