Flint

Flint Production

Comment interpréter l’abstention ?

Comment interpréter l’abstention ?

En bref :

66,7% d’abstentionnistes au premier tour des élections régionales et départementales, 65,7% au second tour le 27 juin 2021. Jamais un scrutin de la Ve République n’avait connu de taux d’abstention aussi hauts. Nombreux sont les médias, les personnalités politiques et les experts à qualifier ce scrutin de «crise pour la démocratie». Mais d’autres éléments plaident pour un regain démocratique, même loin des urnes. 

🤖 Qui ça intéresse ? Selon nos robots, le sujet de l’abstention résonne particulièrement du côté des partis politiques, de droite conservatrice et de gauche. Journalistes, philosophes et politiciens y accordent le plus fort intérêt. 

🗒️ À emporter : la forte abstention des Français à ce scrutin peut être lue de plusieurs manières : comme un rejet électoral, un regain de la vie démocratique, voire un effet de la pandémie. Après tout, une enquête de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale montre que la participation aux scrutins locaux ou nationaux a diminué dans une majorité de pays, avec le Covid.

Les faits : 

🦠 Le coronavirus, facteur d’abstention ?

– Dans un sondage Ipsos/Sopra Steria de juin 2021, 14% des abstentionnistes disaient ne pas vouloir aller voter en raison du coronavirus (contre 39% en mars 2020).

– La crise sanitaire peut avoir eu d’autres effets : dans une enquête d’Ipsos/Sopra Steria, 20% des abstentionnistes disent ne pas avoir eu «la tête à aller voter, [avoir eu] d’autres préoccupations ou envie de faire autre chose». 

– Selon Florent Gougou, chercheur à Sciences Po Grenoble, «la question du Covid est marginale dans l’explication de la participation électorale». Selon le Centre d’observation de la société, la participation aux élections régionales diminue depuis les années 1986. Pour les élections départementales, cette diminution de la participation remonte à 1992. 

🤔 L’abstention est-elle antipatriotique ?

– Pour l’avocat Olivier Bernheim, l’abstention est «un geste antipatriotique par excellence, de rejet du vivre ensemble» et une «lâche démission civique». 

– Pour Anne Rosencher, directrice déléguée de la rédaction de L’Express, ce taux d’abstention record révèle un abandon de la citoyenneté

– Au soir du premier tour, de nombreux éditorialistes ont justifié cette absence massive de participation, entre autres, par une mauvaise volonté des électeurs, mais aussi par une illisibilité des programmes présentés

🤔 L’abstention est-elle synonyme de vie démocratique ?

– La sociologue Anne Muxel considère que cette abstention de la part d’électeurs intermittents (usage alterné du vote, pour envoyer un message politique) constitue une «vigilance» et une «exigence» de la part des citoyens.

Selon un sondage Ifop, deux catégories sociales se sont particulièrement abstenues au premier tour : les 18-24 ans (84%) et la catégorie la plus précaire (78%). Pour Pierre Bréchon, professeur de science politique à Sciences-Po Grenoble, cela s’explique par une transformation du rapport des jeunes au vote, qu’ils considèrent être un droit plutôt qu’un «devoir citoyen». Cela traduit aussi une attente d’actions plus fortes des politiques sur les sujets qui les touchent. Pierre Bréchon explique enfin que l’abstention des classes populaires traduit leur mécontentement envers les politiques et le sentiment que leur vote ne changera rien.

– À partir d’un sondage réalisé par Viavoice, Stewart Chau, consultant, et Adrien Boche, chargé d’études, expliquent que l’abstention est le «symptôme d’un malaise exprimé, un cri d’alerte» de ceux qui s’abstiennent. Pour 80% des Français, l’abstention représente une préoccupation. À côté de ça, ils sont 65% à comprendre le choix des abstentionnistes, traduisant «une apathie démocratique reconnue, voire revendiquée». 

– Selon Ipsos/Sopra Steria, 27% des abstentionnistes ont voulu «manifester [leur] mécontentement à l’égard des hommes politiques en général» et 23% ne trouvaient aucun candidat intéressant. 

🤔 Abstention pour problèmes techniques ?

– L’État a externalisé la distribution des professions de foi de candidats dans 7 régions sur 15 à la société Adrexo, spécialisée dans la distribution de brochures publicitaires. Des candidats se sont plaints de la mauvaise distribution et Adrexo estime que 9% des plis électoraux n’ont pas été distribués pour le premier tour. Le distributeur reconnaît «de nombreuses difficultés» lors du second tour également, malgré l’aide de la Poste pour la distribution. 

🤔 Les médias en cause ?

– De nombreux internautes soulèvent le rôle des médias dans cette forte abstention, qui n’auraient pas su identifier et exposer suffisamment les enjeux de ce scrutin. Au soir du premier tour, le journaliste Laurent Delahousse, qui anime alors les débats en plateau sur France 2, regrette que les médias «ne [traitent] plus parfois les sujets qui sont essentiels pour les Français mais ceux qui potentiellement font du public». 

– Pour David Medioni, journaliste et directeur de l’Observatoire des médias, la nationalisation de la campagne par les médias, notamment en relayant abondamment les sondages et en évoquant un duel entre le Rassemblement national et La République en marche, n’a pas incité les Français à aller voter. 

– Jean-Marie Charon, sociologue spécialisé dans les médias, l’information et le journalisme, estime auprès de Franceinfo que les médias doivent «reprendre le sujet à partir des enjeux à traiter, du fond des réponses avancées par les uns et les autres, et de cesser la polarisation sur les questions essentiellement tactiques».- René Rémond, historien et politologue, tempère l’impact des médias sur les élections, car même s’ils «contribuent grandement à façonner la vie politique et concourent à la formation des électeurs», les médias «ne font pas l’élection». Selon lui, par leur faculté à sélectionner l’information et à accorder ou non de l’importance à un événement, les médias «apportent à l’électeur des éléments d’information, lui fournissent des arguments qui peuvent infléchir sa décision».

🗳️ Plus d’abstention, moins de démocratie ? 

– Selon le Baromètre de la confiance politique du Cévipof de mai 2021, 48% des Français trouvent que la démocratie fonctionne bien en France, niveau jamais atteint depuis décembre 2009 et en constante augmentation depuis décembre 2018 (+21 points). À l’inverse, 49% des Français pensent que la démocratie fonctionne mal (-22 points depuis 2018). De son côté, l’étude de Viavoice comptait 55% de mécontents en juin 2021. 

– Ce record d’abstention a relancé les débats autour de la reconnaissance du vote blanc et de l’instauration d’un seuil minimum de participation pour rendre une élection valide. Jean-Luc Mélenchon a annoncé déposer un projet de loi pour encadrer ces mesures. Pour ses défenseurs, le vote blanc est vu comme «le moyen de convaincre l’électeur de montrer son mécontentement face à l’offre politique, tout en allant remplir son devoir de citoyen».- Laurent Lardeux, chargé de recherches à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, considère que les marches, manifestations, pétitions, boycotts, sont des outils démocratiques au même titre que le vote. Pour lui, cette «diversité des modalités de participation politique non conventionnelle […] est davantage le signe de l’émergence d’un nouveau modèle de citoyenneté, résolument plus inclusif et plus horizontal», et la «défiance ne se conjugue pas avec un désintérêt».

[Modification 29.06.21 : ajout du paragraphe «Les médias en cause ? »]

Pour compléter ou corriger cet article et apporter vos sources, 📝 rendez-vous sur sa version participative ou venez 💬 en discuter avec nous sur Discord