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Les primaires ont-elles encore un sens ?

Les primaires ont-elles encore un sens ?

En bref :

C’est devenu une habitude en France. Les élections présidentielles sont précédées d’une ou plusieurs élections primaires, propres à chaque parti politique. Elles ont pour but de désigner le candidat qui défendra les idées de sa famille politique lors du scrutin. En France, la dernière en date est celle du parti politique Europe Ecologie Les Verts, dont on connaîtra le ou la vainqueure ce soir. Mais quels sont les enjeux de ces joutes ? Héritées du XXe siècle, comment sont-elles perçues de nos jours ? 

💡 Pourquoi c’est intéressant ? Car ce sujet amène des réflexions plus larges autour de la composition de notre système politique actuel, de son fonctionnement et du sens que nous donnons à notre vote. 

Les faits : 

Avant tout, petit historique…

– Le principe d’élection primaire est importé des États-Unis, lit-on sur France Culture. Alors que le Wisconsin instaure pour la première fois des primaires en 1903, ils sont dix États en 1912 à en organiser pour les élections présidentielles. Aujourd’hui, grâce notamment au Voting Right Act de 1965, quatre cinquièmes des États américains ont recours à ce processus électoral, avec leurs propres règles, parfois différentes entre Républicains et Démocrates.

– Ces pratiques ont ensuite migré vers le sud : dès 1978 au Costa Rica, puis dans la majeure partie des pays latino-américains (14 pays sur 20 organisent des primaires). En Europe, dès la fin du XXe siècle, dans une volonté de réinventer les systèmes politiques en place, plusieurs partis décident d’instaurer des primaires : le SPD allemand en 1993, le PS français en 1995, le parti conservateur britannique en 2001, le PASOK grec en 2003, l’Italie au niveau national en 2005… Au total, 29 pays pratiquent des élections primaires dans le monde aujourd’hui, répartis entre l’Amérique et l’Europe de l’Ouest (liste à retrouver ici sur France Culture). 

🗳️ Un processus, plusieurs options

– En France, un parti politique peut décider d’organiser des primaires “ouvertes” (tous les citoyens sont libres d’aller voter dans la ou les primaires de leur choix) ou “fermées” (internes, seuls les adhérents y sont autorisés) comme l’expose le média réunionnais Linfo.re

– Aux États-Unis, précise le site Plebiscit, deux autres modes de primaire sont possibles : semi-ouvertes (ouvertes à tous, mais obligation de choisir un bulletin de vote affilié à un parti) et semi-fermée (ouverte aux adhérents et aux indépendants, qui doivent adhérer à un parti au moment du vote, de fait). 

– Ce processus électoral est ancré dans les mœurs aux États-Unis comme l’explique La Dépêche : élections indirectes, à la proportionnelle ou non, elles permettent d’élire des délégués pour chacun des deux partis, par État, qui eux-mêmes s’engagent à soutenir un candidat du parti. 

– En France, le processus est différent : le but des primaires est de choisir directement, via un scrutin uninominal à deux tours, le candidat qui représentera le parti aux élections présidentielles.

🤔 Les primaires, élan démocratique illusoire ?

– Selon Brice Couturier, journaliste à France Culture, le paysage politique actuel en France est incompatible avec des élections primaires. Les trop nombreuses fractures qui divisent les partis politiques et les camps idéologiques favorisent déjà l’émergence de candidats tiers, argumente-t-il. “La mécanique des primaires est parfaitement adaptée à un système bipartisan tel que celui qui fonctionne aux Etats-Unis”, relève-t-il, puisque jamais un candidat indépendant n’y a eu l’opportunité d’accéder au pouvoir. Pour la France, il plaide plutôt pour un scrutin présidentiel proportionnel (présentation de listes, dont le nombre de sièges acquis au sein de l’assemblée gouvernante est déterminé proportionnellement en fonction du suffrage obtenu), qui permettra de mettre en avant des courants de pensées aujourd’hui minoritaires. 

– Dans ce billet pour Médiapart, la porte-parole du Parti Pirate FlorieLVM dénonce “l’illusion démocratique” que représente une élection primaire. Selon elle, “il s’agit d’une élection avant l’élection, un moyen de faire le ménage entre les égos d’une quantité de personnes qui se considèrent toutes plus légitimes à devenir l’homme (ou la femme, mais encore une fois c’est plus souvent un homme) le plus puissant du pays”. 

– Dans Agoravox, pour l’avocat et membre fondateur de l’UDI Patrice Gassenbach, la primaire n’est que “l’organisation du désordre”, un processus “complexe à mettre en œuvre” qui favorise les divisions au sein d’un parti.

– Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques, estime dans Marianne qu’elles ne sont pas indispensables à un débat démocratique, puisqu’elles ont tendance “à ensauvager la vie politique, à polariser le débat”. Selon lui, les primaires peuvent favoriser la formation d’extrêmes et conduire à la destruction de l’unité d’un parti. Mais il précise à La Croix que le fait de désigner un candidat présidentiable par un vote démocratique a “permis de relégitimer des partis soupçonnés de magouille et de tambouille à la moindre désignation interne”. 

🤔 Les primaires, une avancée démocratique et sociale ?

– Interrogé par Le Point, le politologue Pascal Perrineau souligne que “les primaires sont aujourd’hui considérées par les gens, qu’ils soient de gauche, de droite ou d’ailleurs, comme étant un acquis presque démocratique”. Propos à mettre en perspective par exemple avec la participation à la primaire écologiste de 2017 : comme le relate franceinfo, ils n’étaient que 17 000 inscrits au vote il y a quatre ans, ils sont aujourd’hui autour de 120 000. 

Le site La Constitution décodée, spécialisé dans la pédagogie autour du droit constitutionnel et de la vie politique et parlementaire, énonce les deux objectifs centraux d’une élection primaire : “détacher la désignation d’un candidat de l’appareil du parti” et “sceller un rassemblement”. 

– Comme le relate la revue Pouvoirs, le politologue Gérard Grunberg estime qu’une primaire peut favoriser le parti qui l’organise, en lui offrant l’opportunité de s’imposer dans la sélection de son candidat, et ainsi réduire “l’éclatement de conflits internes liés au choc des ambitions individuelles qui pourraient mettre en péril l’unité de l’organisation”. Il la voit comme “un facteur de simplification et de rassemblement des forces politiques dans le système pluripartite français”. Le vainqueur d’une primaire, investi d’une légitimité démocratique, dispose d’un avantage pour l’élection présidentielle, car il a pu présenter son programme et mobiliser son électorat dès sa campagne pour la primaire. 

– D’un point de vue extérieur, le média belge la RTBF estime que les élections primaires, en France, peuvent permettre de “dynamiser une campagne”, en impliquant les adhérents mais aussi les électeurs non-engagés ou proches idéologiquement du parti. “C’est un bon moyen de créer un véritable réseau pour les élections” conclut le journaliste. 

🤔 Les primaires, acteurs ou témoins d’une mutation politique ?

– Dans ce billet pour le think tank Fondation pour l’innovation politique, qui se présente comme “libéral, progressiste et européen”, les deux politologues Laurence Morel et Pascal Perrineau plaident pour “réinstitutionnaliser” le processus de la primaire. Ils estiment que ce système a prouvé ses limites avec la tripartition voire la quadripartition du paysage politique (français). Pour cela, ils proposent plusieurs solutions comme “une révision des conditions d’accès au second tour, sur le modèle des législatives” ou “l’ajout d’un tour préalable […] une sorte de primaire américaine organisée par l’État mais qui sélectionnerait non pas deux candidats, mais quatre”. Ils soulignent toutefois la nécessité de primaires en ces temps politiques, qui est “le moyen le plus plausible de parvenir à une unicité de candidature dans chaque camp”, où un “leader naturel” peine à se dégager, que ce soit à gauche ou à droite. 

– C’est l’idée qu’avançait Julie Benetti en 2015 dans la revue Pouvoirs : “la primaire naît de l’absence de leadership”. Pour elle, l’instauration, et le succès, des primaires est intimement liée à la fonction présidentielle et à son aura : elles marquent la fin de l’un des fondements de la Ve République, celui du “chef suprême” d’une nation. Pour la professeure de droit public, une élection primaire n’est que le reflet de l’affaiblissement du leadership présidentiel, qu’elle tente dans le même temps d’endiguer. 

– Dans son analyse citée plus haut, Gérard Grunberg juge que le système de primaire ne fait que suivre le renforcement de la personnalisation de la vie politique. Alors que ces partis politiques devraient être un “creuset idéologique où se forge une vision du monde que les militants cherchent à promouvoir par leur activisme”, pour le politologue les primaires poursuivent la transformation de partis de militants vers des partis d’électeurs. 

– Émeric Bréhier, directeur de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation Jean-Jaurès, abonde dans ce sens dans le journal La Croix : “La primaire n’a jamais été qu’un moyen pour qu’un camp se divise le moins possible avant de rencontrer les électeurs réels, ceux du premier tour de la présidentielle.

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