Jeux d’argent et numérique, mauvais pari ?

En bref :

Toucher le pactole sans sortir de son lit ? Aujourd’hui, c’est possible : la plupart des jeux d’argent, paris sportifs, poker, casino, sont disponibles en ligne. La publicité qui en est faite est omniprésente dans la rue, dans les transports, à la télévision. Les jeux d’argent se sont démocratisés, au point d’apparaître comme une activité ludique. Mais dans quelles proportions l’arrivée d’Internet, des réseaux sociaux et des nouvelles technologies a-t-elle bouleversé ces pratiques ?

💡 Pourquoi c’est intéressant ? Parce que cela permet de mettre en lumière une toute autre forme d’addiction qui touchent plus de personnes qu’on ne le croit, et d’évaluer le rôle du numérique dans son développement. 

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Les faits : 

🔙 Petit historique…

– L’appétence pour les paris ne date pas d’hier. Dans la Grèce antique ou dans l’Empire romain, ils étaient déjà populaires lors des “jeux”, comme le raconte ce site de paris sportifs PronoFrance. Ils ont traversé les époques, jusque dans les années 1990, où l’arrivée d’Internet a révolutionné le paysage : apparition des casinos en ligne, des paris sportifs en temps réel etc… Pour certains, cela reste un loisir, pour d’autres, c’est une profession (notamment pour le poker et ses compétitions officielles). 

– En 2010, les paris sportifs en ligne se libéralisent : la loi du 12 mai 2010 ouvre à la concurrence le secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. À ce moment-là, ils n’attiraient que 819 000 joueurs en France. Ils sont aujourd’hui près de 4,5 millions, recense franceinfo. 

– Le chiffre d’affaires (après versement des primes gagnantes) du marché des paris sportifs en ligne et de poker s’établit à 1,74 milliards d’euros en 2020, soit une hausse de 22% par rapport à 2019. Le poker en ligne est la composante qui enregistre la plus forte croissance avec une augmentation de 64% du chiffre d’affaires. 

– En France, l’activité des jeux d’argent en ligne est régulée depuis 2020 par l’ANJ (Autorité Nationale des Jeux), qui remplace l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux En Ligne) créée en 2010 avec la loi sur l’ouverture à la concurrence. L’ANJ assure la délivrance des licences, la prévention des addictions et la lutte contre les sites illégaux.

🖥️ Comment le numérique a chamboulé tout cela ?

– L’arrivée d’Internet dans les années 90, puis son développement au début du XXIe siècle a révolutionné tout un pan de l’industrie des jeux d’argent : nouveaux joueurs, nouveaux modes de consommation, émergence de nombreux acteurs, croissance incontrôlée du marché. 

– En rendant disponibles en ligne ou sur mobile les paris sportifs et autres jeux d’argent, cela les rend beaucoup plus accessibles aux plus jeunes (voir ce reportage de France 2).

– La plateforme de streaming Twitch (qui permet de diffuser des vidéos en direct, principalement de jeux vidéo) et dans une moindre mesure Youtube, ont développé de manière fulgurante l’univers du casino en ligne, illégal en France. De nombreux streamers y diffusent leurs propres parties pendant des heures, gagnent des centaines de milliers d’euros en direct et échangent avec leur audience de plus en plus grande, comme le relate cette enquête de Marianne. Sans aucune restriction d’accès, ces casinos en ligne attirent de jeunes joueurs, parfois mineurs, qui tentent d’imiter leurs streamers préférés. Une enquête vidéo du youtubeur Le Roi des Rats explique les dessous de ce nouveau business très controversé et peu encadré.

– Sur son site, Joueurs-infos-services, service national d’aide à distance en matière de jeu et de dépendances, soulève les principaux dangers de ces casinos en ligne : un marketing très agressif, et l’absence de mécanismes pour limiter les dépenses et le temps passé à jouer.  

