âïž Lâauteure de lâarticle : @laydgeur est un habituĂ© des threads fouillĂ©s sur les questions Ă©nergĂ©tiques. Retrouvez le thread au bout de ce lien.
Autre thread de cet auteur sur Flint : La Russie, robinet Ă©nergĂ©tique de lâEurope
20-05
Flint Production
Quelle place pour l’Ă©cologie dans le transport routier ?
Aller au salon professionnel du transport routier et parler Ă©cologie et climat, mission impossible non ? Pourtant il y a quelques mois avec Kako Line (@Kako_line), on Ă©tait au salon des solutions de transport routier et urbain (@SOLUTRANS), et ce quâon y a vu ne nous a pas déçu.
Attachez vos ceintures, ça va aller crescendo đđ
On a commencĂ© de bon matin par une expĂ©rience olfactive sur les biocarburants distribuĂ©s par Altens (@AltensFr), histoire de se mettre au parfum đ (on les a vraiment senti) :Â
– Ă gauche une espĂšce de jus de biomasse qui sera ensuite purifiĂ© et raffinĂ©
– Au milieu, du XTL fabriquĂ© Ă partir dâhuile alimentaire usagĂ©e
– Ă droite, du B100 qui comme son nom lâindique contient 100% de biodiesel
Dâailleurs au cas oĂč vous ne le sauriez pas, quand vous allez faire le plein de gazole, les chiffres qui suivent le B indiquent le pourcentage de biocarburant incorporĂ© (câest pareil pour lâessence avec le E).Â
Le gros (Ă©norme) avantage avec les biocarburants, câest quâil nây a rien Ă changer dans les moyens de transport, aucun investissement Ă faire, on change juste le carburant et paf les Ă©missions de CO2 diminuent. Difficile de faire plus rapide (urgence climatique toussa toussa).
Ensuite on sâarrĂȘte sur une premiĂšre française (mondiale ?) avec les bus : le rĂ©trofit, par le CMRT (@CRMT_Powertrain). LâidĂ©e câest de prendre les bus diesel pas trop vieux qui peuvent encore rouler, et de leur mettre un moteur Ă gaz Ă la place.
Ăa permet de prolonger leur durĂ©e de vie et dâamĂ©liorer leurs performances environnementales (CO2, particules, NOx, âŠ) en limitant les coĂ»ts et les mises Ă la casse đ. Câest encore en essais pour lâinstant mais ça avance et le marchĂ© va forcĂ©ment se dĂ©velopper.
Grosse attraction sur le stand de Symbio (@SymbioFCell), avec un utilitaire qui roule Ă lâhydrogĂšne. Au dessus en noir vous avez un bout de la pile Ă combustible, et dessous dans les 3 bouteilles, 5 kg dâhydrogĂšne compressĂ© Ă 700 bars, pour environ 500-600 kilomĂštres dâautonomie.
Une pile Ă combustible câest en fait un assemblage de fines plaques (1-2 millimĂštres dâĂ©paisseur) dans lesquelles vont passer lâhydrogĂšne des bouteilles et lâoxygĂšne de lâair. Et comme dans une pile classique, il y aura un Ă©change dâions et dâĂ©lectrons, ce qui fera un courant Ă©lectrique.
Plus on empile de plaques et plus on a de puissance (et plus câest compliquĂ© Ă fabriquer aussi). Chez Symbio il y a plusieurs puissances, de 40 kW Ă 300 kW (55 Ă 400 chevaux) pour couvrir plein dâusages diffĂ©rents. Selon la puissance de la pile Ă hydrogĂšne il peut aussi y avoir une batterie classique supplĂ©mentaire pour faire tampon et apporter un complĂ©ment de puissance.
