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Flint Production

Et les enfants s'en vont devant...

Et les enfants s'en vont devant...

Que faisons-nous de nos rêves d’enfant ? Cette question, je me la suis posée toute ma vie. Elle continue de venir me chatouiller comme un cerceau dont on ne sait que faire et qui finit par nous ligoter. Cette question, je voudrais en tirer le fil avec toi cet été, regarder où ça nous mène. Cette question, Elsa Hermal est allée la chercher au bout du monde.

Elle est revenue avec son cerceau, et plein d’autres choses. D’entrepreneuse à succès dans ce qu’on appelle la « foodtech » (le secteur technologique de l’agro-alimentaire si tu veux), Elsa est devenue trapéziste. Alors, hum, tu me diras, ça pourrait ressembler à une fuite. Un caprice d’enfant gâtée par exemple. Et puis, tu ajouteras, faut-il vraiment tout abandonner pour se trouver ?

Elsa a décidé que c’était peut-être le contraire. Se trouver pour ne jamais s’abandonner, justement. Alors disons plutôt qu’elle est aujourd’hui trapéziste… et entrepreneuse. Ça donne quoi à la fin ? Je vais te le raconter, ça te parlera. Faire exister son âme d’enfant sans s’enfuir dans ses rêves. Sans tout renier non plus. Ça demande du courage. Son histoire est super jolie, elle nous parle d'entrepreneuriat, du sens de la vie, du syndrome de Peter Pan qui est peut-être plus une bénédiction qu'un syndrôme, et surtout... l'histoire d'Elsa nous parle d'équilibre. Accroche-toi, c'est que du bonheur.

Dimanche soir, Elsa m’a envoyé un bref message de remerciements, suite à ma dernière lettre. Son message était accompagné d’une vidéo, qu’elle n’avait jamais encore montrée. Et qui m’a mis une énorme patate pour le reste de la soirée.

« Bon puisque tu m’inspires ce soir je te partage mes petites vidéos secrètes et pépites de mes performances de cirque à Goa.
Mon rêve d’enfant réalisé 😉 et puis finalement on peut être entrepreneure et trapéziste 😂😂😂☀️ »

J’avais perdu de vue Elsa après le rachat de sa boîte il y a deux ans, par un grand groupe. Epicery, son application de livraison à domicile au service des commerçants de quartier, continue de grandir et d’embaucher. Joli succès pour une entrepreneuse d’à peine 30 ans, qui m’avait déjà surpris en 2017. Et à propos de laquelle j’écrivais :

« Il y a quelque chose de différent chez elle. Une voix voix un peu cassée qui détonne. Un regard qui fixe de temps à autre le vide selon un rythme presque précis, comme s’il tentait de maîtriser une forme d’extravagance douce qui n’aurait pas sa place dans ce monde parfois très policé de la french tech. »

Ce jour-là, elle m’avait montré une photo d’elle avec un ananas sur la tête, référence à une série télé, que je n’avais pas comprise. Et elle m’avait répondu : « Je sais, personne ne comprend la blague« .

Il y a quelques semaines, Elsa a redonné signe de vie sur WhatsApp. Elle me racontait qu’elle avait passé l’année 2020 à faire du yoga. J’étais content pour elle. L’histoire était complètement cliché : tu es jeune, tu as du succès, tu vends ta startup, du coup tu pars au bout du monde faire du yoga et de la méditation. Il ne lui restait plus qu’à écrire un article sur Medium pour partager ses secrets de la réussite et comment elle avait finalement trouvé un sens à sa vie. On était bien.

Sauf qu’Elsa n’a jamais vendu ses parts. Elle est partie un peu par hasard fin 2019, donc plus ou moins en vacances. Un sac de 15kg sur le dos, qui deviendra sa seule maison pendant un an. Destination la Thaïlande, et puis l’Inde. Entre-temps il y a eu des rencontres, un pied cassé, et puis le Covid, les frontières se sont fermées. Elsa s’est retrouvée clouée au bout du monde, vivant avec 500€ par mois, mangeant beaucoup de mangues, et pratiquant beaucoup beaucoup le yoga, donc. Au passage surtout, elle a ressorti son cerceau de son coffre à jouets. Tu sais, celui qu’on conserve dans le grenier de nos têtes. De là, plein d’autres trucs ont suivi. Le petit pantin replié d’Elsa qui avait encore quelque chose à dire. La suite de l’histoire est super jolie.

En Thaïlande, la jeune vacancière rencontre un homme qui avait bossé dans la tech avant de rejoindre un cirque à Chang-Maï. Premier déclic.

