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Pourquoi l’incitation à la vaccination contre le Covid-19 fait-elle tant débat ?

Pourquoi l’incitation à la vaccination contre le Covid-19 fait-elle tant débat ?

En bref : 

L’autre jour, nous explorions la question qui revient de manière récurrente dans les conversations : les vaccins sont-ils vraiment utiles ? Mais même après avoir mis à plat toutes les données que nous avions pu réunir avec les abonnées et abonnés sur notre plateforme Discord, il nous a semblé que les débats qui entourent la question de la vaccination obligatoire et de l’extension du pass sanitaire durant l’épidémie de Covid-19 sont plus bien plus profonds qu’une simple interrogation sur l’utilité sanitaire de ces mesures. 

💡 Pourquoi c’est intéressant ? Sur la question des vaccins, comme probablement sur d’autres sujets clivants, les faits stricts ne suffisent pas nécessairement à convaincre. Au contraire, ils permettent même de soutenir des positions tout à fait contradictoires, qui relèvent presque plus du débat politique ou philosophique que d’un sujet de santé. 

Les faits : 

– Le 12 juillet, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place de deux mesures phares : l’obligation vaccinale pour tout le personnel des établissements de santé et l’extension du pass sanitaire à de nombreux lieux, votées par l’Assemblée nationale le 23 juillet. À partir de cet automne, seuls les tests PCR sur prescription médicale seront remboursés par la Sécurité sociale, les autres seront payants, «afin d’encourager la vaccination plutôt que la multiplication des tests». Cette mesure était recommandée par l’Académie de médecine. 

– Dans un sondage Elabe pour BFMTV publié le 13 juillet, 76% des interrogés se disent favorables à la vaccination obligatoire pour le personnel soignant. Une majorité d’entre eux soutient également la mesure qui étend l’usage du pass sanitaire, avec des variations selon les lieux concernés (76% pour l’accès aux moyens de transports, 56% pour l’accès aux bars, restaurants et centres commerciaux).

👨‍👩‍👧‍👦 Responsabilité individuelle ou collective ?  

– Ce n’est pas la première fois en France que la vaccination est rendue obligatoire pour le personnel soignant, mesure définie par l’article L3111-4 du code de la santé publique. Selon l’Académie nationale de médecine, la vaccination contre le Covid-19 des soignants est une question d’éthique, car ils sont «à l’origine de 34 % des cas groupés d’infections nosocomiales (à l’hôpital) au Sras-CoV-2». 

– En 2016, la loi introduit la notion de «vaccination altruiste» du personnel soignant, pour protéger les patients, expression que reprend Alain Fisher, président du conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, qui considère que «la vaccination est un acte de protection individuelle mais aussi un geste altruiste». Dès 1998, une lettre circulaire relative à la vaccination en milieu de travail par les médecins du travail indique qu’en cas de refus d’une vaccination obligatoire, «un changement d’affectation, voire une rupture de contrat en cas de non possibilité d’affectation» pouvait avoir lieu. 

– Comme l’expliquent l’analyste en politique publique Rafaël Amselem et l’économiste Nicolas Bouzou dans leur article pour l’Opinion, «le vaccin n’est pas de l’unique ressort de l’individu», car si avant tout on se vaccine pour soi, «cet acte profite aussi à la collectivité (…) personne n’est libre de contaminer autrui et de porter atteinte à son intégrité physique en lui faisant payer le prix de sa propre insouciance». 

🤔 Un débat bien plus profond ?

– Pour des personnalités politiques de droite comme de gauche, ainsi que des citoyens français, rendre obligatoire la vaccination pour les soignants et étendre le pass sanitaire correspondent à instaurer «une société du contrôle et de la discrimination généralisée» et constituent une atteinte à la liberté personnelle de choisir.

Pour Fergane Azihari, analyste en politiques publiques et délégué général de l’Académie libre des sciences humaines (ALSH), «la décision ou non de rendre le vaccin obligatoire est une question plus philosophique que médicale (…) La médecine nous décrit les relations de cause à effet entre une maladie et des traitements, mais les choix qui doivent être faits pour lutter contre une pandémie doivent être politiques et philosophiques»

Pour Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’université de Genève, «l’obligation vaccinale concerne un dilemme de démocratie sanitaire» car selon lui, les défenseurs d’une vaccination de masse exigent que les personnes à vacciner soient d’accord avec eux, ce qui est selon lui, impossible. 

ℹ️ La pédagogie comme solution ?  

– Comme le soulève Fergane Azihari, «la liberté va dans les deux sens: elle implique pour les uns de ne pas forcément se faire vacciner et pour les autres de pouvoir se protéger contre une menace et contre l’insouciance des autres». 

– Pour elle, comme pour la journaliste Laure Dasinières, favorable à une large vaccination, il est nécessaire d’adopter une stratégie de persuasion et de pédagogie plutôt que de coercition, contraire aux principes constitutionnels.

– Le 7 décembre 2020, l’OMS s’était également positionnée contre la vaccination obligatoire pour les mêmes raisons. 

– Frédéric de Casanove, docteur en médecine, écrit dans le média libéral Contrepoints : «La vaccination doit reposer sur la confiance et la responsabilité personnelle». Elles sont selon lui primordiales «pour la réussite d’une campagne vaccinale, puisqu’elles entraînent une «harmonie sociale», contrairement à l’obligation.  

– Le 21 juillet, la Cnil a déclaré que le pass sanitaire constituait «une atteinte “particulièrement forte” aux libertés», sans s’opposer à cette mesure, mais en conseillant le Parlement de bien l’encadrer. 

🤔 Un effort collectif pour les libertés individuelles ?

– Pour l’éditorialiste de France Inter Thomas Legrand, rendre obligatoire la vaccination ne constitue pas «un recul net de liberté puisque c’est aussi l’assurance du maintien de libertés pour tous», en évitant de subir un nouveau confinement ou des restrictions de déplacement. 

– «Notre liberté trouve sa limite dans celle des autres, développe l’avocat et essayiste Jean-Philippe Delsol, certes la liberté suppose une absence de coercition, mais il n’y a pas de liberté solitaire». 

– La tribune de Philippe Charlez, expert en questions énergétiques à l’Institut Sapiens, dans Opinion internationale est claire : forcer la vaccination n’est pas une restriction de liberté. Dans une démocratie libérale, la loi «doit éduquer la liberté» car elle est «un outil permettant à chacun de prévoir les conséquences juridiques de ses actes. Une vision prospective qui s’appelle tout simplement la responsabilité.» 

– Dans son avis «Éthique et santé publique» de mai 2021, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé propose une réflexion sur la question des libertés dans la santé publique. On y lit que «responsabiliser et susciter un engagement personnel peuvent conduire à changer les attitudes, et pourraient être plus utilisés pour réduire ce dilemme de la santé publique». Mais «assumer sa responsabilité implique d’avoir pris conscience des risques liés à certains comportements et de faire les meilleurs choix pour préserver sa santé et celle des autres» mais plusieurs exemples (consommation d’alcool, de drogue, ou la protection lors des rapports sexuels) ont prouvé que connaître le risque ne suffit parfois pas.

[Modifications 26.07.21: ajout du terme «Covid-19» dans le titre et le En bref, ajout d’un lien pour le pass sanitaire dans le En bref, précision du rôle d’Alain Fisher]

Ce kit a été écrit avec la participation des abonnées de Flint Zina, Maxime, Félix Beaulieu et Kédem Ferré.

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