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Les femmes françaises travaillent-elles gratuitement à partir du 3 novembre à 9h22 ?

Les femmes françaises travaillent-elles gratuitement à partir du 3 novembre à 9h22 ?

Le 3 novembre, la newsletter Les Glorieuses lançait sa campagne de sensibilisation annuelle sur les inégalités de salaires entre femmes et hommes. Selon ses calculs, repris aussi bien par des associations féministes comme Nous Toutes que par des entreprises comme Welcome to the Jungle, à partir du 3 novembre à 9h22, les femmes françaises travaillent gratuitement jusqu’à la fin de l’année. L’initiative de fact-checking citoyenne C’est vrai ça ? s’est inscrite à plusieurs reprises en faux, en commentaires des publications sur les réseaux sociaux : une étude démontre en effet qu’à secteurs et postes égaux, les différences de salaire sont quasiment inexistantes. Qui croire, alors ?

💡 Pourquoi c’est important ? Parce que ça illustre les conclusions différentes que peut créer le simple décalage de point de vue, de chiffres, voire de méthode de calcul adoptés.

Les faits : 

📊 Contexte économique

– Les femmes ont longtemps été moins payées que les hommes. La loi Roudy sur l’égalité professionnelle a interdit la discrimination salariale en France en 1983 (vie publique). 

– Les femme sont légèrement sur-représentées par rapport aux hommes parmi la population pauvre en France (ONU Femmes, INSEE, Haut conseil à l’égalité). Elles sont aussi sous-représentées sur le marché du travail : dans l’Europe des 27, en 2019, 67,3% des femmes étaient employées contre 79% des hommes, selon la Commission Européenne. Les femmes seules (avec ou sans enfants) et les femmes âgées ont plus de risques de tomber dans la pauvreté que les hommes (ONU).

– Globalement, le Covid a accru les inégalités sociales, notamment parce que les pertes d’emploi ont d’abord touché les plus précaires. La pandémie a aussi accru les inégalités de genre puisque les femmes ont plus souvent perdu leur emploi que les hommes, qu’elles ont généralement assumé l’immense majorité des tâches ménagères y compris lorsqu’elles travaillaient en parallèle, que les mères ont aussi deux fois plus souvent renoncé à leur emploi pour garder les enfants que les pères (ONU, Insee, Oxfam).

– La première campagne de sensibilisation sur les écarts de salaire menée par les Glorieuses remonte à 2015. Cette année-là, selon ses calculs, les femmes travaillaient gratuitement en France à partir du 5 novembre, 16h47. Mais voyons ce qui se cache derrière ces estimations. 

❌ C’est faux : les femmes et les hommes sont payés autant

– Le calcul des Glorieuses est symbolique : à moins d’une fin de contrat tombant pile le 3 novembre 2021 à 9h22, techniquement, toutes les femmes en poste continuent d’être payées comme convenu avec leur employeur. 

– Une étude menée en 2018 dans 110 pays auprès de plus de 25 000 entreprises clientes du cabinet Korn Ferry aboutit au résultat suivant : dans la même entreprise, à fonction et niveau équivalent, les écarts de salaires entre hommes et femmes ne dépassent pas les 2,7% en France, ce qu’on peut assimiler à la marge d’erreur. Une exception subsiste pour les emplois les plus hauts dans la hiérarchie de responsabilité, rapporte the Economist : en Espagne et en Allemagne, par exemple, les dirigeantes sont payées en moyenne 15 à 20% de moins que les dirigeants (les chiffres pour la France ne sont pas disponibles). 

✅ C’est vrai : les femmes sont moins payées que les hommes

– En 2017 en France, selon l’INSEE, les femmes salariées dans le secteur privé gagnaient en moyenne 16,8% de moins que les hommes pour un même volume de travail. Lorsque le calcul se penche sur le revenu salarial, soit “la somme de tous les salaires perçus par un individu au cours d’une année donnée, nets de toutes cotisations sociales”, les femmes perçoivent en moyenne une rémunération 28,5% moins élevée que celles des hommes. Dans la fonction publique, les écarts sont moins prononcés (12,4% en équivalent temps plein en 2017) mais ils se réduisent moins vite que dans le privé – et l’accès aux fonctions les mieux rémunérées reste très inégalitaire (voir aussi Libération).

