Flint

Flint Production

L’évasion fiscale en France

L’évasion fiscale en France

En bref :

Il y a deux jours, je consacrais un Newskit au nouvel impôt mondial sur les grandes multinationales que viennent de décider 130 pays dans le monde, dont le nôtre. Jacques, un abonné, nous a signalé que l’évasion fiscale ne ferait pas perdre 4 milliards d’euros par an à la France (comme je l’écrivais), mais 60 voire 100 milliards d’euros. Avec l’aide de la communauté Flint, j’ai tenté de retrouver ces chiffres et de re-croiser les sources. Et problème : personne n’est d’accord, ce qui fait tourner la tête, impossible de voir une tendance se dégager. Alors comment s’y retrouver parmi tous ces milliards ? 

Pourquoi c’est intéressant ? La réalité est qu’il est aujourd’hui délicat de chiffrer précisément l’évasion fiscale en France, chacun y allant de son estimation. Des données manquent (c’est bien le but de la fraude fiscale…) et aucune méthode de calcul ne fait consensus, c’est pourquoi la prudence est de mise face aux chiffres avancés.  D’ailleurs, ce problème n’est pas uniquement français, puisqu’à l’échelle internationale, personne n’arrive à se mettre d’accord.

Les faits :

💡 Fraude, évasion, optimisation, exil : quésako ? Quel que soit le terme, le but recherché est le même : payer le moins d’impôt possible à son pays d’origine. En revanche, les stratégies pour y parvenir diffèrent. 

L’optimisation fiscale permet «d’échapper à l’impôt par des moyens légaux». Elle peut être «agressive» lorsqu’elle «consiste à tirer parti des subtilités d’un système fiscal ou des incohérences entre plusieurs systèmes fiscaux». 

– Il y a aussi l’exil fiscal qui consiste à déménager pour de bon dans un pays étranger, généralement un paradis fiscal.  

La fraude fiscale consiste à employer des moyens illégaux pour contourner la législation fiscale. 

L’évasion fiscale «s’inscrit généralement dans les limites fixées par la loi» en installant «de manière plutôt légale ses capitaux à l’étranger». Selon Oxfam France, c’est «une zone grise», puisqu’elle peut s’apparenter à de la fraude ou à de l’optimisation fiscale, selon les moyens utilisés.

💸 Combien ça coûte à la France ? C’est ici que ça coince. Tout le monde estime un chiffre, mais personne ne peut donner LE chiffre. Pour la députée Émilie Cariou, spécialiste des questions fiscales, «le chiffrage de la fraude et de l’optimisation fiscale est quelque chose de très compliqué à faire», en particulier celui de la fraude fiscale, car ces montants sont, par définition, dissimulés. 

– Même si le syndicat Solidaires-Finances publiques considère lui aussi «complexe voire impossible» «l’évaluation du coût de l’évasion fiscale», il tient tout de même à donner son estimation : 100 milliards d’euros par an. Eric Vernier, chercheur associé à l’Iris, et Yannick Kergoat et Denis Robert dans le documentaire La Très Grande Évasion (2019) aboutissent au même montant. 

– En novembre 2020, le rapport de l’ONG Tax Justice Network évaluait que l’évasion fiscale représentait une perte annuelle de 20 milliards de dollars (16,9 milliards d’euros) pour la France, 4e pays au monde le plus affecté par ces pratiques. 

– Le Conseil d’analyse économique va même plus loin (plus bas) en estimant que l’optimisation fiscale des multinationales, françaises et étrangères, faisait perdre à l’État français 4,6 milliards d’euros par an. 

🤔 Pourquoi autant de chiffres différents ? Mais surtout pourquoi de tels écarts ? 

– Comme l’explique France Culture, premièrement, c’est toujours difficile de chiffrer un montant qui veut justement rester dans l’ombre… Deuxièmement, les recherches sur le sujet ne prennent pas toutes les mêmes données : certaines ne comptabilisent que l’évasion fiscale des particuliers, certaines ajoutent celle des entreprises ou même l’optimisation agressive, et d’autres encore reposent sur des estimations de l’économie souterraine et l’appliquent ensuite au PIB. Bref, chacun fait un peu comme il veut. 

– L’estimation du syndicat Solidaires-Finances publiques comporte quelques soucis de méthodologie selon les experts : elle repose sur la somme totale réclamée par le Fisc et non celle réellement payée (il arrive que des redressements soient annulés) et elle considère tous ces redressements comme des fraudes, ce qui conduit donc à une extrapolation du nombre de fraudeurs, et donc du montant correspondant… 

– Dans le rapport du Conseil d’analyse économique, les auteurs précisent bien que les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) ne sont pas inclus, ce qui rendrait «le manque à gagner […] plus important».

– Les auteurs du rapport de Tax Justice Network, eux, s’appuient sur des données agrégées (la réunion de tous les comptes et données financières des différentes entités d’une entreprise) et anonymisées, déclarées par les multinationales aux 26 membres de l’OCDE en 2020. C’est une limite au calcul, selon Denis Dupré, enseignant chercheur en finance et éthique, car «il faut que l’on ait les données de tous les pays, pays par pays, qu’elles soient rendues publiques (…) si l’on veut creuser plus loin». 

– De plus, pour l’évasion fiscale des particuliers, l’étude s’appuie notamment sur les dépôts bancaires transfrontaliers de la Banque des règlements internationaux (BRI), ce qui minimise le montant total selon Eric Vernier, puisque «les banques qui reçoivent de l’argent sale ne déclarent pas leurs centres de dépôts». 

– Pascal Saint Amans, le directeur fiscal de l’OCDE, est plus catégorique : «Aucune évaluation n’est exacte, tous les chiffres sont faux». – Pour autant, le problème est bien réel puisque 130 États ont jugé utile d’instaurer un taux d’imposition minimal sur les plus grandes multinationales.

Ce kit a été écrit avec la participation des abonnées de Flint A.M, Nina Taiga, Faust et Renard.

Pour compléter ou corriger cet article-ci et apporter vos sources, 📝 rendez-vous sur sa version participative ou venez 💬 en discuter avec nous, sur Discord