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Flint Production

Prenez soin des enfants – Flint Dimanche 56

Prenez soin des enfants – Flint Dimanche 56

Ce matin je me suis levé à 5h mais il était 4h en fait. On ne fait pas toujours attention au temps. Le rossignol sur ma terrasse, lui, il s’en fout, il chante toujours à la même heure, sous les étoiles tombantes, il s’arrête au lever du soleil. On ne fait pas toujours attention au temps, il y a plein de petites et grandes choses auxquelles on ne fait pas attention quand notre cerveau est rempli d’écrans et d’informations.

Tiens par exemple en ce moment on parle beaucoup des écoles, est-ce qu’il faudra les fermer à cause de la pandémie qui s’emballe, tout ça. On se demande si c’est mal, si c’est bien, comment vont le vivre les parents, si c’est mauvais pour l’éducation, et c’est important. Mais dans ce tourbillon de débats un peu stressant, on a oublié les enfants. Alors ce dimanche, si tu devais passer ta journée loin des informations, si tu ne devais lire qu’une seule chose, qu’un seul texte, qui te rappellera ces détails qu’on oublie, et qui n’en sont pas justement… Ce dimanche, je voudrais juste partager avec toi une histoire, on la croirait tirée d’un roman, d’ailleurs son auteur est professeur, mais il est aussi romancier. Cette histoire m’a bouleversé, puis elle m’a fait sourire, tu me diras ce qu’elle t’inspire. Si tu ne devais qu’une seule chose cette semaine, il faut lire l’histoire des enfants de la classe d’Alexis Postschke. Professeur de lettres dans un collège de banlieue. Un collège comme les autres, où les enfants pleurent plus souvent qu’avant.

Il y a un petit Thomas dans ma classe que j’aime bien parce qu’il me rappelle moi à son âge, mais en plus malin tout de même ; qui a la tête en ébullition tout le temps et l’œil vif comme un calot ; quand je pose une question (du genre de celles pour lesquelles on dit : « question compliquée, attention, l’activité, c’est la réflexion »), il crie la réponse puis sursaute, ramène les mains devant la bouche et s’excuse avec un air horrifié et presque plaintif, puis l’instant d’après il sourit de toutes ses dents parce qu’il sait bien que je ne lui en veux jamais plus de deux secondes. Il plaisante souvent, c’est un bon gamin, un bon camarade et sûrement même un bon ami. L’autre fois il m’a dit : « M. Tremblay n’a pas voulu que je change de place ». Moi, j’ai haussé des épaules, bien sûr, que je pensais, avec le protocole. Et puis il a pleuré, longtemps, longtemps, longtemps et silencieusement. C’était venu comme ça. Moi, je n’étais pas bien, j’avais envie de lui donner un chocolat.

Je vais vous dire, moi je trouve qu’ils pleurent beaucoup en ce moment. Le plus impressionnant, c’est qu’on dirait quand ça commence qu’ils pleurent pour un rien, puis on comprend quand ça se prolonge qu’ils pleurent pour un trop. Parce qu’ils se reprennent, tout de même, c’est qu’ils sont grands, à cet âge, on ne pleure plus devant les autres à douze ans mais, vraiment, ça ne s’arrête plus, ça ne peut plus s’arrêter, les esprits se vidangent avec des temporalités aléatoires et plus fréquentes. Alors ils se font violence, copient la leçon, parfois même prennent la parole et participent encore un peu, font comme de si de rien n’était, mais leurs joues continuent de s’inonder, à la fin le cahier est trempé et l’encre est toute délavée sur le joli dessin. C’est dommage.

D’ordinaire, quand un élève pleure, ça n’est justement pas ordinaire, alors certains vous sautent à la gorge et vous réclament le droit d’accompagner le malheureux, la malheureuse hors de la salle pour quelques instants, avec un air qui vous fait comprendre que vous seriez inhumain si vous refusiez aux larmes le droit de couler dans le secret du sombre couloir. D’autres, patauds, malhabiles et parfois même un peu méchants, ricanent, gênés ou moqueurs. Des larmes, normalement, ça perturbe, ça étonne, ça assourdit, ça chamboule ; ça fait rire parfois, ça attriste souvent.

