Flint

Flint Production

Quelle place pour l’Ă©cologie dans le transport routier ?

Quelle place pour l’Ă©cologie dans le transport routier ?

Aller au salon professionnel du transport routier et parler Ă©cologie et climat, mission impossible non ? Pourtant il y a quelques mois avec Kako Line (@Kako_line), on Ă©tait au salon des solutions de transport routier et urbain (@SOLUTRANS), et ce qu’on y a vu ne nous a pas déçu.
Attachez vos ceintures, ça va aller crescendo 🚚🚛

On a commencĂ© de bon matin par une expĂ©rience olfactive sur les biocarburants distribuĂ©s par Altens (@AltensFr), histoire de se mettre au parfum 😆 (on les a vraiment senti) : 

– À gauche une espĂšce de jus de biomasse qui sera ensuite purifiĂ© et raffinĂ©
– Au milieu, du XTL fabriquĂ© Ă  partir d’huile alimentaire usagĂ©e
– À droite, du B100 qui comme son nom l’indique contient 100% de biodiesel

D’ailleurs au cas oĂč vous ne le sauriez pas, quand vous allez faire le plein de gazole, les chiffres qui suivent le B indiquent le pourcentage de biocarburant incorporĂ© (c’est pareil pour l’essence avec le E). 

Le gros (Ă©norme) avantage avec les biocarburants, c’est qu’il n’y a rien Ă  changer dans les moyens de transport, aucun investissement Ă  faire, on change juste le carburant et paf les Ă©missions de CO2 diminuent. Difficile de faire plus rapide (urgence climatique toussa toussa).

Ensuite on s’arrĂȘte sur une premiĂšre française (mondiale ?) avec les bus : le rĂ©trofit, par le CMRT (@CRMT_Powertrain). L’idĂ©e c’est de prendre les bus diesel pas trop vieux qui peuvent encore rouler, et de leur mettre un moteur Ă  gaz Ă  la place.

Ça permet de prolonger leur durĂ©e de vie et d’amĂ©liorer leurs performances environnementales (CO2, particules, NOx, 
) en limitant les coĂ»ts et les mises Ă  la casse 👍. C’est encore en essais pour l’instant mais ça avance et le marchĂ© va forcĂ©ment se dĂ©velopper.

Grosse attraction sur le stand de Symbio (@SymbioFCell), avec un utilitaire qui roule Ă  l’hydrogĂšne. Au dessus en noir vous avez un bout de la pile Ă  combustible, et dessous dans les 3 bouteilles, 5 kg d’hydrogĂšne compressĂ© Ă  700 bars, pour environ 500-600 kilomĂštres d’autonomie.

Une pile Ă  combustible c’est en fait un assemblage de fines plaques (1-2 millimĂštres d’épaisseur) dans lesquelles vont passer l’hydrogĂšne des bouteilles et l’oxygĂšne de l’air. Et comme dans une pile classique, il y aura un Ă©change d’ions et d’électrons, ce qui fera un courant Ă©lectrique.

Plus on empile de plaques et plus on a de puissance (et plus c’est compliquĂ© Ă  fabriquer aussi). Chez Symbio il y a plusieurs puissances, de 40 kW Ă  300 kW (55 Ă  400 chevaux) pour couvrir plein d’usages diffĂ©rents. Selon la puissance de la pile Ă  hydrogĂšne il peut aussi y avoir une batterie classique supplĂ©mentaire pour faire tampon et apporter un complĂ©ment de puissance.

​​Tant qu’on est dans les batteries, on est allĂ© faire un tour chez Leclanche (@Leclanche_SA), qui conçoit et fabrique des systĂšmes de stockage d’énergie. Pour le transport, ils proposent des packs de batteries Ă  intĂ©grer dans les vĂ©hicules utilitaires, bus, engins de chantier, etc. 

Une anecdote intĂ©ressante, le nom de l’entreprise vient de Georges LeclanchĂ©, ingĂ©nieur français du XIXĂšme siĂšcle qui est l’inventeur de la pile saline Ă  l’origine des piles bĂątons que l’on connaĂźt aujourd’hui đŸ‡«đŸ‡·đŸ’Ș. 

