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[Les mots de l’info] “Décroissance” : rêverie idéaliste ou nécessité économique ?

[Les mots de l’info] “Décroissance” : rêverie idéaliste ou nécessité économique ?

Elle était au cœur du débat du deuxième tour des primaires écologistes en septembre 2021. À quelques mois des élections présidentielles, alors que le monde sort peu à peu d’une crise sanitaire qui a accentué les inégalités et que la COP 26 s’est soldée sur un bilan peu convaincant (Le Figaro, France Info), la question se pose : faut-il envisager la décroissance ? Ou bien n’est elle que projet fou de doux rêveurs ? Le mot, dont les premiers usages remontent aux années 1970, effraie quelque peu. Aucun consensus ne domine sur sa définition, et pourtant, des personnalités politiques ou des experts scientifiques la brandissent comme une solution face aux défis sociaux et environnementaux. Qu’en est-il réellement ? 

Pourquoi c’est intéressant ? Avoir en tête les faits qui soutiennent ou contredisent les effets attendus d’une décroissance permet de réfléchir à des modèles de société future, où égalité sociale et respect de l’environnement se situent en bonne place. C’est aussi utile pour aborder les débats qui opposent frontalement partisans de la croissance et de la décroissance, et, peut-être, pour chercher une troisième voie.

Les faits 

C’est quoi la décroissance ? 

– La croissance, comprise au sens économique du terme, se mesure par le Produit Intérieur Brut (PIB) d’un pays ou d’une région. Il s’agit de la variation positive de l’activité de cette zone, estimée à partir des variations de prix, de production de biens et de services et de revenus au sein de l’espace étudié (Journal du Net, La finance pour tous).  

– Pour Serge Latouche, économiste et professeur émérite à l’Université Paris-Sud, la décroissance constitue une réflexion pour “sortir d’une société phagocytée par une économie n’ayant pour objectif que la croissance pour la croissance et dont la logique n’est pas de faire croître la production pour satisfaire des besoins constatés, mais de croître à l’infini avec, pour justification, la croissance à l’infini de la consommation” (Constructif, Le Monde, France Culture). 

– En des termes plus simples, il s’agit “d’un courant de pensée philosophique, politique, social et économique” qui doit nous amener à réfléchir “sur ce que sont vraiment nos besoins fondamentaux et sur la façon dont on peut y répondre de manière soutenable écologiquement et plus juste socialement” (Franceinfo). C’est à la fois une remise en cause d’un système économique et des indicateurs de progrès et de bien-être traditionnellement utilisés. 

– Les valeurs prônées par certains défenseurs de la décroissance (égalité, justice sociale, respect de l’environnement) sont traditionnellement défendues par la gauche et les partis écologistes. Elles sont les piliers du programme de Sandrine Rousseau (Natura Sciences), de Jean-Luc Mélenchon, mais François Ruffin (Le Monde), Benoît Hamon (Politis) ou Delphine Batho (20 Minutes) questionnent aussi la croissance. Le concept est aussi présent du côté de la droite identitaire, catholique et de l’extrême-droite, qui s’en saisissent pour théoriser un retour au local, aux racines, voire un repli sur soi, par opposition à un système économique mondialisé (Le Monde).

📉 Pour une décroissance 

– Le politologue Paul Ariès, fondateur du journal d’analyses politiques Le Sarkophage, d’inspiration altermondialiste, estime qu’“il n’est pas possible d’avoir une croissance infinie dans un monde fini”. Il voit en la décroissance un pas de côté et non un retour en arrière. Il l’oppose aux expressions de “développement durable” ou “croissance verte” (Alter Echos) car réconcilier écologie et économie est selon lui impossible.

– Selon Reporterre, site dédié à l’écologie politique et sociale, en voulant limiter et en simplifiant les besoins, la décroissance profitera aux plus pauvres, en leur permettant d’avoir accès à plus de biens et de services, ce qui leur garantira une stabilité de vie.

– Selon Tim Jackson, professeur en développement durable, la croissance contribue à creuser les inégalités, puisque ses bénéfices sont captés seulement par les plus riches. Pour une meilleure répartition des richesses, il encourage à renoncer à la quête permanente de croissance économique (Le Monde)

– Dans Alternatives économiques, classé à gauche par Challenges en 2018, le directeur de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) Xavier Timbaud plaide pour ne pas choisir entre croissance et décroissance, mais plutôt entre une société “simplifiée” (réduction des besoins) et une société “complexe”, actuelle, dans laquelle on parviendrait à introduire de la sobriété. Selon lui, la réflexion sur la décroissance tourne autour de la place que nous décidons d’accorder à l’industrie dans nos vies.