D’abord, la première fois, ça m’a étonné que les malheureux fassent comme si de rien n’était. Ce qui m’a étonné ensuite, et plus fort encore, c’est que les autres ne réagissaient plus. Bien sûr, il y a toujours les amis qui viennent vous taper dans le dos ou vous prendre dans les bras – et alors l’enseignant que je suis est tout désemparé, parce qu’il sait qu’il devrait crier : « protocole ! » mais qu’il songe, aussi, à la santé morale de ses élèves, et qu’il n’a plus envie de priver personne de bras réconfortants. Mais les autres ne réagissent plus. Il n’y a plus ce sursaut de surprise, d’horreur, de gêne qu’on planque dans un rire, non : il n’y a plus rien.

Les enfants se sont habitués à pleurer et à voir pleurer. On avait toujours voulu les voir partageurs, et voilà que ce qu’ils partagent, c’est : le malheur.
C’est dur de faire cours, ces temps-ci, et sûrement dur d’avoir cours, aussi.

Le même petit Thomas m’avait dit que c’était dur aussi de ne plus changer de classe, de place ; qu’ils ne bougeaient déjà plus beaucoup mais que là, ils ne bougeaient plus du tout. Assignés à une place trente heures par semaine ou presque, sans l’ami qu’on retrouve en mathématiques ou l’autre dont on se fait peu à peu un ami en chimie. Il se sentait enfermé. Il étouffait.

L’autre jour, je suis allé acheter des plaquettes d’autocollants et je leur en ai distribué pour qu’ils décorent leur place et s’y sentent un tout petit peu mieux. C’était infime, bien sûr, mais tout commence par l’infime. Je suis passé entre les rangs, dépliant mes petits animaux comme un éventail. « Tu veux un petit animal pour décorer ton étiquette ? », que je leur demandais ; ça n’avait rien à voir avec les leçons très sérieuses des cahiers très propres. Lara a semblé perdre cinq ans d’un coup quand, écarquillant des yeux énormes, elle m’a pointé le dalmatien en disant : « je veux le toutou blanc » ; Delhia a ri un peu, puis a dit qu’elle voulait « la perruche », et elle était fière, elle, d’employer le mot « perruche ». Un peu plus tard, elle avait écrit au correcteur « Coca-Cola » sur sa paillasse parce que c’était le nom m’a-t-elle dit, du coco de son tonton Patoune.

J’ai pris mon temps, le leur aussi et, je vous avoue : je n’ai pas fait cours. J’ai fait du bricolage, du collage, j’ai ramené des albums qui prenaient la poussière dans ma bibliothèque et je les ai donnés aux élèves en disant : « prends ton temps, regarde les images, c’est tout ce qu’on fera aujourd’hui ». Delhia a sorti ses ciseaux pour découper proprement le porc-épic qu’avait choisi Denisa. Le petit Thomas avait encore les yeux rouges. Il a sorti des cartes Pokémon et m’a regardé d’un air timide ; j’ai acquiescé avec un air un peu chat. Il les a étalées sur sa table, en a fait une drôle de réussite absurde, et en a même donné une, à la fin, à Delhia.

Il y avait un bruit discret de vie ; comme s’il ne fallait pas casser le moment, ils en prenaient tous soin.


J’ai dit, presque pour me donner bonne figure, que c’était une heure de lecture silencieuse, et figurez-vous, d’ailleurs, qu’à la fin ils ont tous sorti leurs livres. J’ai mis la Pavane de Fauré, et il y a eu un moment parfait. Mes yeux à la fin étaient aussi rouges que ceux du petit Thomas, je vous avais bien dit qu’il me faisait penser à moi.

C’était peu mais ça avait l’air beaucoup, parce qu’à la fin, en sortant de ma salle, tous, presque en ligne, derrière la petite Delhia qui avait initié le mouvement, ils m’ont dit, presque solennellement : « merci, monsieur » et, Thomas, qui avait remonté le rebours de ses larmes, a dit : « c’était la meilleure heure de cours de ma vie ». Bien sûr, ça n’était pas vrai, mais l’intention y était.

On ne se rend pas compte de ce qu’ils vivent. Il faut dire aussi qu’on n’essaie pas.
Essayez simplement, essayez seulement, essayez s’il vous plaît, de prendre soin des enfants.

J’ai demandé à Alexis Potschke pourquoi il avait raconté cette histoire. Et puis pourquoi il avait eu ce déclic, d’arrêter le cours, et d’offrir des cartes et des stickers aux enfants. Il m’a répondu : « Quand les enfants pleurent, c’est toujours un petit événement. Mais là, depuis quelques mois, ça se banalise, ça arrive beaucoup trop« .