Il n’y en avait pas que pour les gros vĂ©hicules. Voici par exemple le triporteur Ă©lectrique de livraison urbaine Freegones (vous l’avez ? 😉) dĂ©veloppĂ© par Kleuster, qui peut embarquer plein de trucs (benne, plateau, frigo, 
) et transporter jusqu’à 400 kg de charge utile ! C’est Ă  assistance Ă©lectrique donc il faut pĂ©daler un chouĂŻa et la vitesse maximum sera d’environ 15 km/h, mais avec un mĂštre de large, cet engin pourra se faufiler partout en ville, en silence et avec une autonomie d’environ sept Ă  huit heures (rĂ©gĂ©nĂ©ration d’énergie au freinage et descente) 👏

Pour faire plaisir Ă  Kako on a fait un arrĂȘt chez Continental (@Continental_fr) pour parler des pneus (ok j’avoue je voulais y aller aussi 😊). Contrairement Ă  ce qu’on peut penser, un pneu c’est un produit assez high tech, il y a plein de couches et de matĂ©riaux diffĂ©rents : en gros dans un pneu il y a 40% de caoutchouc, 30% de remplissage, 15% de renforcement (acier, fibres, 
) et les 15% restants sont des produits chimiques divers (plastifiants, soufre, 
). Et bien sĂ»r, la composition varie selon chaque modĂšle de pneu
 đŸ€ȘđŸ€Ż

Vous imaginez du coup qu’avec tous ces mĂ©langes bizarres, les pneus sont compliquĂ©s Ă  recycler. Pour faire simple, sur les 60 millions de pneus vendus en France chaque annĂ©e :

– Valorisation Ă©nergĂ©tique : 40%
– Recyclage matiĂšre : 40%
– RĂ©utilisation : 15%

​​Et lĂ  vous allez me dire que c’est couillon de brĂ»ler des pneus, mais en fait ça Ă©vite de brĂ»ler autre chose. En gros une tonne de pneu brĂ»lĂ© Ă©vite une tonne de charbon 😼 Donc les valorisations Ă©nergĂ©tique et matiĂšre c’est un peu archaĂŻque mais c’est nettement mieux que rien. 

Et voilĂ  les tonnages de collecte de pneus par dĂ©partement. J’ai rien Ă  dire dessus mais comme je trouvais cette info assez inutile (le genre d’info qui te fait une belle jambe) je la partage 😅

Un mot sur les pneus rechapĂ©s, c’est-Ă -dire des pneus dont la structure est encore bonne mais la bande de roulement est usĂ©e et qu’on vient remplacer par une neuve. Par rapport Ă  un pneu neuf c’est donc moins de ressources et moins de CO2.

Donc les pneus rechapĂ©s sont meilleurs pour l’environnement, moins chers Ă  l’achat, entre 70% et 80% des pneus de camions sont rechapĂ©s, mais quasiment rien pour les voitures
 Pourquoi ? đŸ€”Â  C’est pas trĂšs reluisant mais ce serait dĂ» Ă  la rĂ©ticence et aux prĂ©jugĂ©s des automobilistes qui pensent que les pneus rechapĂ©s sont de moins bonne qualitĂ© et n’en veulent donc pas. Un peu la mĂȘme chose qu’avec les bouteilles de lait grises en fait. Mal perçues par les consommateurs alors qu’elles sont meilleures pour l’environnement et de qualitĂ© Ă©quivalente


Des confĂ©rences aussi Ă  ce salon, et celle sur les objectifs CO2 a eu toute mon attention. Je n’étais pas le seul d’ailleurs, la salle Ă©tait pleine Ă  craquer et je me suis retrouvĂ© debout au fond avec une tempĂ©rature du RCP8.5 en 2100 (les vrais comprendront 😌).

Cette confĂ©rence Ă©tait en deux parties : les constructeurs d’abord, et les transporteurs ensuite. Je vous le dis franco, c’était HYPER intĂ©ressant !! đŸ€Ż Voici les idĂ©es et messages principaux, vous jugerez par vous-mĂȘmes â˜ș

PremiĂšre partie : les constructeurs.

Ils partagent le mĂȘme constat et les mĂȘmes enjeux, mais ont des visions et des stratĂ©gies trĂšs diffĂ©rentes pour y rĂ©pondre.

COMITÉ NATIONAL ROUTIER

Un vĂ©hicule GNL (gaz naturel liquĂ©fiĂ©) coĂ»te 43% plus cher qu’en diesel. Mais le carburant gaz coĂ»te 22% moins cher que gazoil (*avant l’invasion russe*). L’utilisation d’un vĂ©hicule gaz est plus intensive (27% de kilomĂštres en plus par rapport au gazole) car plus cher donc il faut plus de kilomĂštres pour amortir. Donc au final le coĂ»t kilomĂštres est infĂ©rieur de 17% par rapport Ă  un diesel. L’énergie sera plus chĂšre, et donc le transport sera plus cher, il faut se faire Ă  l’idĂ©e.

Mais mĂȘme si c’est plus cher, la rĂ©glementation met tous les transporteurs Ă  Ă©galitĂ© (par exemple les ZFE), et c’est une bonne chose. Les transporteurs vont devoir faire passer le surcoĂ»t au commerçant qui va le faire passer au consommateur, mais c’est lui qui a acceptĂ© de se mettre des contraintes c’est un choix de sociĂ©tĂ©. 

