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Qu’est-ce que le journalisme collaboratif ?

Qu’est-ce que le journalisme collaboratif ?

En 2016, les Panama papers avaient secoué le monde de la finance grâce à l’analyse de 11,5 millions de documents issus du cabinet d’avocats Mossack Fonseca. En septembre 2021, les Pandora Papers font mieux encore : 12 millions de documents, issus de chez 14 fournisseurs de service financiers différents, démontrant l’ampleur des systèmes d’évasion fiscale établis à travers la planète. 130 milliardaires identifiés, 330 personnalités politiques passées ou présentes, dont l’ancien patron du Fonds Monétaire International Dominique Strauss-Kahn, dont les techniques d’évitement de l’impôt sont enquêtées, recoupées, expliquées par 600 journalistes de 150 rédactions. 

💡 Pourquoi c’est intéressant ? Parce que ces nouvelles révélations de grande ampleur permettent de revenir sur l’essor du journalisme collaboratif et son utilité pour l’information publique. 

En bref : 

1️⃣ À l’ère du numérique et de la fragilité financière de la presse, le journalisme collaboratif permet d’allier les forces, de faire des enquêtes de plus grandes envergures, mais aussi de soutenir des journalistes solitaires et/ou des projets demandant de long temps d’investigation. Le but poursuivi est de servir l’intérêt général. 

2️⃣ Le journalisme collaboratif peut aussi bien prendre un tour local (en Bretagne, par exemple, avec Splann !) que national ou international. Il est parfois explicitement mêlé d’une dimension de protection de la liberté d’informer, comme dans le cas de Forbidden Stories.

3️⃣ Une partie des projets de long terme de journalisme collaboratif se financent par des dons afin de protéger leur indépendance dans les choix et les publications de leurs travaux.

Les faits : 

🗞️ Un peu de contexte

Pour résumer (vraiment très) grossièrement, la révolution numérique a touché le secteur journalistique de deux manières : 

– du point de vue des pratiques, elle a offert la possibilité d’accéder à des quantités énormes de données, en sources ouvertes ou via des fuites (en simplifié, encore une fois : c’est plus simple de transmettre des téraoctets d’information sur une clé USB qu’en photocopiant à la main chaque dossier). Elle a aussi offert de nouveaux outils pour fouiller ces vastes masses de données et pour les visualiser, ce qui a permis un nouvel essor du journalisme de données (Mouvements, Interfaces numériques).

– du point de vue des moyens, elle a plutôt contribué à l’appauvrissement des rédactions. Cela a contribué à une dégradation globale des conditions de travail qui pousse de plus en plus de journalistes à fuir la profession (l’Observatoire des médias). Ce manque d’argent freine aussi le journalisme d’investigation, dans la mesure où celui-ci se déploie généralement sur le temps long et où les financements peuvent influer sur la possibilité ou pas de publier (L’ADN).

– La liberté de la presse reste menacée dans de nombreuses régions du monde, Europe comprise. La France est 34e au classement 2021 de Reporters sans Frontières (RSF) et présente une concentration forte de la propriété des médias, dont les dangers potentiels sont débattus dans La Croix (et, pour le cas Bolloré, critiqués par des journalistes et RSF). 

🖋 Journalisme quoi ? 

– L’appellation journalisme collaboratif est relativement floue. La chercheuse en communication politique et journalisme Sarah Stonbley en liste 6 variantes (expliquées en français par l’anthropologue Jonathan Chibois) selon que les créations de contenu soient réalisées seuls, ensemble, voire à l’échelle d’une organisation et que la collaboration soit à court terme ou à durée indéterminée. Elle n’y compte pas les pratiques journalistiques associées au public (et nous allons suivre cette définition dans ce newskit). 

– Notons tout de même que cet aspect collaboratif permet de traiter des masses toujours plus grandes de données et de faire un travail plus précis, plus poussé, grâce à la force du groupe. Il présente un avantage particulier pour les journalistes indépendants, dans la mesure où ceux-ci seraient potentiellement plus fragiles, seuls, face à d’éventuelles pressions (Le virus de l’info).

🔎 Des exemples d’initiatives, des exemples d’enquêtes ? Impossible de faire une liste exhaustive, mais parmi les initiatives qui ont un lien avec des rédactions françaises, citons : 

– l’International Consortium of Investigative Journalism (ICIJ), qui a coordonné les Pandora Papers, les FinCEN Files, les Panama Papers, etc. L’ONG a sa propre rédaction et un vaste réseau de journalistes avec lesquels elle travaille régulièrement. Elle fournit aussi plusieurs outils d’exploration des données massives réunies pour ses enquêtes.

Forbidden Stories vise à terminer les enquêtes de journalistes en danger de mort ou d’emprisonnement, partout dans le monde (franceinfo). La première enquête publiée, le Daphné project, avait poursuivi le travail de Daphné Caruana Galizia, assassinée à Malte pour avoir enquêté sur la corruption locale. L’ONG fournit aussi aux journalistes des outils de sauvegarde sécurisée de leurs travaux. 

Disclose est un média d’investigation à but non lucratif, dont le comité éditorial est aussi bien constitué de journalistes liés à des rédactions qu’à des indépendants – sa dernière enquête, en collaboration avec Mediapart, porte sur les dérives de l’Aide française au Développement.

– Le journalisme collaboratif peut aussi prendre une couleur locale. En témoigne le lancement de l’association Splann ! en février 2021, parrainée par Disclose et dédiée au journalisme d’investigation en territoire breton, avec un accent mis sur les thématiques environnementales. Leur première enquête démontre que la Bretagne est la première émettrice d’ammoniac du pays et sous-équipée pour y faire face. 

– Pour faire face aux fausses informations lors de la campagne électorale 2017, une équipe mêlant des journalistes de rédactions internationales, nationales et locales s’étaient réunie derrière le projet CrossCheck, encore en ligne, pour vérifier plus efficacement quelles informations sont fausses, trompeuses, ou valides.

💰 Quels modèles économiques ? 

– L’immense majorité des projets cités ici fonctionnent sur des systèmes de dons, d’organismes philanthropiques et de particuliers, dans une volonté affichée d’indépendance. CrossCheck a été en partie financé par le Google News Lab. 

💬 À quoi ça sert ? 

Si informer le grand public est normalement le but de tous les médias, la plupart de ces ces projets expriment encore plus clairement leur but de servir l’intérêt général. 

– En cinq ans, explique le directeur technique de l’ICIJ Pierre Romera à Cash Investigation (extrait), les Panama papers ont permis à la justice et aux administrations fiscales dans le monde de récupérer un milliard 150 millions d’euros. En France, après les Panama Papers, entre 15 et 20% des dossiers trouvés dans les bases de données ont donné lieu à des rectifications fiscales, pour un total de 167 millions d’euros, selon le directeur de la direction générale des Finances publiques interrogé par Libération

– Pour les Pandora Papers, Le Monde tient le compte ici des réactions à travers le monde. Les révélations étant très récentes, il faudra certainement plusieurs années avant de pouvoir dresser un bilan complet. L’ICIJ a une page “impact” pour suivre les effets de ses enquêtes.

– Disclose tient sa propre page “impact” – et se présente comme un média de solutions autant que d’investigation. 

– Un projet comme l’enquête Zero Impunity, menée par une équipes de 12 journalistes indépendantes et ayant abouti à la publication d’un travail d’envergure sur les violences sexuelles en conflit armé a permis de lancer trois pétitions pour des changements de législations, en Ukraine, aux États-Unis et en France (L’ADN).

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