La situation leur pèse, il la comprennent, et peut-être pas exactement, ils ne peuvent plus sortir avec leurs copains pour décompresser de la journée, « ils sont sous cloche tout le temps ». À cause du virus, on évite les brassages, les élèves ne changent plus de classe entre les cours et restent au même bureau à côté des mêmes élèves. « C’est compréhensible, bien sûr, mais le brassage c’est ce qui permet aux enfants de se définir, en fonction des interactions avec les autres, ils ne sont pas les mêmes selon avec qui ils sont. Un soir j’ai reçu une lettre d’un enfant, il avait mis beaucoup de temps à l’écrire ça se voyait, il s’était appliqué« . Il demandait au professeur, s’il vous plait, s’il pouvait changer de place. C’est pour ça qu’Alexis leur a distribué des stickers, pour qu’ils prennent possession de leur espace désormais immobile autour du bureau. « Certains les ont aménagés un peu comme des cabanes ». Au collège, on est bientôt adolescent, mais on est encore un peu enfant. « À cet âge, tout est amplifié, tout est ressenti à 1000% ». La voix du professeur se fait plus douce,  » ils grandissent trop vite, ils ont accès à des choses, derrière leurs écrans, qu’ils ne devraient jamais regarder. Et avec le confinement, tout ça s’est amplifié. »

Alors la semaine dernière, le professeur a arrêté sa classe, il a mis une musique douce et les a laissés jouer. Retrouver le temps perdu, récupérer un peu de leur enfance qui a filé. Se recréer un univers dans le tourbillon de grisaille planétaire. Des ces histoires, qui ont commencé sur Facebook, Alexis en a fait un roman, « Rappelez les enfants », aux éditions du Seuil. Que j’ai lu cette semaine et à chaque fois que je me plongeais dans son livre, c’était comme une gorgée de bonheur. Dans ce roman inspiré de ses élèves, il y a une histoire bouleversante. Celle de Fatima, qui demande au professeur si elle peut lui emprunter un livre.

« J’ai acquiescé, et alors que je m’en retournais vers le tableau j’ai entendu sa voix, tout à coup presque fluette, un peu plaintive, expliquer au vide d’Aurélie endormie : « C’est que j’aime bien les livres, et que ma mère ne veut pas m’en acheter. » Lorsque je me suis retourné, elle avait le nez plongé dans son livre, elle en respirait l’odeur. »

Fatima s’en est bien sortie depuis, me dit Alexis. Parfois il rencontre ses anciens élèves qui ont grandi. Lui n’a jamais quitté son collège de banlieue, un collège « difficile » comme on dit sans bien comprendre ce que ça veut dire. C’est devenu un choix que de rester, par respect pour les enfants. « Quand ils vous revoient, ils vous disent merci ? » Il répond : « Ils voyaient que j’aimais mon métier et que j’étais passionné. Alors ils me remerciaient pour ça, parce que j’avais le sourire en arrivant dans leur classe le matin. »

Alors voilà, ce matin, je t’invite à partager l’histoire des enfants de la classe d’Alexis. Tu la trouveras ici. Tu peux aussi acheter son livre. Il m’a fait rire, il m’a fait pleurer, mais avec reconnaissance. Il m’a fait un peu penser aux livres du Petit Nicolas qu’on se lisait à haute voix en rigolant comme des nouilles avec mes copains, en vacances quand j’étais gosse. On parle beaucoup d’éducation quand on parle de l’école, on oublie de parler des enfants. De ce qu’ils vivent. De leurs micros univers qui éclatent comme des bulles année après année. « Ils sont résiliants, les enfants, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne souffrent pas« .

⛵️ Persévérer

Dimanche dernier, j’ai reçu une lettre d’Anne, qui traverse la crise sanitaire avec beaucoup de hauts et de bas, et qui a choisi en fin de compte d’aller plus haut. Elle réagissait à ma lettre qui s’interrogeait sur le bonheur en période de crise. Son histoire te parlera peut-être : 

« J’ai l’impression de te connaître depuis le temps que je suis Flint. Je lis tous les week-ends la lettre de Flint dimanche et ton humanité me touche à chaque fois.
C’est sans doute une des choses qui compte le plus pour moi dans la vie : savoir que d’autres personnes continuent à porter un regard plein d’humanité malgré tout et même essaie de faire quelque chose pour contribuer à un monde un peu meilleur.

