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La publicité en ligne doit-elle choisir ses sites ?

La publicité en ligne doit-elle choisir ses sites ?

En bref :

Quel est le point commun entre Valeurs Actuelles, CNews et Boulevard Voltaire ? Ils sont tous dans le viseur de Sleeping Giants, qui se revendique comme un «collectif citoyen de lutte contre le financement du discours de haine». Son objectif est clair : priver de revenus publicitaires les sources d’information propageant selon eux un discours de haine, afin de limiter leur activité. Le 4 juin 2021, CNews et Valeurs Actuelles ont décidé de porter plainte pour diffamation, discrimination et entrave à la liberté d’expression. 

💡 Pourquoi c’est intéressant ? Empêcher la prolifération de contenus jugés haineux en s’attaquant au modèle économique du média est une nouvelle forme d’activisme. La dépendance de certains médias à la publicité rend cette tactique payante, bien qu’elle puisse être considérée comme une atteinte à la liberté d’expression. 

Les faits : 

❓ Sleeping Giants, qu’est-ce que c’est ? 

– Composé d’anonymes, le collectif Sleeping Giants s’est formé aux États-Unis, peu de temps après l’élection de Donald Trump. Il s’est déployé en France à partir de 2017, dans le même but : «assécher financièrement les relais de la haine en ligne» en privant les sources, toutes d’extrême-droite, de leurs revenus publicitaires. 

– Le principe est simple : interpeller sur Twitter des entreprises, en leur signalant que des sites d’information véhiculant «un discours de haine et d’intolérance» diffusent de la publicité pour leurs produits ou services. Le collectif a aussi cherché «des sites d’extrême gauche qui diffusaient de la peur, mais ils sont peu organisés et aucun ne profite de la pub». 

🎯 Qui sont les cibles en France ? 

– À ses débuts en France, Spleeping Giants avait ciblé le site Breiz atao, déréférencé de Google et géré par Boris Le Lay, condamné à de multiples reprises pour provocation à la haine raciale, mais aussi Boulevard Voltaire, fondé par Robert Ménard. 

– En 2019, Sleeping Giants ajoute Valeurs Actuelles à sa liste, dont les contenus sont considérés comme «pourvoyeur de haine et d’intolérance, perdant toute légitimité à être comparé à du journalisme, de l’information ou de la presse», mais également les deux chaînes de télévision qui invitent Eric Zemmour, Paris Première et CNews.   

Valeurs Actuelles dénonce une «‘campagne de sabotage industriel’ et de ‘méthodes outrancières’ auxquelles ont ‘cédé’ des ‘centaines de grandes entreprises’». Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction, évoque même du «terrorisme intellectuel».

🔎 Quelles conséquences ? La perte d’annonceurs, et donc de revenus publicitaires. 

– Selon Sleeping Giants, depuis le lancement de la campagne contre Valeurs Actuelles en 2019, 59 annonceurs ont décidé de retirer leur publicité du site. L’impact budgétaire est difficilement quantifiable. Les sites d’information Boulevard Voltaire et Breiz Atao sont également concernés par ces pertes.

– L’émission «Face à l’info» d’Eric Zemmour sur CNews s’est également vu impactée par ces actions, comme en témoignent ces chiffres de Sleeping Giants, avec notamment une baisse considérable du nombre d’annonceurs et donc une diversité de contenus publicitaires moins importante. 

– Il arrive parfois que les annonceurs se retirent d’eux-mêmes, sans action du collectif, comme la société israélienne Taboola, régie publicitaire de Valeurs Actuelles, qui avait mis fin à cette collaboration en raison des représentations de la député Danielle Obono en esclave dans une fiction dessinée de l’hebdomadaire. 

💹 Effets collatéraux de l’évolution du marché publicitaire

– Pour le collectif, les entreprises qui laissent de manière volontaire ou non leur publicité sur ces médias, qui vivent principalement grâce aux revenus publicitaires, «contribuent à financer et à faire proliférer ces médias».

– Aujourd’hui sur le web, les annonceurs choisissent rarement les sites sur lesquels leur publicité sera visible. Ils peuvent seulement indiquer aux régies publicitaires les sites sur lesquels ils ne veulent pas figurer. 

– L’évolution des pratiques publicitaires, et le développement de la publicité programmatique, la vente de publicités de manière automatisée grâce à des algorithmes, a engendré ce genre de dérive. Comme l’explique une membre de Sleeping Giants, ce type de pratique permet de faire figurer sa publicité «sur un grand nombre de supports, ce qui, évidemment, a entraîné aussi que vous ne saviez plus où était affichée votre publicité». 

⚖️ Une bataille juridique

– Le 4 juin, CNews et Valeurs Actuelles ont déposé plainte contre Sleeping Giants. L’entreprise Valmonde et Cie, propriétaire de Valeurs Actuelles, précise qu’elle le fait pour «des faits de discrimination, à raison des opinions politiques, et de nature à entraver l’exercice normal d’une activité économique». CNews compte porter 3 plaintes, deux pour diffamation et une pour discrimination et entrave à la liberté d’expression. 

– À ces accusations de censure et d’entrave à la pluralité de l’expression, une membre de Sleeping Giants répond qu’un média d’information, comme son nom l’indique, se doit de «présenter de l’information. Et peu importe de gauche, du centre, de droite». Si cette action est dépassée, le collectif estime qu’il s’agit d’un «blog d’opinion». 

– Le média Valeurs Actuelles possède le statut de presse IPG, pour média «d’information politique et générale», délivré par l’État, «afin d’assurer l’existence d’une offre de presse pluraliste seule garante du caractère démocratique du débat public». Il est également reconnu comme Service de presse en ligne (SELP) et par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP). 

– Le 17 décembre 2019, le Syndicat de l’édition de la presse magazine (SEPM) a condamné la campagne de Sleeping Giants à l’encontre de Valeurs Actuelles, jugée comme «diffamatoire et discriminatoire». Le syndicat souligne que le Code pénal punit «l’entrave à l’activité économique à raison d’une discrimination résultant de l’expression d’opinions politiques». 

– Le collectif se défend de faire du «Name and Shame», couramment employé dans les pays anglo-saxons mais également par des associations françaises comme Pépite sexiste, sous prétexte que ce qu’il révèle est visible de tous, sur les sites des médias concernés.

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