Avant de poursuivre, il faut que tu saches que, quand elle était petite, Elsa voulait devenir trapéziste. « L’idée c’était d’être saltimbanque et de suivre une caravane de cirque ». Quand elle y pensait, les yeux de la petite fille brillaient comme des étoiles indécentes. Peut-être au rythme des vers d’Appollinaire. Tu te souviens de ce petit poème ? Mon institutrice nous le faisait chanter en rythme quand j’étais en maternelle, je n’ai jamais oublié ces mots :

« Dans la plaine les baladins
S’éloignent au long des jardins
Devant l’huis des auberges grises
Par les villages sans églises.

Et les enfants s’en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe.

Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours, des cerceaux dorés
L’ours et le singe, animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage. »

Quand la petite Elsa en parlait à ses parents, ils lui répondaient en levant les yeux au ciel : « Trapéziste c’est pas un métier ! » Retourne dans ta chambre quoi.

Alors Elsa a fait une école de commerce.

Elle ne regrette pas. Son expérience avec Epicery lui a énormément appris. Mais quand à l’autre bout du monde, vingt ans plus tard, l’entrepreneuse a reposé ses mains sur un trapèze, juste comme ça, pour voir, « mon corps s’est souvenu. Je n’avais pas perdu mes réflexes ».

Au Myanmar, Elsa se casse le pied. Elle se réfugie à Goa, en Inde, pour reprendre des forces, et rencontre une troupe de cirque, Bliss Circus. April Bliss, la fondatrice de l’association, lui propose des cours contre des conseils business. Tandis que le cirque double son chiffre d’affaires grâce à Elsa la business-woman, Elsa la trapéziste trime six heures par jour. Dans le groupe, un chorégraphe. Il l’observe s’enrouler dans les airs. Un jour, il la provoque : « Il faut que tu prépares une pièce en solo ». Pour dans six semaines ! Stress total. Ou pas. Elsa a l’habitude. Elle relève le défi et choisit Moulin Rouge. Une comédie musicale hyper romantique mais aussi un peu provoc’, qu’elle avait jouée et chantée quand elle était au collège.

Elsa écrit tout : l’histoire, le décor, son nouveau costume. Elle enfilera des bas résilles. En fait, elle se mettra littéralement à nu. « Même si je n’étais pas forcément pudique, je ressentais comme toutes les femmes beaucoup d’insécurité et de complexes vis à vis de mon corps. Mais ici, j’étais entourée de gens très bienveillants. »

Six semaines plus tard, Elsa ose s’envoyer en l’air devant son premier public. « J’ai eu plus peur que si je pitchais ma boîte devant mille personnes ! Je me suis sentie littéralement à nu, ça m’intimidait énormément. »

C’est la vidéo de cette performance secrète qu’Elsa m’a envoyée dimanche soir. Et cette vidéo de fée Clochette est tellement jolie. Je veux dire, pas seulement les mouvements, mais tout ce que ça raconte. « Qu’avons-nous fait de nos rêves d’enfant ? », demande la fée qui se remet à danser. Sont-ils encore repliés en nous, inutiles, sont-ils si farfelus qu’ils doivent mourir pour nous permettre de devenir adultes ? Que deviennent-ils une fois remisées dans le grenier de nos audaces coupables ? Les rêves d’enfants sont toujours indécents, ils sont trop grands, ils sont forcément plus grands que ce que nos parents peuvent supporter.

Pourquoi n’avoir jamais envoyé cette vidéo avant moi ? « J’avais peur que l’on dise : ça y est, elle a perdu la boule. Elle est devenue complètement hippie. L’acceptation sociale, ça me travaille. »

Ce léger déshabillé sur scène, il fait frémir. Parce que c’était aussi franchir cette frontière. « Me déshabiller un peu plus des modèles et des clichés ».

Entrepreneuse hyper douée, Elsa avait beaucoup moins confiance en elle en tant qu’artiste. Tous les enfants sont des artistes, jusqu’au jour où ils réalisent que ce pouvoir magique qui les rendaient tellement heureux n’a aucune valeur dans le monde qui les attend.

