Passer au tout électrique est-il forcément un progrès écologique ?

En bref :

Alors que les conséquences du réchauffement climatique sont de plus en plus prégnantes (sécheresse, famine, exode), chacun tente de savoir vers quelle énergie plus respectueuse de l’environnement se tourner. Si l’électricité apparaît comme la plus accessible, sa production relève d’une situation paradoxale, presque contre-productive.

Pourquoi c’est intéressant ? Entre enjeux environnementaux, humains et géopolitiques, la transition énergétique vers le tout électrique ne s’effectue pas sans dommages environnementaux, au point de remettre en question sa pertinence. Sortir des énergies fossiles et diminuer nos rejets carbonés doit peut-être passer par une réflexion autour de notre consommation quotidienne plutôt que par la recherche d’une nouvelle énergie. 

Les faits : 

⚡ Un besoin électrique grandissant ?

– Pour atteindre les objectifs des accords de Paris, qui visent une limitation du réchauffement climatique à 2°C en 2050, les véhicules électriques doivent représenter 75% du marché mondial d’ici là, afin de diminuer les émissions de CO2. 

– Selon la Commission européenne, le nombre de véhicules électriques dans le monde devrait exploser dans les prochaines décennies : de moins de 4 millions de véhicules en 2018, ce chiffre grimperait entre 50 et 200 millions en 2028, pour atteindre 900 millions en 2040. 

– En août 2019, le «Sky Scenario» de l’entreprise Shell estimait qu’à la fin du siècle, l’électricité représentera plus de 60% de la demande totale d’énergie dans le monde, contre 20% aujourd’hui.

– Dans un rapport publié en mai 2021, l’Agence internationale de l’Énergie (AIE) appelait à l’augmentation urgente des «investissements mondiaux annuels dans l’énergie propre» qui doivent «plus que tripler d’ici 2030 pour atteindre les 4 mille milliards de dollars». Mathilde s’est penchée sur le sujet dans ce newskit.

– Selon le document New Energy Outlook, paru en 2019, l’agence Bloomberg estime que la part de l’éolien et du solaire dans la production électrique mondiale atteindra 48% en 2050 (contre 7-8% aujourd’hui). 

– À l’origine des batteries électriques de voitures, des éoliennes ou des panneaux solaires, se trouvent des métaux comme le lithium, le zirconium, l’indium, l’argent, le cobalt ou les terres rares, notamment pour leur conductivité thermique et électrique, leur magnétisme ou encore leurs propriétés catalytiques. Ces métaux peuvent être rares, critiques ou stratégiques.

🪨 Métaux rares, critiques ou stratégiques, quelles différences ?

– Selon Kako Line, scientifique pour l’association «Septième continent», il est important de bien différencier ces trois types de métaux. Les premiers sont des métaux rares au sens géologique ou d’utilisation dans l’industrie. Les métaux critiques sont des métaux dont l’approvisionnement est rendu difficile par la mauvaise répartition géographique de leur extraction. Enfin, un métal est dit stratégique lorsqu’il est «indispensable à la politique économique d’un Etat».

♻️ Quel est le coût environnemental ? Paradoxalement, développer des énergies renouvelables impacte tout de même notre environnement.  

– L’exploitation de ces métaux, de leur extraction à leur raffinage, a de lourdes conséquences environnementales, comme le souligne le journaliste Guillaume Pitron, auteur de l’enquête La Guerre des métaux rares. Pour lui, la transition énergétique est «un leurre.[…] Nous avons juste délocalisé la pollution et faisons semblant de faire du propre». 

– Thea Riofrancos, professeure associée en sciences politiques à l’université de Providence, décrit l’extraction du lithium au Chili dans les déserts, qui nécessite une grande quantité d’eau, menace des écosystèmes entiers et pollue les sols et les cours d’eau. Guillaume Pitron généralise ses conséquences à l’exploitation des métaux rares ou critiques, qui implique notamment l’utilisation de produits chimiques pour séparer ces éléments de la roche. C’est aussi ce qu’explique Kako Line dans son thread.

– Dans la plupart des pays qui extraient ces métaux, les règles environnementales sont moins strictes qu’ailleurs, ce qui entraîne alors le rejet de «torrents d’eau noire saturée en métaux lourds» en Mongolie, la pollution de masse des rivières en Chine ou des mines de cuivre à ciel ouvert au Chili. 

🤔 Et le coût humain ?  

– Comme l’explique Théa Riofrancos, l’exploitation du lithium, et de l’ensemble des métaux lourds, est liée à de multiples enjeux sociaux puisqu’elle est liée à la violation des droits humains, entraîne des maladies respiratoires et entraîne le déplacement de populations. 

– En Chine, de nombreux villages «cancer», à proximité d’exploitations minières, présentent des taux de mortalité dus à des cancers très élevés, en raison de la pollution des sols.

– En 2020, le journaliste Charles Villa est parvenu à se rendre dans une mine de coltan en République démocratique du Congo, et ainsi à filmer les conditions dans lesquelles les mineurs récoltent cette ressource, risquant leur vie. 

🌍 Y-a-t’il des enjeux politiques ? Comme pour toute ressource aujourd’hui, oui.  

– La production de métaux rares est très inégalement répartie sur Terre, ce qui en fait aussi des métaux critiques : seules l’Australie, la Bolivie, le Chili, l’Indonésie et la Chine possèdent des réserves.

– À elle seule, la Chine produit près de 95% des terres rares. L’Australie, le Chili, l’Argentine et la Bolivie représentent 80% de la production mondiale de lithium, indispensable aux batteries. Le triangle du lithium, composé des 3 pays sud-américains, constitue 70% des réserves mondiales de cette ressource. 

– Guillaume Pitron alerte sur la dépendance du reste du monde à la Chine sur le marché des terres rares, dont elle possède le «quasi monopole», notamment parce qu’elle pourrait décider d’en limiter les exportations, comme elle a tenté de le faire dans les années 2010 avec des quotas sur les quantités exportées.

[Modifications 10.09.21 : Remplacement du terme «énergétique» par «électrique» dans le cinquième paragraphe de la première partie; ajout de compléments dans le dernier paragraphe de la première partie; ajout du paragraphe Métaux rares, critiques ou stratégiques, quelles différences ?]

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