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Pour ou contre publier le rapport du GIEC en cours d’écriture ?

Pour ou contre publier le rapport du GIEC en cours d’écriture ?

En bref : 

Créé en 1988 pour fournir des évaluations de “l’état des connaissances scientifiques, techniques et socioéconomiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade”, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) doit publier son sixième rapport complet en 2022. Mais fin juin, l’Agence France-Presse (AFP) dévoilait le contenu d’un “projet de rapport scientifique” dont, selon l’agence, les conclusions ne changeront pas d’ici la publication définitive. Parmi elles, cette alerte : “La vie sur terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L’humanité ne le peut pas.” Cette publication a déplu à une partie de la communauté scientifique, qui estime qu’elle nuit au travail en cours et que, au contraire, le contenu du rapport pourrait évoluer.  

🗒️ À emporter : derrière la tonalité inquiétante du brouillon de rapport surgissent des débats sur ce qui fait l’intérêt public d’une information ainsi que sur l’opposition entre les motivations médiatiques et scientifiques. 

Les faits : 

🗓️ Prévisions du sixième rapport du GIEC

– Le GIEC annonce sur son site que les contributions de ses trois groupes de travail sont disponibles courant 2021 – elles sont accessibles ici – et que le rapport complet doit être publié en 2022, “à temps pour le premier bilan mondial prévu au titre de la CCNUCC”, la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques

– 3 groupes de travail participent à l’écriture du rapport, le Groupe I sur “les aspects scientifiques du système climatique et de l’évolution du climat”, le Groupe II sur “la vulnérabilité des systèmes socio-économiques et naturels aux changements climatiques” et les manières d’y répondre, le Groupe III sur “les solutions envisageables pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ou atténuer de toute autre manière les changements climatiques”, selon le ministère de la transition écologique

– Écrit de manière “non-technique” pour pouvoir servir de support aux politiques publiques, le rapport de synthèse (AR6 SYR) doit être publié en septembre 2021 à cette adresse

– Le GIEC a publié un communiqué expliquant que le document fuité est un brouillon de 137 pages du travail du Groupe II, diffusé en décembre 2020 auprès d’experts et de gouvernements pour relecture. 

Pour en publier le brouillon

Le Monde, le Guardian et de nombreux médias après l’Agence France-Presse ont estimé l’information digne d’être publiée et expliquée à leur audience – ce choix fait partie intégrante du travail des journalistes. Le premier souligne notamment un ton bien plus alarmiste que dans le rapport de 2014, le deuxième met l’accent sur l’inquiétude des chercheurs envers le dépassement de paliers au-delà desquels la situation sera irréversible.

– L’activiste Greta Thunberg a estimé que ce brouillon de rapport permet de “voir la réalité en face”. Si elle continue de souligner l’urgence de la crise – elle s’est vertement attaquée aux pays riches le 1er juillet -, elle voit aussi dans le brouillon un “signe d’espoir”, qui montre que “de plus en plus de gens sont prêts à dire les choses telles qu’elles sont”

– Dans sa chronique hebdomadaire pour Slate, la journaliste Titiou Lecoq fait quant à elle le lien entre le contenu du rapport et les actions concrètes et débats à ouvrir en tant que société – parmi lesquels celui des responsabilités individuelles et collectives.

– Certains (ici, Les Echos) jugent que cela empêchera les relecteurs de laisser trop libre cours à leur volonté d’“édulcorer le contenu de ce document” à la relecture.

– La décision s’inscrit dans une tendance de couverture croissante des sujets liés à l’environnement depuis 20 ans. Les journaux télévisés y accordent 3 fois plus de temps qu’en 2000 selon l’INA, tandis que la radio a multiplié les programmes ces deux dernières années. 

🚫 Contre en publier le brouillon

– Les scientifiques auteurs du rapport n’ont pas tous apprécié la publication : Christophe Cassou, directeur de recherche au CNRS et auteur principal, signale sur Twitter qu’il ne s’exprimera pas sur les résultats, Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et coprésidente du groupe 1 du GIEC, déclare à Médiapart ne pas commenter les brouillons. 

– Auteur principal du Groupe II, François Gemenne explique au média d’investigation qu’il s’agit d’une “ébauche très préliminaire qui, en tant que telle, n’a aucune valeur scientifique.” Il précise “nous avons reçu plus de 40 000 commentaires”, intégrés jusqu’au 1er juillet avant qu’une nouvelle session de validation ne soit lancée. 

– Le Giec a lui-même expliqué qu’il était classique de faire relire le rapport aux experts et représentants gouvernementaux avant publication. 

– Valérie Masson-Delmotte précise que “la légitimité des rapports du GiEC provient de leur long et vigoureux processus de validation pour aboutir à une réelle cohérence scientifique” et se désole de ce qu’elle estime être un manque de respect pour les 260 auteurs et 1168 relecteurs mobilisés sur ce brouillon.

– Des représentantes d’ONG comme Marie Chureau de Youth for Climate estiment aussi préférable d’attendre le rapport définitif, “pour que ses résultats ne soient pas contestés”

– Ce n’est pas la première fois que des travaux du groupe fuitent, mais le chercheur Wolfgang Cramer explique à Libération : “Aujourd’hui, on a des moyens via les réseaux sociaux et on peut prendre position plus facilement pour expliquer pourquoi ces fuites ne sont pas dans l’intérêt des parties prenantes.(…)On mesure mieux notre impact médiatique.”

🌍 Échéances et signaux climatiques

– La semaine de la fuite du rapport, les villes américaines de Portland et Seattle enregistraient des records de chaleur au-dessus de 40° C, de même que Vancouver et toute la façade pacifique du Canada, où le village de Lytton a frôlé les 50°C. Juin 2021 a été l’été le plus chaud jamais observé en Amérique du Nord. 

– Une semaine plus tôt le physicien Markus Rex annonçait que le point de basculement vers un réchauffement climatique irréversible avait peut-être déjà été franchi. 

– La ville de Jacobabad, au Pakistan, a enregistré ses premiers pics de chaleur au-dessus de 50°C fin mai et tournait fin juin autour de 52°C. Associée au climat humide, cette température met le corps humain en danger de mort

– Madagascar est frappé par la famine à cause du réchauffement climatique.

– La Cop 15 sur la biodiversité se tiendra à Kiunming, en Chine, en octobre, et la COP 26 à Glasgow, au mois de novembre. Parmi les enjeux de cette dernière : la présentation de plans de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2030, ou encore des discussions sur l’aide effectivement accordée aux pays en développement via le Fonds vert pour le climat.

[Modifications 10.09.21, par Tanguy Oudoire : Le 9 août 2021, le Groupe I de travail du GIEC a publié son rapport définitif, premier des trois volets du rapport final. Le traitement médiatique de cette première partie est majoritairement alarmiste, dans le sens du rapport en lui même qui fait état d’un réchauffement climatique sans précédent, d’événements extrêmes plus fréquents et plus intenses à cause de ce réchauffement et qui place les activités humaines comme premières responsables.]

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