16-01
Flint Production
Infolique toi-même
C’est drôle, jeudi matin, on s’est retrouvé, une trentaine d’abonnés Flint et moi, à parler d’infobésité, de notre infobésité, et ça nous a fait du bien. Je veux dire, pas intellectuellement, comme on parle d’un sujet intéressant tu vois comme “le problème de l’info et des algorithmes”, non, ça nous a fait du bien, comme si on s’était retrouvés dans une réunion des alcooliques anonymes. Les infoliques anonymes. Hum. Enfin non, pour être plus précis, plutôt dans une réunion de personnes atteintes d’une maladie chronique non reconnue mais que des tas de gens, comme toi et moi, subissent. Parce qu’au fond, ce n’est pas vraiment de notre faute si nous sommes victimes de trop d’info. C’est pas comme si on était boulimique d’info, tu vois. Genre « l’info c’est la viiiiie ! » Non. On aimerait moins d’info. Même si on est curieux. Mais alors comment faire ?
A l’origine de cette rencontre sympathique, ma dernière lettre du dimanche : je proposais une résolution que nous pourrions tous prendre en ce début d’année, histoire de changer du régime maillot-de-bain et autres “j’arrête de fumer” : et si nous nous mettions au régime informationnel ? J’y expliquais ce que les neurosciences nous disaient de l’impact de l’infobésité sur l’ensemble de notre organisme, de la même manière qu’elle favorise la désinformation. Les deux sont d’ailleurs liés. La surcharge informationnelle n’est donc pas seulement un sujet politique, c’est aussi une question de santé publique. Ta santé. La mienne. On la subit tous, sans toujours trop savoir de quoi il s’agit.
Jeudi matin, on a donc inauguré le premier atelier du Lab de l’infobésité (ou de… l’infolisme.. mais tu vois ça marche moins bien). Et on a parlé de nos symptômes. C’était très surprenant de se découvrir les mêmes impressions. Tu te reconnaitras peut-être dans certains d’entre-eux.
Et puis après on a parlé du plus important : que faire ? Il ya des pistes, des petits trucs qu’on peut déjà essayer pour nous avant de s’attaquer aux grandes solutions. Je vais te raconter… moi, ça m’a déjà un peu défatigué rien que d’échanger là dessus.
👩🏽⚕️ Quels sont les symptômes, docteur ?
Tout commence par un vague sentiment de trop-plein. Et puis le « craquage » de quelques proches. Il se passe quelque chose dans notre entourage. Et si c’était tout simplement l’info ?
« Cet aspect physique, psychologique, on le sent confusément », raconte Geneviève, professeure de collège, « mais je ne pensais pas que c’était aussi fort. Mon mari me disait que cela lui parlait, “l’infobésité”, car ces temps-ci il fait des « cures » d’une semaine sans info.” Ce jeudi, Geneviève était en grève. Un ras-le-bol qui n’est pas sans lien avec le désordre communicationnel autour de la pandémie.
La crise sanitaire n’a fait qu’accélérer l’effet de saturation, analyse Pascal, consultant en stratégie de contenus : “cela fait 2 ans qu’on reçoit beaucoup d’infos contradictoires.” “On reste en permanence sur le qui-vive », ajoute Thibaut, designer, « avec les mesures qu’on attend et qui auront un impact sur notre vie. Mais aussi la redondance des messages.”
Michel, journaliste, rapporte le témoignage de sa coiffeuse, 20 ans : “Elle m’a dit qu’elle était de plus en plus stressée. Son mari a fini par lui interdire de regarder les chaînes d’info en continu parce qu’elle était au bord du burnout”.
Pour Céline, psychothérapeute, c’est un tout : “La réunionite aiguë, le niveau d’exigence dans le rôle de parent, et/ou dans le rôle d’individu, les besoins qu’on s’invente ou qu’on nous invente… L’infobesité pour moi est liée à cette fameuse peur de passer à côté, de ne pas être dans la tendance, de ne pas être à la hauteur…”
“Être un bon parent, un bon écolo, un bon citoyen, un bon professionnel… On devrait être expert dans trop de choses et on ne peut pas !” surenchérit Claire, qui travaille dans le marketing et le digital.
Isabelle confirme : “C’est vrai que la tendance actuelle dans mon entourage, c’est de laisser tomber un certain nombre de canaux, se désabonner, ne plus aller sur tel site, couper son téléphone… Ce qui est bien lié à une fatigue /saturation.” Responsable de la veille dans son entreprise, elle sait de quoi elle parle : “professionnellement, j’ai effectivement expérimenté ce syndrome de surcharge informationnelle, un risque du métier de la veille. L’an passé j’ai parlé du risque de la surinformation en terme de santé, mais la DRH n’a pas compris…”
La DRH n’a pas compris. Ce que raconte Isabelle n’est pas isolé. Dans un article bien documenté, Caroline Sauvajol-Rialland dénonçait déjà en 2014 le manque de reconnaissance de “cette activité souterraine” en entreprise qu’est le traitement de l’information. “Le traitement de l’information est un rare exemple d’activité professionnelle aussi chronophage en temps de travail, aussi stratégique pour l’organisation, et qui n’est pourtant ni intégrée dans le temps de travail des cadres ni évaluée”.
