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Pourquoi débunke-t-on ?

Pourquoi débunke-t-on ?

Le debunkage est un outil parfois indispensable quand on est face Ă  une entreprise de dĂ©sinformation. Mais cela ne peut pas ĂŞtre une finalitĂ©, d’autant plus que debunker pour debunker, c’est peu efficace, voire contre-productif (ça peut participer par exemple Ă  donner une visibilitĂ© Ă  une personne qui en avait très peu jusqu’ici par exemple).

Je pense qu’il est important d’interroger la finalitĂ© de ses propres interventions et de prendre en compte ses propres motivations: pourquoi cela me paraĂ®t-il important ? Pourquoi ça me parle (ou pas), pourquoi je mets tant d’Ă©nergie Ă  lutter par exemple contre de tels discours ?  Quel objectif je vise, et surtout selon quelle finalitĂ© ?

Par exemple, je crois que le debunk ne sera pas la mĂŞme si ce qui nous importe c’est la promotion de la cohĂ©rence interne d’un discours, sa validitĂ© logique, et sa conformitĂ© avec les faits. Ou si ce qui nous importe, ce sont d’abord les consĂ©quences potentiellement prĂ©judiciables de tels ou tels discours. 

Le premier cas me paraĂ®t intĂ©ressant, peut ĂŞtre un objectif de moyen terme, j’en conviens, mais nullement une finalitĂ© sur le long terme. Le second cas me paraĂ®t un objectif qui peut s’agencer davantage dans une finalitĂ© plus large (→ rĂ©flexion et intervention pour tenter d’empĂŞcher, de rĂ©duire les souffrances; envisager des pistes d’Ă©mancipation, bref tendre vers la dignitĂ© humaine et l’autodĂ©termination).

Mais ce faisant, on s’engage soi-mĂŞme Ă  ĂŞtre en premier lieu critique de sa propre dĂ©marche, ne serait-ce que pour Ă©viter de reproduire des souffrances.

Tout cela pour dire que je vois dans la sphère vulgarisatrice et esprit critique beaucoup de prise en compte du “comment”, mais moins du “pourquoi” (interroger le sens de sa propre démarche) et du “vers quoi” (interroger les conséquences possibles).

Je n’ai aucune prĂ©tention de savoir ce qu’on devrait faire, je me garde d’ailleurs de toute injonction du type “tu dois”; par contre mon propos m’amène Ă  considĂ©rer important d’expliciter notre propre dĂ©marche, ce qu’on essaye de faire Viciss Hackso (@HViciss) et moi avec Ă  coeur de garder Ă  l’esprit cette finalitĂ© illustrĂ©e plus haut. 

C’est bien pour cela qu’on n’hĂ©site pas Ă  se prĂ©senter comme “vulgarisatrices engagĂ©es”, car cet “engagement” signifie tout simplement que nos contenus sont toujours motivĂ©s par des buts que l’on se donne et qu’on assume : l’Ă©mancipation, l’autodĂ©termination, la crĂ©ativitĂ©… 

Par voie de consĂ©quence, on accordera de l’importance Ă  chercher Ă  comprendre des attitudes et comportements prĂ©judiciables (tel que les comportements autoritaires par ex.), pas par simple debunk (mĂŞme si ça peut passer par du debunk), mais dans une visĂ©e plus large qui ne consiste pas exclusivement Ă  “lutter contre”, mais davantage Ă  “faire l’inverse” (construire, crĂ©er, transformer, hacker pour un nouveau cadre).

C’est de lĂ  aussi que dĂ©coule notre tendance Ă  davantage expliquer des discours, des processus, des leviers, en Ă©vitant autant que possible de cibler un individu en particulier. Donner des outils pour que chacun puisse dĂ©faire des attitudes prĂ©judiciables, en Ă©vitant autant que possible le pointage du doigt et le mĂ©pris, la condescendance; des outils que l’on pourrait qualifier non pas de debunkage, mais de prĂ©bunkage, c’est Ă  dire une dĂ©mystification prĂ©ventive (pour citer le dernier article de @HViciss).

Toute cette dĂ©marche est aussi mue par la motivation Ă  nous Ă©loigner autant que possible de la verticalitĂ©, qui consisterait Ă  combattre des discours prĂ©judiciable qui font autoritĂ©, en cherchant soi-mĂŞme Ă  se faire autoritĂ© (avec le risque de perdre pied, “un trop grand pouvoir…est un trop gros poisson »; pas sĂ»r de l’exactitude de la rĂ©plique).

Au fond, question que je me pose Ă  moi-mĂŞme : pourquoi je viens d’Ă©crire tout cela? Car je suis depuis quelques temps les Ă©changes, les rĂ©flexions, parfois des « dramas » autour de la vulgarisation et de l’esprit critique. J’ai Ă©vitĂ© autant que possible publiquement de m’y mĂŞler (mĂŞme si j’en ai beaucoup discutĂ© en privĂ©). Au fond, tout cela m’aura permis d’y voir un peu plus clair, quant Ă  l’importance de la finalitĂ© que l’on se donne, tout autant que je crois qu’il faut ĂŞtre au clair avec les gens qui nous suivent pour expliciter notre dĂ©marche.

Parfois on nous prĂ©sente comme « zet », « sceptique ». Très franchement : ça ne nous parle pas, par rapport Ă  ce que nous essayons de faire ça ne fait pas sens. Je n’aime pas les Ă©tiquettes, mais si par la force des choses nous devions en choisir, ce serait encore et toujours le “hacking social” et la “vulgarisation”, voire  la « vulgarisation engagĂ©e » pour les raisons que j’ai exposĂ©, avec notamment pour credo : “juger un peu moins, comprendre un peu plus, crĂ©er davantage”.


✍️ L’auteure de l’article : Chayka Hackso, vulgarisatrice (principalement Psychologie sociale et politique) avec Viciss Hackso, via la chaîne Youtube Horizon-Gull et le site Hacking Social. Retrouvez le thread au bout de ce lien.