– Le développement des monnaies virtuelles, les cryptomonnaies, a également joué un rôle dans l’essor des jeux d’argent en ligne, et notamment des casinos : transactions sécurisées, rapides, anonymes (aucun contrôle de l’identité et de l’âge pour y accéder) et qui échappent aux taxes, détaille le site spécialisé dans les cryptomonnaies Crypto Actualités. En France, l’utilisation de ces monnaies virtuelles comme moyen de paiement pour des jeux d’argent en ligne est illégale. Dans ce newskit, nous expliquions le fonctionnement d’une telle monnaie et de la technologie blockchain. 

🎯 Qui sont les cibles ?

– Dans le rapport d’activité de l’ANJ du premier trimestre 2021, on lit que près de 70% des joueurs et joueuses de paris sportifs ont moins de 34 ans, dont 32% ont entre 18 et 24 ans (alors qu’ils n’étaient que 17% en 2011). 88% d’entre eux sont des hommes. 

– Comme le décrit Armelle Achour, directrice de l’association SOS Joueurs et psychologue, auprès du BondyBlog, “on constate un rajeunissement des classes d’âge” attirées par les paris sportifs en ligne, “ça cible vraiment les jeunes de quartiers, ça reprend tous leurs codes”. Dans certains cas, cela frise même la caricature, explique-t-elle, comme lorsque Winamax et son slogan “grosse cote, gros gain, gros respect” montre un jeune homme gagner et être porté aux nues par tout le quartier. 

– Le principal danger dans cette nouvelle stratégie est de cibler “des joueurs qui ont un potentiel plus élevé de développer un rapport problématique au jeu” identifie Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l’ANJ auprès du Figaro (€).

– Céline Bonnaire est maîtresse de conférence à l’université Paris-Descartes et psychologue clinicienne auprès de jeunes joueurs accros âgés de 16 à 25 ans en moyenne. Elle relève pour Le Monde (€) que les streamers de jeux d’argent sont un type d’influenceurs en ligne. Ils deviennent “des modèles identificatoires pour [les] adolescents et jeunes adultes, et c’est bien cela qui est problématique : le public de Twitch incarne une cible facile pour les opérateurs de jeux”. 

⚕️ Quelles conséquences sur la santé publique ? 

– Pour la docteure et addictologue Juliette Hazard, les jeux d’argent en ligne peuvent augmenter la dangerosité de l’addiction par rapport aux jeux d’argent plus “traditionnels”, “dans la mesure où c’est accessible 24 heures sur 24, avec de l’argent virtuel” rapporte le Journal des femmes.

– Dans sa tribune pour La Tribune, le sociologue Thomas Amadieu décrit l’addiction aux jeux d’argent en ligne comme un “problème de santé publique”. Il dénonce “l’exploitation cynique des frustrations sociales et des difficultés financières de nombreux Français” et “la promesse d’enrichissement qui est faite alors que les jeux sont conçus pour enrichir l’opérateur et non le joueur” notamment grâce à la publicité, omniprésente.

– Dans Le Parisien (€), Jean-Pierre Martignoni, sociologue spécialiste des jeux d’argent estime que la hausse de participation aux jeux d’argent en ligne marque “l’échec de la politique du jeu responsable” car “il y a un double langage de la part des opérateurs qui, d’un côté, augmentent leur offre et lancent des campagnes de pub percutantes […] et, de l’autre, insistent sur le jeu responsable”. 

– Selon une étude de l’Institut national de santé publique du Québec que cite ici le journaliste Christian Lamontagne, fondateur de PasseportSanté, “le problème du jeu pathologique serait de 3 à 4 fois plus élevé pour les JAI [jeu d’argent sur Internet] qu’au casino parce que le facteur de socialisation en est absent.” Il établit également une comparaison entre les jeux d’argent en ligne et le tabac : “il est irréaliste d’interdire le tabac, mais on l’a tellement dévalorisé socialement que le nombre de fumeurs a considérablement diminué. Au lieu de valoriser les jeux de hasard et la « maîtrise » du poker par des champions, on devrait interdire toute publicité de ces jeux et forcer les sites qui en font la promotion à publiciser des messages les décourageant.”

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