Flint

Flint Production

L'art de rater des trucs

L'art de rater des trucs

Cher(e) toi,

J’arrive un peu les mains vides ce matin parce que, figure toi, j’avais prévu un cadeau pour l’anniversaire d’une amie ce soir. Or, il se trouve que l’artiste à qui j’avais commandé ledit cadeau m’a répondu que, en effet, l’objet arriverait en 4 jours ouvrés, mais seulement une fois qu’elle l’aurait fabriqué. Sans me dire exactement quand parce que c’est une artiste. Bon. Du coup je me suis dit que j’allais dessiner le cadeau, enfin une évocation du cadeau disons, histoire d’arriver avec quelque chose. Je trouvais que c’était une excellente idée au départ. Sauf que comme je ne suis pas non plus un super dessinateur, j’ai refait vingt fois mon dessin. À un moment je me suis dit, je ne sais pas pourquoi, que ça serait bien d’y ajouter des paillettes et de découper des trucs, du coup ma terrasse s’est transformée un peu en atelier arts plastiques pour les nuls.
Histoire de partager avec toi ce samedi passé à ne pas travailler, voici l’un des dessins ratés que je n’ai pas gardé finalement.


Une amie m’a dit, « mais tu as cinq ans et demi en fait ? » Alors non, mais en fait pourquoi pas ? Son fils, qui a justement cinq ans, n’a fait aucune remarque sur la qualité très relative de mon art, mais a complètement bloqué sur un détail du dessin : la petite lettre cachée sous la porte. « Maiiis qu’est-ce qu’il y a dans la petite lettre ? » a-t-il demandé. J’ai trouvé ça mignon

Tout ça pour te dire que j’y ai passé la journée. Et que, donc, je n’ai pas eu le temps de rédiger ce Flint Dimanche. Mais j’ai appris quelque chose, quand même. En fait, j’étais en train de t’écrire un truc sur le Japon (et je galèrais un peu après avoir lu trois livres sur des sujets aussi différents que la philsophie des Sumos, le fameux « Ikigai » qui fait que tu es heureux de faire des trucs même quand tu les rates, et le concept de wabi-sabi qui signifie plus ou moins que l’imperfection c’est beaucoup plus intéressant que la perfection). Je n’ai pas eu le temps d’en faire quelque chose d’intéressant pour toi, mais un extrait d’un de ces livres m’a interpellé. Justement à propos de l’âge mental. Dans « Le petit livre de l’Ikigai », le neuroscientifique japonais Ken Mogi raconte que le général américain Douglas MacArthur disait à propos du Japon d’après-guerre que c’était « une nation d’enfants de douze ans« . Sa formule était censée être méprisante. Elle faisait référence à la nature immature de la démocratie japonaise de l’époque. « Mais si on considère qu’une mentalité jeune avec une expression avide de curiosité est un plus dans la vie, alors cette remarque de MacArthur pourrait passer pour un compliment ».

L’auteur rapporte alors l’histoire fascinante des bols étoilées japonais, considérés là-bas comme des trésors nationaux. Ces bols, appelés « Yohen Tenmoku », sont « constellés de taches qui ressemblent à des étoiles, dans un bleu profond, violet d’autres couleurs, comme une galaxie de lumières scintillantes dispersée dans l’immensité noire du cosmos », sont au nombre de trois, et n’ont jamais pu être reproduits. Leur technique de fabrication (qui viendrait de Chine), est considérée comme l’un des plus grands mystères de l’histoire de la poterie : un processus chimique de transformation qui n’est pas entièrement compris des artisans. La reproduction du bol étoilé est aujourd’hui la passion de quelques uns des plus grands artisans potiers du Japon, qui n’y arrivent donc jamais. Mais peu importe, explique l’auteur, qui raconte l’histoire de Souhichi Nagae, un potier qui a passé sa vie à tenter de fabriquer le fameux bol étoilé mais qui est mort d’une crise cardiaque avant d’y arriver. Son fils reprit le flambeau, et essaya plus de 700 mélanges spéciaux pour recouvrir la poterie avant de la mettre à cuire. Sans succès. Il importa un container de Chine, « pour un poids total de 40 tonnes, ce qui permet de fabriquer 10.000 bols. Pour Nagae, la reproduction d’un bol étoilé était comme la construction d’une pyramide. Au sommet se trouvaient les bols étoilés. Néanmoins il faut d’abord niveler le terrain pour rendre l’ascension possible. » Sans succès ! Merde alors !