RENAULT TRUCKS

Obligation de rĂ©duire les Ă©missions de CO2, il n’y a plus le choix, c’est inĂ©luctable.
La vraie question est : comment on le fait et en combien de temps ? Court-moyen terme = mix d’énergies.

Les solutions ne sont pas définies donc les constructeurs sont présents sur tout. Le biocarburant est une solution disponible immédiatement sans adaptation, le B100 permet de réduire les émissions de 60% tout de suite, des transitions sont nécessaires pour électrique et hydrogÚne.

Électrique = solution la plus dĂ©carbonante et la meilleure solution pour la pollution locale. Ça Ă©volue trĂšs vite, il y a 2 ans c’était limitĂ©, les premiĂšres solutions ne rĂ©pondaient pas Ă  toutes les applications, mais maintenant on va pouvoir rĂ©pondre Ă  plus de besoins. 

Exemple : un véhicule de 16 tonnes de distribution urbaine. 
Électrique. Plus cher Ă  l’achat, mais rĂ©duction poste carburant de -50 Ă  -60%, maintenance -30%. TournĂ©e entre 150-300 kilomĂštres par jour et 8-10-12h pour charger la nuit, donc des bornes simples suffisent Ă  charger les vĂ©hicules.
L’hydrogĂšne. Le problĂšme n’est pas technologique mais Ă©conomique car le H2 est actuellement Ă  12€/kg, alors qu’il est rentable vers 4 €/kg.

MAN

Quasiment tout le parc actuel en mono Ă©nergie donc mono problĂšme. Il n’y a pas d’énergie miracle mais des critĂšres Ă  Ă©valuer : la pollution locale versus la pollution globale, quelle est la bonne Ă©nergie pour la bonne application ? Polluer de maniĂšre intelligente ou raisonnĂ©e ? 

Pas de camion gaz chez MAN qui voit le biogaz en Ă©nergie de transition, pas de prĂ©tention d’avoir toutes les Ă©nergies au catalogue. Demain grosse Ă©lectromobilitĂ© sur les segments 16/19/26 tonnes avec prioritĂ© sur les plus de 16 tonnes pour respecter les objectifs en 2025.

HydrogĂšne. Dernier sujet pour aprĂšs-demain, temps de recharge rĂ©duit, problĂšme de coĂ»t (trop cher mĂȘme Ă  10 ans) mais solution une pour autonomie supĂ©rieure Ă  500-600 kilomĂštres. 

IVECO

Actuellement 52% du portefeuille de commande de poids lourds en Ă©nergie alternative, et 82% pour les bus. Le gaz est l’énergie dominante, en dĂ©veloppement depuis 25 ans.

Le gaz est plus intĂ©ressant que le gazole pour les transporteurs car il permet l’accĂšs aux centre villes.  L’objectif est de doubler la gamme en gaz, et rajouter gamme Ă©lectrique et hydrogĂšne. L’Europe dit qu’il faut faire des vĂ©hicules Ă©lectriques mais c’est absurde maintenant qu’il y a autres choses que du gazole.

Dans le camion c’est trĂšs simple : soit on est dans le prix soit on y est pas, et si on y est pas, il n’y a pas de transition. Les prix du gaz ont explosĂ© mais le TCO (coĂ»t global de possession) se mesure sur cinq ans, donc ne freine pas les transporteurs pour l’instant. Si les prix du gaz devraient rester au taux actuel c’est la fin du gaz dans le transport, il n’y a pas de sujet.

La grande distribution est un des secteurs le plus demandeur d’énergies propres, ils doivent faire deux charges par jour, ce qui nĂ©cessite des charges rapides, donc des vĂ©hicules et une Ă©lectricitĂ© plus chĂšre, donc un coĂ»t global pas bon par rapport au gazole. 

Ce n’est pas l’Europe ni les constructeurs qui feront la transition Ă©nergĂ©tique, ce sont les transporteurs. Le problĂšme est que la rĂ©glementation europĂ©enne pose toutes les contraintes sur les constructeurs et pas sur les transporteurs.

SCANIA

Pour Scania le futur est Ă©lectrique.
Avant l’électrification complĂšte, la transition prendra du temps, beaucoup d’options. La transition est aussi Ă©conomie de carburant et biocarburants.

Les batteries sont de 300 kWh actuellement, la prochaine gĂ©nĂ©ration va doubler cette capacitĂ©. La charge des batteries est un challenge. BientĂŽt il faudra 45 minutes pour charger un 16 tonnes, pour faire 400 km. Les hybrides rechargeables avec biocarburant seront une solution de transition car les infrastructures de recharge ne sont pas prĂȘtes.