Son ami chorégraphe a eu cette phrase qu’elle n’oubliera jamais : « Tu es bien meilleure que ce que tu as dans ta tête ! » Il lui répétait qu’avoir cette vulnérabilité sur scène, c’était « bien plus beau que tout ce que pourra transmettre une ballerine aguerrie. »

Elsa a appris quelque chose : « On n’a pas besoin d’être le meilleur chanteur pour chanter. L’important, c’est la persévérance ». Avec cette créativité assumée, avec ce plaisir de faire, elle a réconcilié sa personnalité d’entrepreneuse avec son enthousiasme d’enfant. « Je veux arriver d’un point A à un point B, même si je dois trouver des solutions pas classiques. Il faut juste que je travaille cinq, six heures par jour, même si mon corps n’y est pas habitué. Le corps finit par suivre. »

Trapéziste et entrepreneuse. Pas l’un ou l’autre. « J’ai envie d’en faire une partie de ma vie, plutôt que de tout plaquer et de changer de vie. J’ai compris que le trapèze, c’est à dire l’envie de me jeter dans le vide, d’assumer cette personne que je suis, c’était le liant de tout ma personnalité », depuis le début. « Être souple, faire des grand-écarts, j’étais déjà habituée à avoir la tête en bas ! Tout ça crée des chemins dans mon cerveau. »

Il y a un équilibre à trouver. Entre l’enfant et la femme. « Quand je me suis remise au trapèze et assumé ce rêve d’enfant, j’ai retrouvé des choses que connaissais quand j’étais entrepreneuse. C’est un équilibre, l’un nourrit l’autre. »

Elsa est revenue en Europe. Après une année passée au bout du monde, au bout d'elle-même. « J’ai envie de faire pousser des racines en Europe. Je suis allée chercher quelque chose et je l’ai ramené avec moi ».

Aujourd’hui, Elsa a un nouveau projet, en gestation. Tout en continuant de faire du trapèze et du cerceau, comme un nouvel équilibre, elle prépare un nouveau saut dans le vide. Après un an de crise sanitaire, laquelle a changé profondément notre façon de travailler et de vivre ensemble, comment réinventer nos villes et nos villages ? Mais ça c’est une autre histoire.

En attendant, si tu veux voir la vidéo d’Elsa, tu peux la télécharger ici. Mais chut… c’est un secret.

(Crédits photos : Seesawexperiences et Karl Arsène)

🧚‍♀️Nos maximes de vie

Depuis quelques semaines, je te demande de m’envoyer tes maximes de vie, ces petites phrases qui ont accompagné ta vie, que t’ont livrées tes parents (ou ce qu’ils ne t’ont pas dit). Je continue donc aujourd’hui. Tu peux m’écrire pour m’envoyer les tiennes !

Gilles nous envoie ces quelques phrases qui feraient une belle épitaphe :

« Vivre, ce n’est pas sérieux .
Ce n ‘est pas grave.
C’est une aventure .
C’est presque un jeu.
Il faut fuir la gravité des imbéciles. »

Emmanuel nous livre ce legs de son père, pas si étrange que ça :

« La citation familiale de chez nous vient de mon père. Il bossait beaucoup (il est à la retraite maintenant) et disait toujours aux enfants que nous étions (frères, cousins et copains) : « n’oubliez pas de vous amuser ». C’était amusant mais étrange car bien sûr qu’on s’amusait (après l’école et les devoirs) mais maintenant, que je suis adulte, c’est moi qui délivre à mes enfants et autres gamins la célèbre formule car bien sûr, j’en comprends maintenant toute l’importance. »

Fanny cite Marguerite Yourcenar et Raymond Devos :

« Vous ne saurez jamais que j’emporte votre âme, comme une lampe d’or qui m’éclaire en marchant, Qu’un peu de votre voix a passé dans mon chant « , extrait d’un poème de Marguerite Yourcenar. Coupée du poème, cette phrase dit un peu l’animal social que nous sommes, que ce sont les rencontres et nos relations qui nous façonnent .

« On se prend souvent pour quelqu’un, alors qu’au fond, on est plusieurs » (Raymond Devos). Au-delà du jeu de mot qui me fait toujours sourire, cette phrase me dit que nous sommes tous plus complexe qu’il n’y paraît et résonne avec ma conviction qu’il y a forcément dans cette complexité quelque chose de bon à trouver et à à donner à voir en chacun.

❤️ Participe !

Voilà ! Tu peux me parler directement en répondant à cette lettre (ou en m’écrivant à benoit@flint.media). Je réponds à tout le monde !

Tu peux aussi rencontrer et échanger avec plus de 850 lecteurs et utilisateurs de Flint sur la plateforme Discord, en allant ici.

Et si tu veux comprendre pourquoi je me lève tous les matins avec le sourire aux lèvres, et surtout une motivation inébranlable, tu peux lire et partager cette interview donnée à « La France des solutions », dont le nouveau site s’appuie sur la technologie Flint.

Passe un beau dimanche de réchauffement climatique !