– Timothée Parrique, docteur en sciences économiques et auteur de la thèse “L’économie politique de la décroissance”, conçoit que la décroissance ne peut concerner que les pays ayant achevé leur développement, soit principalement ceux du Nord. Les pays pauvres ou en développement ont encore besoin de produire pour parvenir à un seuil de croissance acceptable, c’est-à-dire parvenir à produire au moins ce dont ils ont besoin (Franceinfo). Pour Le Monde, Steffen Lange, économiste à l’Institut pour la recherche en économie écologique (IOW) estime que “diminuer notre consommation [dans les pays développés] aura déjà un impact fort sur les émergents, en y limitant les dégâts environnementaux”. 

🔨 Concrètement, comment cette décroissance se matérialiserait ? Selon l’angle adopté, plusieurs mesures concrètes sont proposées pour lancer cette dynamique : sur le plan environnemental, hiérarchiser les biens et services en fonction de leur impact sur le climat (par un taux de TVA plus ou moins élevé, ou un compteur de charges écologiques pour chaque citoyen), adapter le prix des ressources (comme l’eau, par exemple) selon l’usage que l’on compte en faire, taxer les énergies fossiles, etc. Sur le plan social, taxer davantage les hauts revenus, supprimer les niches fiscales, instaurer un revenu universel, un revenu maximal autorisé, réduire le temps de travail, etc… (Franceinfo). 

📈 Contre une décroissance 

– Pour Gérard Horny, journaliste spécialiste des questions économiques et financières à Slate, la décroissance n’est pas une solution face au changement climatique, car c’est un concept qui “n’est pas valable pour tous, qui n’a pas la même signification pour tous ses partisans et qui n’aide en rien à la résolution du problème”. Il plaide plutôt pour des objectifs mondiaux précis, concrets et réalisables par tous, proportionnels au niveau de développement et à la pollution rejetée de chaque pays. 

– Alain Villemeur, docteur en économie et ingénieur de l’École Centrale de Paris, soutient que la décroissance est synonyme de suppression d’emplois, et donc d’une plus grande précarité. Il croit en revanche à une croissance économique plus durable et inclusive, qui passe notamment par une meilleure répartition des richesses (Le Drenche), pour sortir de ce capitalisme “injuste, inefficace et destructeur de l’environnement” (Le Figaro). 

– Dans Contrepoints (qualifié de “pure player libéral” par Le Monde en 2013), la croissance est considérée comme “un impératif pour mieux gérer nos ressources” et la décroissance comme “un caprice d’enfant gâté occidental”. Dans un autre article du site, Germain Belzile, professeur d’économie et maître en sciences économiques, dénonce des prévisions “sans fondement” des tenants de la décroissance, qui ne pourrait être supportée que par les pays riches et développés. Lui, et Gaspard Koenig voient la croissance économique comme un atout pour la protection de l’environnement et la construction d’un monde plus juste, grâce à l’innovation (La Croix). 

– C’est aussi le point de vue partagé par Guillaume Bazot, maître de conférences à l’université Paris-VIII, dans Les Echos. Il considère qu’entraîner une décroissance condamnerait les efforts et les innovations pour lutter contre le réchauffement climatique. Un rapport de 2019 de l’European Environmental Bureau (EBB) conclut cependant qu’à ce jour, aucun élément empirique ne permet de soutenir la thèse d’une croissance verte. C’est à dire qu’aucun élément scientifique ne permet de prouver que la croissance économique permettra d’atteindre un point où les pressions environnementales”  se réduiront “à une échelle proche de l’échelle nécessaire pour faire face à la dégradation de l’environnement”.

🦋 D’autres alternatives ?

– Pour Jacques Attali, le problème n’est pas la croissance mais la production (Les Echos). Plutôt que de produire moins, il propose de produire autre chose : plus de produits locaux (matériels comme alimentaires), de services de proximité. Les dépenses devront davantage être socialisées, pour la recherche, l’éducation, la santé, l’insertion, la sécurité… 

– Philippe Roch, ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement, estime que “tant que nous restons dans la logique du PIB, nous sommes piégés dans l’alternative croissance/décroissance”, qu’il considère “délétère”. Il croit en une prospérité sans croissance, qui reposerait sur l’épanouissement de chacun, l’autonomie, l’acceptation sociale, la solidarité, le bien-être, l’équilibre et qui promouvrait des valeurs telles que la confiance, le plaisir d’aller au travail, la responsabilité, l’éthique (Le Temps).

Tanguy Oudoire et Mathilde Saliou

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