Pourquoi pas l’hydrogĂšne ? Ils ne pensent pas que ça va ĂȘtre la solution principale (mĂȘme si ça en fera un peu partie), car il faut trois fois plus d’énergie pour produire l’H2.

DeuxiĂšme partie : les transporteurs
Discours moins technique et plus politique !

TRANSPORT ET LOGISTIQUE DE FRANCE

Discussions avec les politiques trĂšs sĂ»rs des trajectoires qu’il faut emprunter : monde de certitudes.
Discussion avec les transporteurs : monde d’incertitudes (comment faire, on choisit quoi, 
).

Le but est de faire dialoguer tout le monde et faire comprendre Ă  ceux qui dĂ©cident les rĂ©glementations que c’est plus compliquĂ©. Il faut discuter avec ceux qui font le mĂ©tier, sinon ça freine la transition. Ce n’est peut-ĂȘtre pas le modĂšle le plus rapide mais c’est le plus solide.

Les ambitions sont dĂ©mesurĂ©es avec la course Ă  l’échalote dans les annonces par les responsables politiques (2050 puis 2040 puis 2030). L’ambition dans la rĂ©alitĂ© : « Dans le monde de la route, on sait trĂšs bien comment ça se termine quand on doit tourner fort dans un virage serrĂ© ».

Exemple : le projet loi finance a prĂ©vu des aides Ă  l’hydrogĂšne, les constructeurs ont dit que ça ne servait Ă  rien car ça n’existe pas, et aprĂšs les politiques s’étonnent que ça n’a pas marchĂ©. Message au monde politique : la transition Ă©nergĂ©tique, vous ne la ferez pas contre nous, vous la ferez avec nous ou vous ne la ferez pas. 

L’argent personne n’en parle, c’est le grand absent alors que c’est le verrou qui permettra de dĂ©bloquer plein de choses, investissements, 
 Aujourd’hui personne ne se dit qu’il est normal de payer le camion gaz ou Ă©lectrique plus cher. Les transporteurs sont obligĂ©s de faire un dĂ©bat uniquement avec certains (constructeur, Ă©nergĂ©ticien) mais pas avec les consommateurs alors que le coĂ»t du transport va les impacter. 

L’objectif est bien la neutralitĂ© carbone en 2050 mais le problĂšme du dĂ©bat est que la trajectoire d’émissions est linĂ©aire. Tous ceux qui travaillent sur ces questions disent qu’on dĂ©marre doucement et qu’aprĂšs ça accĂ©lĂšre, donc si on regarde annĂ©e par annĂ©e forcĂ©ment on est pas bon, mais ça ne veut pas dire qu’on y arrivera pas. 

Regret avec le gouvernement : s’ils avaient mis 20% de l’énergie qu’ils ont mis dans le ferroviaire et l’aĂ©rien dans le transport routier, les rĂ©sultats sur les Ă©missions auraient Ă©tĂ© bien meilleurs. MĂȘme en doublant la part de tous les autres modes, en 2050, il y aura encore 75% de transport par la route. C’est dans le transport routier que se feront les Ă©conomies de CO2 donc c’est lĂ  qu’il faut mettre les efforts.

OTRE 

Injonctions politiques et rĂ©glementaires pour dĂ©carboner les vĂ©hicules lourds alors que c’est toute la gamme qui est demandĂ©e par les transporteurs. 

La transition Ă©nergĂ©tique doit s’inscrire dans le temps, et ĂȘtre jalonnĂ©e. Besoin que le coĂ»t global se stabilise. Message pour les politiques : nĂ©cessitĂ© de prendre en compte la rĂ©alitĂ© de ce qu’est le transport routier. L’évolution entre les deux mondes est positive et il faut continuer Ă  intĂ©grer tout le monde pour rĂ©ussir la transition.

Que dire pour conclure tout ça ?

Certains n’auraient vu dans ce salon que les points nĂ©gatifs et les actions trop lentes ou insuffisantes, et donc une bonne occasion pour taper sur ce secteur.

Mon thread fera certainement moins de buzz mais j’ai prĂ©fĂ©rĂ© ĂȘtre positif et vous montrer les choses qui avancent dans le bon sens, car comme le dit @DrToudou : “Je pense personnellement qu’il est temps d’offrir la parole Ă  ceux qui font, qui cherchent, qui avancent, qui innovent. Des gens pour nous dire que c’est la merde, on en voit par paquet de douze. Et ils prennent la place de ceux qui tentent de nous sortir de la merde.” 

✍ L’auteure de l’article : @laydgeur est un habituĂ© des threads fouillĂ©s sur les questions Ă©nergĂ©tiques. Retrouvez le thread au bout de ce lien.
Autre thread de cet auteur sur Flint : La Russie, robinet Ă©nergĂ©tique de l’Europe