ââTant quâon est dans les batteries, on est allĂ© faire un tour chez Leclanche (@Leclanche_SA), qui conçoit et fabrique des systĂšmes de stockage dâĂ©nergie. Pour le transport, ils proposent des packs de batteries Ă intĂ©grer dans les vĂ©hicules utilitaires, bus, engins de chantier, etc.Â
Une anecdote intĂ©ressante, le nom de lâentreprise vient de Georges LeclanchĂ©, ingĂ©nieur français du XIXĂšme siĂšcle qui est lâinventeur de la pile saline Ă lâorigine des piles bĂątons que lâon connaĂźt aujourdâhui đ«đ·đȘ.Â
Il nây en avait pas que pour les gros vĂ©hicules. Voici par exemple le triporteur Ă©lectrique de livraison urbaine Freegones (vous lâavez ? đ) dĂ©veloppĂ© par Kleuster, qui peut embarquer plein de trucs (benne, plateau, frigo, âŠ) et transporter jusquâĂ 400 kg de charge utile ! Câest Ă assistance Ă©lectrique donc il faut pĂ©daler un chouĂŻa et la vitesse maximum sera dâenviron 15 km/h, mais avec un mĂštre de large, cet engin pourra se faufiler partout en ville, en silence et avec une autonomie dâenviron sept Ă huit heures (rĂ©gĂ©nĂ©ration dâĂ©nergie au freinage et descente) đ
Pour faire plaisir Ă Kako on a fait un arrĂȘt chez Continental (@Continental_fr) pour parler des pneus (ok jâavoue je voulais y aller aussi đ). Contrairement Ă ce quâon peut penser, un pneu câest un produit assez high tech, il y a plein de couches et de matĂ©riaux diffĂ©rents : en gros dans un pneu il y a 40% de caoutchouc, 30% de remplissage, 15% de renforcement (acier, fibres, âŠ) et les 15% restants sont des produits chimiques divers (plastifiants, soufre, âŠ). Et bien sĂ»r, la composition varie selon chaque modĂšle de pneu⊠đ€Șđ€Ż
Vous imaginez du coup quâavec tous ces mĂ©langes bizarres, les pneus sont compliquĂ©s Ă recycler. Pour faire simple, sur les 60 millions de pneus vendus en France chaque annĂ©e :
– Valorisation Ă©nergĂ©tique : 40%
– Recyclage matiĂšre : 40%
– RĂ©utilisation : 15%
ââEt lĂ vous allez me dire que câest couillon de brĂ»ler des pneus, mais en fait ça Ă©vite de brĂ»ler autre chose. En gros une tonne de pneu brĂ»lĂ© Ă©vite une tonne de charbon đź Donc les valorisations Ă©nergĂ©tique et matiĂšre câest un peu archaĂŻque mais câest nettement mieux que rien.Â
Et voilĂ les tonnages de collecte de pneus par dĂ©partement. Jâai rien Ă dire dessus mais comme je trouvais cette info assez inutile (le genre dâinfo qui te fait une belle jambe) je la partage đ
Un mot sur les pneus rechapĂ©s, c’est-Ă -dire des pneus dont la structure est encore bonne mais la bande de roulement est usĂ©e et quâon vient remplacer par une neuve. Par rapport Ă un pneu neuf câest donc moins de ressources et moins de CO2.
Donc les pneus rechapĂ©s sont meilleurs pour lâenvironnement, moins chers Ă lâachat, entre 70% et 80% des pneus de camions sont rechapĂ©s, mais quasiment rien pour les voitures⊠Pourquoi ? đ€Â Câest pas trĂšs reluisant mais ce serait dĂ» Ă la rĂ©ticence et aux prĂ©jugĂ©s des automobilistes qui pensent que les pneus rechapĂ©s sont de moins bonne qualitĂ© et nâen veulent donc pas. Un peu la mĂȘme chose quâavec les bouteilles de lait grises en fait. Mal perçues par les consommateurs alors quâelles sont meilleures pour lâenvironnement et de qualitĂ© Ă©quivalenteâŠ
Des confĂ©rences aussi Ă ce salon, et celle sur les objectifs CO2 a eu toute mon attention. Je nâĂ©tais pas le seul dâailleurs, la salle Ă©tait pleine Ă craquer et je me suis retrouvĂ© debout au fond avec une tempĂ©rature du RCP8.5 en 2100 (les vrais comprendront đ).
Cette confĂ©rence Ă©tait en deux parties : les constructeurs dâabord, et les transporteurs ensuite. Je vous le dis franco, câĂ©tait HYPER intĂ©ressant !! đ€Ż Voici les idĂ©es et messages principaux, vous jugerez par vous-mĂȘmes âșïž
PremiĂšre partie : les constructeurs.
Ils partagent le mĂȘme constat et les mĂȘmes enjeux, mais ont des visions et des stratĂ©gies trĂšs diffĂ©rentes pour y rĂ©pondre.
COMITĂ NATIONAL ROUTIER
Un vĂ©hicule GNL (gaz naturel liquĂ©fiĂ©) coĂ»te 43% plus cher quâen diesel. Mais le carburant gaz coĂ»te 22% moins cher que gazoil (*avant lâinvasion russe*). Lâutilisation dâun vĂ©hicule gaz est plus intensive (27% de kilomĂštres en plus par rapport au gazole) car plus cher donc il faut plus de kilomĂštres pour amortir. Donc au final le coĂ»t kilomĂštres est infĂ©rieur de 17% par rapport Ă un diesel. LâĂ©nergie sera plus chĂšre, et donc le transport sera plus cher, il faut se faire Ă lâidĂ©e.
