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Pourquoi le prix de l’électricité flambe-t-il en Europe ?

Pourquoi le prix de l’électricité flambe-t-il en Europe ?

En bref :

Alors que l’hiver approche, de très nombreux ménages en Europe s’inquiètent du prix de l’électricité. Celui-ci s’envole depuis plusieurs mois, sans que rien ne semble l’arrêter. L’électricité est présentée comme l’énergie capable d’accompagner la transition énergétique, enjeu majeur pour de nombreux États, mais l’augmentation de son coût pour le consommateur révèle des problématiques de moyens de production et d’autonomie énergétique. 

💡 Pourquoi c’est intéressant ? L’exemple de l’électricité n’est qu’un cas parmi d’autres : le prix de la plupart des énergies a augmenté ces derniers mois, ce qui illustre les enjeux politiques que recouvre la production énergétique et les liens d’interdépendance qui persistent entre États.

Les faits : 

– En 2021, selon les chiffres du think-tank Ember(🇬🇧), la demande européenne en électricité à augmenté de 6% par rapport à 2020. Tout en faisant face à cette demande croissante, l’Union européenne doit également veiller à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Et pour cela, les énergies renouvelables sont présentées comme indispensables. 

🇪🇺 Comment l’Union européenne produit son électricité ?

– La production électrique européenne provenant de sources renouvelables a augmenté de 11% en moyenne sur les 6 premiers mois de 2021 (S1-2021), par rapport à la même période en 2019 (S1-2019, pré-pandémie). Dans le mix électrique (“éventail des combustibles qui servent à produire de l’électricité dans une région géographique donnéePlanète Energies) de l’Union européenne, ces énergies renouvelables sont la première source de production, à hauteur de 39%. 

– La part du nucléaire dans la production électrique européenne a quant à elle diminué de 8% sur S1-2021 par rapport à S1-2019, s’élevant à 25% du mix électrique selon Ouest France, tout comme celle provenant d’énergies fossiles (-10%). 

– En Europe, comme tous les réseaux électriques nationaux sont connectés les uns aux autres, les moyens de production électrique sont “appelés” sur le réseau “par ordre des coûts variables croissants [qui dépendent de la production] jusqu’à satisfaire la demande”, comme l’indique La Revue générale du nucléaire de la SFEN (Société française d’énergie nucléaire). 20minutes détaille : d’abord, faire appel aux énergies les moins chères, celles renouvelables (éolien, solaire et hydraulique). Lorsqu’elles ne peuvent plus répondre à l’ensemble des besoins, on ajoute d’autres types d’énergie, dans l’ordre croissant de leur coût de production : le lignite (charbon de basse qualité), puis le nucléaire, le charbon, et enfin le gaz, qui est le plus cher. Plus la demande d’électricité augmente, plus le gaz est nécessaire. 

– L’internaute @Laydgeur le détaille très bien dans son thread sur Twitter, repris ici par Flint : l’Union européenne importe beaucoup son gaz (elle ne possède qu’environ 3,3% des réserves mondiales selon Selectra), et achète 40% de son électricité chez son voisin russe. Elle se fournit également auprès des méthaniers qataris, australiens et américains qui lui livrent du gaz naturel liquéfié. 

📈 Gaz et électricité, même combat

– Or, le prix du gaz a explosé depuis ces derniers mois, en Europe, mais plus généralement dans le monde. Cette infographie du Figaro(€) permet de visualiser l’envolée des prix : +233% en Europe entre mars 2020 et le 9 septembre 2021. Ceci s’explique par une demande très forte en Asie avec une reprise économique très dynamique, une production moindre des Pays-Bas (principal gisement européen de gaz) en raison d’opérations de maintenance, un dernier hiver plus long et plus froid en Europe et donc une consommation de gaz plus importante… Autant de facteurs qui ont fait flamber les prix du gaz et impacté les stocks européens.

– D’autres raisons à cette hausse du prix du gaz sont avancées par Jean-Pierre Favennec (spécialiste de l’énergie, professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs) dans Atlantico : en raison de la sécheresse en Amérique du sud, les barrages hydrauliques qui assurent habituellement une bonne partie de la production électrique locale n’ont pas produit suffisamment, augmentant la demande en gaz du sous-continent. Avec sa volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre, l’Union européenne dissuade de son côté les investisseurs de miser sur des productions de gaz ou de pétrole, pourtant encore nécessaires pour assurer la transition.