Cette histoire, conclut-il, est révélatrice de deux aspects de la mentalité japonaise, qui vont peut-être te parler : leur infinie curiosité pour les choses qui viennent de l’étranger (la technique oubliée du bol étoilé viendrait donc de Chine, même s’il y a débat), et leur insatiable capacité à produire des choses avec méticulosité. Le plaisir de « faire », l’Ikigai, dépasse le résultat. Commencer petit, et avancer pas à pas, ne leur pose aucun problème. De l’imperfection des actes nait la perfection de l’oeuvre. Toujours inachevée, souvent recommencée. « Peut-être bien que l’Ikigai fait de nous tous des Peter Pan » : c’est à dire « la jeunesse d’esprit, la détermination et la passion ».

On se perd parfois à se donner des objectifs au lieu de ce concentrer sur ce que l’on fait, tu ne trouves pas ? On se désespère de nos échecs avant même de prendre plaisir à ce que l’on construit. Construire pas à pas, avec ce que l’on a, et donc nécessairement avec imperfection. Le « Wabi Sabi » c’est ça justement (je résume grossièrement) : l’art de sublimer l’imperfection. Ça ne signifie pas que l’on se contente de peu, au contraire, ou que l’on manque d’ambition. On avance quoi qu’il arrive. Seuls les enfants sont capables d’inventer des mondes à partir d’un simple morceau de bois. Et si le bois est pourri, eh bien ils trouvent un moyen de l’intégrer à l’histoire.

🐣 Nos maximes de vie

Depuis quelques semaines, je te demande de m’envoyer tes maximes de vie, ces petites phrases qui ont accompagné ta vie, que t’ont livrées tes parents (ou ce qu’ils ne t’ont pas dit). Je continue donc aujourd’hui. Tu peux m’écrire pour m’envoyer les tiennes !

Geneviève nous parle du temps qu’il faut pour construire… et de celui, plus rapide, de la destruction :

Moi, j’ai deux « maximes » qui me viennent de ma grand-mère, qui était une femme étonnante, très moderne sur certaines choses, très archaïques sur d’autres. Comme elle avait passé plus de dix ans aux USA, ça lui avait donné un regard assez intéressant sur les sociétés et les migrants de façon générale et une fois rentrée en France, elle avait aidé des gens, fait de l’alphabétisation, aidé des boats-peoples à refaire leur vie. Ma grand-mère disait toujours que c’est important de penser à dire merci aux gens, qu’on oubliait trop souvent de remercier les gens qui nous avaient aidé, rendu des services, apporté quelque chose ( j’ai lu un joli livre sur ce thème récemment, les Gratitudes de Delphine de Vigan qui m’a beaucoup fait penser à ma grand-mère) et elle disait aussi ceci, et j’avoue que c’est une phrase à laquelle je pense assez régulièrement : « Il est toujours plus facile de détruire que de construire ». L’idée étant qu’avant de détruire quelque chose, ou même un modèle, un mode de vie, une société, il est bon de se demander si on arrivera à reconstruire mieux derrière, si on a une chance de voir ce qui sera reconstruit, si on ne risque pas de regretter. C’est évidemment une vision assez conservatrice pour le coup, mais c’est aussi porter son admiration vers ceux qui construisent, bâtissent. Détruire est souvent facile et rapide, et malheureusement souvent se produit sous l’effet d’émotions, mais construire est long, demande de la volonté, de la réflexion, de l’anticipation.

Jean-Paul partage la devise de sa grand-mère, et la sienne :

La devise que ma mère avait inscrite sur mon bureau pour me donner du cœur à l’ouvrage pendant mes études en classe préparatoire :

« Quand on veut on peut, la chose difficile est de vouloir »

La devise que j’ai adopté pour moi-même :

« Bienheureux ceux qui savent rire d’eux​-mêmes : Ils n’ont pas fini de s’amuser. » (Petite béatitude de Joseph Folliet)

🐝 Participe !

Voilà ! Tu peux me parler directement en répondant à cette lettre (ou en m’écrivant à benoit@flint.media). Je réponds à tout le monde !

Tu peux aussi rencontrer et échanger avec plus de 800 lecteurs et utilisateurs de Flint sur la plateforme Discord, en allant ici.

Et si tu veux découvrir le nouveau podcast de Jérome Colombain (ex-chroniqueur tech de France Info), je parle du nouveau Flint avec lui ici.

Passe un beau dimanche de vacances ou de travail imparfait mais agréable !

Benoît