Mais mĂȘme si câest plus cher, la rĂ©glementation met tous les transporteurs Ă Ă©galitĂ© (par exemple les ZFE), et câest une bonne chose. Les transporteurs vont devoir faire passer le surcoĂ»t au commerçant qui va le faire passer au consommateur, mais câest lui qui a acceptĂ© de se mettre des contraintes câest un choix de sociĂ©tĂ©.
RENAULT TRUCKS
Obligation de rĂ©duire les Ă©missions de CO2, il nây a plus le choix, c’est inĂ©luctable.
La vraie question est : comment on le fait et en combien de temps ? Court-moyen terme = mix dâĂ©nergies.
Les solutions ne sont pas définies donc les constructeurs sont présents sur tout. Le biocarburant est une solution disponible immédiatement sans adaptation, le B100 permet de réduire les émissions de 60% tout de suite, des transitions sont nécessaires pour électrique et hydrogÚne.
Ălectrique = solution la plus dĂ©carbonante et la meilleure solution pour la pollution locale. Ăa Ă©volue trĂšs vite, il y a 2 ans câĂ©tait limitĂ©, les premiĂšres solutions ne rĂ©pondaient pas Ă toutes les applications, mais maintenant on va pouvoir rĂ©pondre Ă plus de besoins.
Exemple : un vĂ©hicule de 16 tonnes de distribution urbaine.Â
Ălectrique. Plus cher Ă lâachat, mais rĂ©duction poste carburant de -50 Ă -60%, maintenance -30%. TournĂ©e entre 150-300 kilomĂštres par jour et 8-10-12h pour charger la nuit, donc des bornes simples suffisent Ă charger les vĂ©hicules.
LâhydrogĂšne. Le problĂšme nâest pas technologique mais Ă©conomique car le H2 est actuellement Ă 12âŹ/kg, alors quâil est rentable vers 4 âŹ/kg.
MAN
Quasiment tout le parc actuel en mono Ă©nergie donc mono problĂšme. Il nây a pas dâĂ©nergie miracle mais des critĂšres Ă Ă©valuer : la pollution locale versus la pollution globale, quelle est la bonne Ă©nergie pour la bonne application ? Polluer de maniĂšre intelligente ou raisonnĂ©e ?
Pas de camion gaz chez MAN qui voit le biogaz en Ă©nergie de transition, pas de prĂ©tention dâavoir toutes les Ă©nergies au catalogue. Demain grosse Ă©lectromobilitĂ© sur les segments 16/19/26 tonnes avec prioritĂ© sur les plus de 16 tonnes pour respecter les objectifs en 2025.
HydrogĂšne. Dernier sujet pour aprĂšs-demain, temps de recharge rĂ©duit, problĂšme de coĂ»t (trop cher mĂȘme Ă 10 ans) mais solution une pour autonomie supĂ©rieure Ă 500-600 kilomĂštres.
IVECO
Actuellement 52% du portefeuille de commande de poids lourds en Ă©nergie alternative, et 82% pour les bus. Le gaz est lâĂ©nergie dominante, en dĂ©veloppement depuis 25 ans.
Le gaz est plus intĂ©ressant que le gazole pour les transporteurs car il permet lâaccĂšs aux centre villes. Lâobjectif est de doubler la gamme en gaz, et rajouter gamme Ă©lectrique et hydrogĂšne. LâEurope dit qu’il faut faire des vĂ©hicules Ă©lectriques mais câest absurde maintenant quâil y a autres choses que du gazole.
Dans le camion câest trĂšs simple : soit on est dans le prix soit on y est pas, et si on y est pas, il nây a pas de transition. Les prix du gaz ont explosĂ© mais le TCO (coĂ»t global de possession) se mesure sur cinq ans, donc ne freine pas les transporteurs pour lâinstant. Si les prix du gaz devraient rester au taux actuel câest la fin du gaz dans le transport, il nây a pas de sujet.
La grande distribution est un des secteurs le plus demandeur dâĂ©nergies propres, ils doivent faire deux charges par jour, ce qui nĂ©cessite des charges rapides, donc des vĂ©hicules et une Ă©lectricitĂ© plus chĂšre, donc un coĂ»t global pas bon par rapport au gazole.
Ce nâest pas lâEurope ni les constructeurs qui feront la transition Ă©nergĂ©tique, ce sont les transporteurs. Le problĂšme est que la rĂ©glementation europĂ©enne pose toutes les contraintes sur les constructeurs et pas sur les transporteurs.
SCANIA
Pour Scania le futur est Ă©lectrique.
Avant lâĂ©lectrification complĂšte, la transition prendra du temps, beaucoup dâoptions. La transition est aussi Ă©conomie de carburant et biocarburants.