Résultat : “Les salariés consacrent aujourd’hui 30 % de leur quotidien à l’activité d’information, une proportion en hausse constante depuis cinq ans ! »
En fait, il y a une sorte de paradoxe dans notre sentiment de surcharge : “On se sent surchargée et on a l’impression de ne jamais en avoir assez !”, raconte Claire. “C’est la fiction du toujours plus d’info en pensant que notre analyse sera plus sérieuse, plus fine si on avale plus d’info !”, ajoute Xavier, éditeur d’un site sur le futur du travail. “Or, on oublie le 3e pilier du cycle de la veille, l’exploitation qui demande du calme, du détachement et de la réflexion.”
Ce que confirme Caroline Sauvajol-Rialland : “Obtenir l’information n’est pas l’enjeu car elle est omniprésente et disponible. Le principal est de savoir la reconnaître, l’analyser et l’exploiter, ce qui implique une intervention humaine, de la méthodologie, un soutien collectif. Seule la capacité d’analyse donne du sens aux informations recueillies sans nuire à l’activité ou à la personne”. Ce n’est pas l’info le problème, ce sont les filtres.
🧐 Alors, quelles solutions ?
1️⃣ Se lever tôt ! C’est drôle, c’est revenu à plusieurs reprises lors de l’atelier. Se lever tôt, un rempart contre le trop-plein d’infos ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Laura, consultante en marketing, explique : elle commence très tôt et s’impose des horaires d’information : “je fais toute ma veille et la rédaction de ma newsletter entre 6h et 10h le matin. Jamais plus tard.” Thibaut, lui, résume assez bien les vertus de l’avant-aube : “Je privilégie les heures matinales : on a l’esprit plus frais et l’estomac plus solide pour manger du gras !”
Personnellement, j’ai adopté la même routine depuis quelques mois, 6h/10h. J’y gagne en efficacité mais surtout en clarté et en calme : j’ai le sentiment de mieux maîtriser, et je ne me stresse plus pour le reste de la journée. Et toi ?
2️⃣ Être dans la résilience ! Accepter de ne pas avoir tout lu sur un sujet, même important. C’est le conseil de Catherine, dont c’est pourtant le métier : “Je suis chargée de veille et gère des réseaux sociaux et les relations presse de mon entreprise… le combo gagnant pour être noyé d’informations d’autant plus quand on a tendance à être très très curieuse… Le trop plein ressenti un jour m’a permis de travailler sur le lâcher-prise : je gère les info uniquement le matin avant 9h30 et ne mets surtout jamais d’article de côté pour les lire après (sauf pour la vie perso)…. j’accepte de ne pas avoir tout vu, tout lu, ni tout compris…”
3️⃣ Réduire le bruit ! C’est essentiel pour prendre le temps d’analyser. Xavier raconte pourquoi Flint est devenu un outil indispensable pour réduire ce bruit. “Grâce à Flint j’ai amélioré ma FOMO ! « (La FOMO : c’est la « peur de rater quelque chose”). Il poursuit : « On cherche les signaux faibles, mais la surcharge noie les signaux faibles. Flint m’a dégagé d’une partie de cette infobésité. Je lui fais confiance. Je me lèves tôt mais j’ai l’impression d’avoir repris la main, et je me sens plus créatif. La collecte est importante mais on oublie l’analyse.”
4️⃣ Prendre le temps de… digérer ! Justement, “on lit des articles, des newsletters, on écoute des podcasts…”, note Claire, “mais il faudrait prendre des notes à chaque fois, digérer, restituer, sinon, ça part et ça ne sert pas à grand chose…” Partager avec les autres ? “S’appuyer sur un réseau de passionnés ?” propose Thibaut. L’esprit collaboratif, une piste ?
Tu as d’autres conseils ? Continuons d’en parler. Et d’agir, surtout. Je te propose quelques premières actions :
💡 Un atelier-conférence en direct début février, en présence d’une experte sur le sujet. Qui pourrait-être suivi d’un échange entre-nous pour réfléchir à des solutions.
🤖 Un « Nutriscore” de l’information : nous lancerons prochainement une réflexion collaborative autour du développement d’une base de données et un prototype à développer pour améliorer la capacité de Flint à mieux filtrer l’info, en partenariat avec le laboratoire de recherche Mica, de l’Université de Bordeaux. “Super cette idée de Nutriscore”, commente Isabelle. « Oui mais« , répond William, “ça ne sert à rien si pas d’éducation à l’info”. Tu en penses quoi ?
Voici ce que je te propose : si tu veux, tu peux répondre à ce petit questionnaire ci-dessous (3mn pas plus !) et marquer ton intérêt pour continuer, participer, aider, partager, proposer des idées… tu peux même me proposer un autre nom que le Lab de l’infobésité (Typhaine m’a écrit par exemple qu’elle trouvait que le nom pourrait être perçue comme stigmatisant l’obésité). Bref, tu es aux commandes !
En attendant, si tu veux poursuivre la discussion, tu peux rejoindre les 1000 abonnées et abonnés sur notre plateforme Discord.
Bon dimanche !
💛 Benoît.