– Si l’on prend les chiffres Eurostat, comme l’ont fait les Glorieuses, on obtient un écart salarial de 16,5% en 2019 en France (les chiffres n’ont pas été actualisé par l’organisme depuis le début de la crise sanitaire, rappelle Le Figaro). 

– Toutes choses égales par ailleurs, l’INSEE établissait à 6,8% l’écart de salaire inexplicable (autrement que par de la discrimination) entre femmes et hommes en 2016. 

🧮 C’est plus compliqué que ça : ça dépend du calcul… 

– Pourquoi prend-on toujours le salaire des hommes comme base de calcul, au fait ? Si l’on prenait le salaire des femmes, avec les chiffres de l’INSEE, on obtiendrait les résultats suivants : en 2017, les hommes employés dans le privé gagnent en moyenne 20,1% de plus que les femmes à volume de travail égal. En terme de revenu salarial, ils gagnent 39,8% de plus que les femmes.

📉et de tout un tas d’autres indicateurs

Les différences de statistiques relatives à l’égalité salariale dépendent en fait de quels indicateurs sont intégrés ou pas au calcul. Cherche-t-on à produire une image des salaires à l’échelle de la population globale ? D’un secteur précis ? Pour un volume de travail équivalent ? Au sein d’une même entreprise ? À poste similaire ? Chacune de ces données donne un résultat différent. 

– Pour des emplois de même niveau mais dans des entreprises différentes, Korn Ferry rapporte par exemple une différence de paie de 4% au détriment des femmes. 

– Les différences de fonctions dans une même entreprise peuvent aussi expliquer des écarts explique Le Monde, les femmes étant souvent sur-représentés dans des fonctions supports (secrétariat, RH, ou autres emplois considérés comme valant des salaires moins élevés que les expertises du coeur de métier), les hommes dans les emplois techniques. 

– Une autre différence réside dans le temps de travail, sachant que l’Insee constate que “les écarts de salaire se réduisent plus vite que les écarts de volume de travail”. Les femmes sont sur-représentées parmi les emplois à temps partiel : 29% des françaises étaient concernées en 2019 contre 8% des français, sachant que 37% des temps partiels sont subis. Cela signifie aussi que 80% des personnes employées à temps partiel sont des femmes (Eurostat / Observatoire des territoires, INSEE). 21,5 % des hommes travaillent aussi la nuit, ce qui engendre des majorations de salaire, contre 9,3% des femmes et 34% des hommes effectuent des heures supplémentaires contre 17% des femmes (DARES 2014, QAPA 2015). L’Observatoire des inégalités constate logiquement qu’en lissant les différences de temps de travail, l’écart de salaire constaté globalement entre femmes et hommes en France baisse de 23% à 16,8% en 2017 (lire aussi Le Monde).

– Hommes et femmes n’exercent pas non plus dans les mêmes secteurs. Dans le numérique, c’est un problème récurrent : 23% des salariés sont des femmes selon l’Insee / Femmes@numeriques. Dans les sociétés de services numériques où elles représentent 25% des forces de travail, elles occupent 42% des postes n’impliquant pas de programmation selon l’Insee. Dans le monde, 89% des experts en cybersécurité sont des hommes selon (ISC2). Mais les technologies sont loin d’être le seul domaine touché : la part d’hommes dans les métiers du bâtiment est supérieure à 90% tandis que les métiers d’aide à la personne sont à plus de 90% exercés par des femmes (INSEE 2012). Outre le problème de représentation, les domaines féminisés sont aussi socialement dévalorisés, ce qui se ressent dans les salaires proposés. 

– Enfin, très simplement, la moyenne globale des salaires perçus par les hommes est boostée par le fait qu’ils soient bien plus nombreux à toucher de très hauts salaires. Une seule femme est à la tête d’un groupe du CAC 40 (Catherine MacGregor, directrice de Engie), par exemple, tous les autres étant des hommes (BFM Bourse).

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[Mise à jour 8 novembre : ajout de précisions concernant la fonction publique]