– Au cœur de cette crise du gaz se joue aussi un conflit géopolitique entre l’Ukraine et la Russie, qui n’a fait que creuser les stocks européens. Comme le détaille Le Monde(€), le gaz russe transite vers l’Europe via le gazoduc d’Ukraine. Mais malgré la hausse générale de la demande en gaz, le fournisseur Gazprom, dont le dirigeant est un proche de Vladimir Poutine, a décidé de ne pas livrer plus de gaz que prévu pour deux raisons : ne faire aucun cadeau à l’Ukraine (qui tente de rejoindre l’Union européenne depuis plusieurs années, et est en guerre depuis 2014 contre les séparatistes du Donbass soutenus par le Kremlin), et prouver la nécessité du nouveau et controversé (voir Courrier international) Nord Stream 2, construit en mer Baltique pour alimenter plusieurs pays européens tout en contournant l’Ukraine.

– Si bien qu’aujourd’hui, on craint ne pas avoir assez de gaz pour l’hiver prochain. Sur la base des chiffres de Gas Infrastructure Europe(🇬🇧), cet internaute présente les stocks gaziers de plusieurs pays européens : si aucun changement significatif n’affecte la France, la Belgique ou l’Espagne, en Allemagne, aux Pays-bas ou en Autriche, la situation est de loin la pire depuis 2011. En moyenne, les stocks européens n’ont jamais été si bas à cette période de l’année depuis 10 ans (71% des stocks, contre 86% en temps normal à cette période, selon Les Echos(€)).

– Le 20 septembre, la Norvège, dont l’entreprise Equinor est le deuxième fournisseur de gaz d’Europe, a annoncé vouloir augmenter ses livraisons vers le Vieux Continent pour les 12 prochains mois, relate la RTBF.  

⚡ Quel rapport avec l’électricité ?

– Comme l’ingénieur en génie atomique et vulgarisateur @buchebuche561 le montre dans ce thread, le prix de l’électricité en Europe explose depuis le mois d’août : d’environ 60€ par Mégawatt-heure (MWh) le 15 août, on est passé à 168,22€/MWh le 15 septembre. 

– En France, le (triste) record du prix de l’électricité de 2008 a été battu. Alors à 45€ en début d’année, le mégawattheure peut désormais coûter jusqu’à 200€ selon RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité.

L’UFC-Que choisir a communiqué ses prévisions : au 1er janvier 2022, le prix de l’électricité pourrait de nouveau observer une augmentation, jusqu’à 10% cette fois. Si cela se produit, l’augmentation de la facture d’électricité en France depuis janvier 2019 pourrait être de 25% en janvier 2022. 

– Ces augmentations de prix vont plus fortement impacter les ménages les plus modestes, notamment les 5,8 millions de ménages bénéficiaires du chèque énergie à qui le gouvernement a accordé une rallonge de cent euros, d’après 20minutes.

Franceinfo l’explique : le prix du mégawattheure “est établi en prenant en compte le coût de production de l’électricité par la dernière centrale thermique appelée en cas de pic d’activité”. Par exemple, pour la France, cette dernière centrale se situe en Allemagne, et fonctionne au gaz. Donc plus le prix du gaz augmente, plus le prix de l’électricité aussi. Une autre variable intervient ajoute la SFEN : les quotas d’émission de CO2. En Europe, les exploitants de centrales électriques sont tenus d’acheter autant de droits d’émission de CO2 que ce qu’ils émettent. Jusqu’en 2018, le prix de la tonne CO2 n’était pas assez élevé (moins de 10€/tonne de CO2) pour dissuader les producteurs d’électricité d’évoluer vers des énergies moins émettrices. Depuis, l’Union européenne a réévalué à la hausse la tonne de CO2, autour de 25-30€ en 2019-2020, et depuis août 2021 supérieure à 60€. Et à ce prix-là, certaines centrales à gaz deviennent plus compétitives que certaines centrales à charbon. 

L’AGEFI (Agence économique et financière, média spécialisé dans la finance) ajoute une autre cause causes expliquent cette augmentation brutale du prix de l’électricité sur le Vieux continent : l’absence de vents a empêché les éoliennes de produire convenablement, ce qui a nécessité l’utilisation des centrales à gaz plus longtemps ou même les centrales à charbon (de plus en plus cher).

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