Je me suis particulièrement reconnue dans la lettre de ce dimanche parce qu’au moment où toi tu étais en train d’organiser ta levée de fonds, j’étais en train d’organiser la troisième édition du TEDxCanebiere. Je me suis demandée si ça avait encore du sens de continuer, nous avons décalé une première fois. Certains pensaient qu’il valait mieux arrêter : c’est vrai finalement une conférence sur le renversement du sens à une époque où nous avons bien du mal à en trouver et où nous ne savons même pas si nous allons réussir à nouveau à nous réunir est-ce que ça garde son sens ? 
On a donc choisi de revoir la liste de nos speakers pour coller à l’actualité …

Le deuxième confinement est arrivé et on a dû se poser la question de ce qu’on ferait si le théâtre était fermé : on a commencé à envisager des scénarios dégradés puis en janvier 2021 les variants sont arrivés et on a compris que le théâtre ne pourrait pas nous accueillir.

Et moi pour une édition qui s’appelle « Renversens » je ne me voyais pas faire une option dégradée en Zoom avec des speakers tristounes dans un amphithéâtre vide.

Alors il fallait décider : soit on arrêtait soit on acceptait que le monde d’avant n’existe plus et ne reviendra pas et qu’il fallait inventer un nouveau format.

Et même on s’est dit que ça serait assez exemplaire de montrer qu’on n’était pas arrêté par le Covid-19. Passée la déception certains d’entre nous ont même commencé à se sentir encore plus enthousiastes à l’idée de contribuer à la création de quelque chose de complètement nouveau.

Alors depuis des semaines on travaille sur une nouvelle version : un événement sans public dans une salle atypique avec un format dans l’esprit Emission télé.
Je ne te cache pas qu’on y passe nos week-end et nos nuits car nous sommes tous bénévoles.
Alors quand tu écris as-tu des « initiatives à partager sur l’enthousiasme ou sur l’attitude à avoir en temps de crise » je pense à notre équipe.Je me suis mise à mon clavier pour partager avec toi cette aventure et te proposer aussi de nous aider à la faire grandir.

Puisqu’on ne sera plus dans un théâtre qui peut accueillir 800 personnes on se prend à rêver de réunir encore plus de monde derrière l’écran.
Pourquoi plus de monde ?
Parce que ce qui nous tient depuis maintenant presque deux ans pour réussir cet événement c’est l’envie de mettre en avant des personnes inspirantes : leurs visions et leurs projets et de donner envie à tous les citoyens d’y participer chacun à leur mesure.
Alors plus de monde derrière l’écran ça veut dire plus d’inspiration partagée plus de possibilités de convaincre les personnes que le monde de demain est déjà là et qu’il ne tient qu’à nous de le faire advenir dans nos vies.

Si tu veux en savoir plus sur l’événement tu peux aller sur FB.
Ou sur LinkedIn. « 

🐝 Savoir s’entourer

Ancienne journaliste ayant décidé de se reconvertir en lançant son agence de relations presse, Noëlle travaille dans le Vaucluse, elle m’a écrit cette lettre qui te parlera peut-être si toi aussi tu t’es lancé dans un grand projet qui a failli faire pouf avec le confinement. Elle explique comment elle a tenu : en faisant appel aux autres.

Cette newsletter tombe à pic, c’est LA grande question du moment pour moi.J’adhère totalement à ton idée de découper le bonheur en petits morceaux digestes, dont on savourerait chaque bouchée.Tant un grand et fort moment de bonheur semble impossible ces derniers mois. 

Les tempêtes font en effet partie de la vie de l’entrepreneur.se et le plus difficile, pour poursuivre dans cette métaphore, est de faire la traversée en solitaire. Voilà plusieurs mois que mon petit bateau est ballotté par les flots et je prends conscience que travailler en équipe, trouver des énergies extérieures, des ami.es qui conseillent, épaulent, sont une vraie bouée de sauvetage. Je découvre aussi la solidarité entre petits entrepreneurs, entre femmes entrepreuneures notamment. tout n’est pas rose, je découvre aussi les clients fidèles qui quittent le navire, qui te jettent à l’eau sans ménagement pour sauver leur propre barque (peut-on leur en vouloir). 
Bref, ce voyage est épuisant mais formateur.
Tes mots sont une éclaircie dans les nuages. Bon vent à Flint dont je suis une petite actionnaire (faudrait que ça paye ma retraite, alors tu as intérêt de réussir !) 

Ce billet est un extrait de la lettre hebdomadaire « Flint Dimanche », qui explore avec toi comment nous pouvons mieux nous informer dans un monde rempli d’algorithmes. Pour la recevoir, abonne-toi à Flint ici. Tu recevras également gratuitement chaque jour une sélection de liens personnalisée, envoyée par l’intelligence artificielle de Flint.