Les batteries sont de 300 kWh actuellement, la prochaine gĂ©nĂ©ration va doubler cette capacitĂ©. La charge des batteries est un challenge. BientĂŽt il faudra 45 minutes pour charger un 16 tonnes, pour faire 400 km. Les hybrides rechargeables avec biocarburant seront une solution de transition car les infrastructures de recharge ne sont pas prĂȘtes.
Pourquoi pas lâhydrogĂšne ? Ils ne pensent pas que ça va ĂȘtre la solution principale (mĂȘme si ça en fera un peu partie), car il faut trois fois plus dâĂ©nergie pour produire lâH2.
DeuxiĂšme partie : les transporteurs
Discours moins technique et plus politique !
TRANSPORT ET LOGISTIQUE DE FRANCE
Discussions avec les politiques trĂšs sĂ»rs des trajectoires quâil faut emprunter : monde de certitudes.
Discussion avec les transporteurs : monde dâincertitudes (comment faire, on choisit quoi, âŠ).
Le but est de faire dialoguer tout le monde et faire comprendre Ă ceux qui dĂ©cident les rĂ©glementations que câest plus compliquĂ©. Il faut discuter avec ceux qui font le mĂ©tier, sinon ça freine la transition. Ce nâest peut-ĂȘtre pas le modĂšle le plus rapide mais câest le plus solide.
Les ambitions sont dĂ©mesurĂ©es avec la course Ă lâĂ©chalote dans les annonces par les responsables politiques (2050 puis 2040 puis 2030). Lâambition dans la rĂ©alitĂ© : « Dans le monde de la route, on sait trĂšs bien comment ça se termine quand on doit tourner fort dans un virage serrĂ© ».
Exemple : le projet loi finance a prĂ©vu des aides Ă lâhydrogĂšne, les constructeurs ont dit que ça ne servait Ă rien car ça nâexiste pas, et aprĂšs les politiques sâĂ©tonnent que ça nâa pas marchĂ©. Message au monde politique : la transition Ă©nergĂ©tique, vous ne la ferez pas contre nous, vous la ferez avec nous ou vous ne la ferez pas.
Lâargent personne nâen parle, câest le grand absent alors que câest le verrou qui permettra de dĂ©bloquer plein de choses, investissements, ⊠Aujourdâhui personne ne se dit quâil est normal de payer le camion gaz ou Ă©lectrique plus cher. Les transporteurs sont obligĂ©s de faire un dĂ©bat uniquement avec certains (constructeur, Ă©nergĂ©ticien) mais pas avec les consommateurs alors que le coĂ»t du transport va les impacter.
Lâobjectif est bien la neutralitĂ© carbone en 2050 mais le problĂšme du dĂ©bat est que la trajectoire dâĂ©missions est linĂ©aire. Tous ceux qui travaillent sur ces questions disent quâon dĂ©marre doucement et quâaprĂšs ça accĂ©lĂšre, donc si on regarde annĂ©e par annĂ©e forcĂ©ment on est pas bon, mais ça ne veut pas dire quâon y arrivera pas.
Regret avec le gouvernement : sâils avaient mis 20% de lâĂ©nergie quâils ont mis dans le ferroviaire et lâaĂ©rien dans le transport routier, les rĂ©sultats sur les Ă©missions auraient Ă©tĂ© bien meilleurs. MĂȘme en doublant la part de tous les autres modes, en 2050, il y aura encore 75% de transport par la route. Câest dans le transport routier que se feront les Ă©conomies de CO2 donc câest lĂ quâil faut mettre les efforts.
OTRE
Injonctions politiques et rĂ©glementaires pour dĂ©carboner les vĂ©hicules lourds alors que câest toute la gamme qui est demandĂ©e par les transporteurs.
La transition Ă©nergĂ©tique doit sâinscrire dans le temps, et ĂȘtre jalonnĂ©e. Besoin que le coĂ»t global se stabilise. Message pour les politiques : nĂ©cessitĂ© de prendre en compte la rĂ©alitĂ© de ce quâest le transport routier. LâĂ©volution entre les deux mondes est positive et il faut continuer Ă intĂ©grer tout le monde pour rĂ©ussir la transition.
Que dire pour conclure tout ça ?
Certains nâauraient vu dans ce salon que les points nĂ©gatifs et les actions trop lentes ou insuffisantes, et donc une bonne occasion pour taper sur ce secteur.
Mon thread fera certainement moins de buzz mais jâai prĂ©fĂ©rĂ© ĂȘtre positif et vous montrer les choses qui avancent dans le bon sens, car comme le dit @DrToudou : âJe pense personnellement quâil est temps dâoffrir la parole Ă ceux qui font, qui cherchent, qui avancent, qui innovent. Des gens pour nous dire que câest la merde, on en voit par paquet de douze. Et ils prennent la place de ceux qui tentent de nous sortir de la merde.âÂ