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Les citoyens actifs sur Internet sont-ils politiquement plus radicaux ?

Les citoyens actifs sur Internet sont-ils politiquement plus radicaux ?

Marie Neihouser, chercheuse en science politique, Felix-Christopher von Nostitz, assistant de recherche et d’enseignement en science politique, François Briatte, assistant maĂ®tre de confĂ©rence en science politique, Giulia Sandri, professeure en science politique et Tristan Haute, maĂ®tre de confĂ©rences se sont intĂ©ressĂ©s Ă  l’interaction des utilisateurs autour des contenus publiĂ©s par les candidats sur les rĂ©seaux sociaux. Leur conclusion : le bord politique des citoyens actifs en ligne influe sur leur frĂ©quence d’activitĂ©.

Les usages Ă©lectoraux d’Internet et des rĂ©seaux sociaux ont Ă©tĂ© particulièrement scrutĂ©s lors de la campagne d’avant premier tour. De nouvelles plates-formes, telles que TikTok ou Twitch, ont Ă©tĂ© fortement investies afin de toucher les plus jeunes, et certains candidats semblent y avoir Ă©tĂ© plus performants que d’autres – notamment Jean-Luc MĂ©lenchon et Éric Zemmour. Ă€ cet Ă©gard, des Ă©tudes montrent que l’activisme sur Internet se structure souvent sur des bases idĂ©ologiques et est plus Ă©levĂ© aux extrĂŞmes de l’échiquier politique. D’oĂą une question : les citoyens actifs sur Internet sont-ils politiquement plus radicaux que l’ensemble des Ă©lecteurs ?

Les citoyens actifs sur Internet sont-ils plus radicaux ?

En France, les usages Ă©lectoraux d’Internet et des rĂ©seaux sociaux se sont dĂ©veloppĂ©s depuis la prĂ©sidentielle de 2012. Ils restent cependant relativement minoritaires. En tĂ©moignent les chiffres prĂ©sentĂ©s en Figure 1 ci-dessous et rĂ©coltĂ©s lors de la première semaine de janvier :

Figure 1. Nombre de likes et de commentaires sur les publications Twitter et. Facebook des candidats durant la première semaine de janvier 2022. Author provided

Les commentaires Ă  la suite de messages de candidats restent relativement peu nombreux tant sur Twitter que sur Facebook. Ainsi, si Jean-Luc MĂ©lenchon rĂ©colte respectivement 23 491 et 126 465 commentaires, ce qui en fait le candidat le plus commentĂ©, ces chiffres restent relativement modestes si on les rapporte au nombre d’inscrits sur les listes Ă©lectorales, ou mĂŞme au nombre de personnes inscrites sur les rĂ©seaux sociaux en France (40 millions d’utilisateurs mensuels de Facebook, 8 sur Twitter, 22 sur Instagram, 50 sur YouTube).

Surtout, certains candidats ne rĂ©coltent que quelques centaines de commentaires – ou mĂŞme moins. MĂŞme si l’on regarde le nombre de likes, pratique moins coĂ»teuse pour les internautes que le commentaire, les rĂ©actions aux messages des candidats restent relativement rares, a fortiori lorsqu’on les compare Ă  leurs nombres d’abonnĂ©s. Pour ne prendre que quelques exemples, les likes recueillis par Emmanuel Macron sur Twitter durant la première semaine de janvier ne reprĂ©sentent que 2,6 % de ses abonnĂ©s, ceux reçus par Jean-Luc MĂ©lenchon 4,4 %, ceux reçus par Marine Le Pen 1,8 %, et ceux reçus par Anne Hidalgo 0,8 %.

Reste que certains candidats suscitent plus de rĂ©actions que d’autres, et qu’à l’exception du cas particulier du prĂ©sident sortant, les candidats recueillant le plus d’interactions (likes et commentaires) sont les candidats d’extrĂŞme droite (Marine Le Pen, Eric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan) et Jean-Luc MĂ©lenchon, ce qui tend Ă  accrĂ©diter l’idĂ©e que les citoyens mobilisĂ©s sur Internet exprimeraient des choix Ă©lectoraux plus radicaux et plus polarisĂ©s que la population Ă©lectorale gĂ©nĂ©rale.

Pourquoi de telles diffĂ©rences d’activitĂ© sur Internet ?

On sait que les citoyens politiquement actifs sur Internet prĂ©sentent diffĂ©rentes caractĂ©ristiques : ils sont plus intĂ©ressĂ©s par la politique, plus diplĂ´mĂ©s, et plus jeunes que la moyenne. Hormis en termes d’âge, ils ressemblent en rĂ©alitĂ© beaucoup aux citoyens actifs « hors ligne Â». Ces pratiques politiques s’imbriquent d’ailleurs fortement : en 2012, par exemple, les Ă©lecteurs ayant participĂ© Ă  un meeting Ă©taient aussi parmi les plus actifs sur Internet.

Mais l’on sait aussi – et surtout – que, après avoir contrôlé par le sexe, l’âge, le niveau de diplôme, la situation professionnelle et l’intérêt pour la politique, les individus politiquement actifs sur Internet en 2012, ceux qui ont consulté le site ou la page Facebook d’un candidat lors des élections régionales de 2015, ou encore ceux qui ont suivi un candidat sur Internet lors de la campagne présidentielle de 2017, sont soit sensiblement plus à gauche, soit, pour une part plus faible, plus à droite, que le reste des citoyens. C’est en particulier le cas lorsque l’intensité de l’activisme sur Internet est plus faible, comme lors des régionales de 2015.

Le Tableau 1 ci-dessous complète ce portrait en montrant que, entre ceux qui se dĂ©clarent très Ă  gauche et ceux qui se dĂ©clarent très Ă  droite sur l’échiquier politique, des diffĂ©rences existent toutefois quant aux rĂ©seaux sur lesquelles ils choisissent d’être actifs :

Tableau 1. A consulté, partagé, « liké » ou commenté un contenu en lien avec la présidentielle 2022 sur les réseaux sociaux ces 7 derniers jours (en %). Dans les 7 derniers jours avant la passation du questionnaire, 9,4 % des individus se déclarant au centre ont consulté, « liké » ou partagé un contenu en lien avec la présidentielle 2022 sur un réseau privé (WhatsApp, par exemple). Champ : ensemble des répondants (N = 1619) French Election Study 2022, vague 1 (novembre-décembre 2021), CDS

Si Facebook semble autant mobilisé à l’extrême droite que par les individus se déclarant très à gauche, on note cependant des différences concernant tous les autres réseaux sociaux, qui sont bien plus utilisés à l’extrême droite.

L’écart est très important sur Twitter : seuls 2,5 % des individus se dĂ©clarant très Ă  gauche affirment avoir consultĂ©, partagĂ©, « likĂ© Â» ou commentĂ© du contenu sur cette plate-forme dans les sept jours prĂ©cĂ©dant l’enquĂŞte. Ce chiffre est quatre fois plus Ă©levĂ© chez ceux qui se positionnent très Ă  droite (12 %), soulignant possiblement en miroir l’activisme intense des soutiens d’Éric Zemmour sur cette plate-forme.

Notons, enfin, que la sociologie des organisations partisanes offre une piste d’explication complĂ©mentaire Ă  celle esquissĂ©e ci-dessus : contrairement aux partis structurĂ©s en courants ou tendances, les partis d’extrĂŞme droite, plus centralisĂ©s et constituĂ©s autour d’un leader charismatique, ont peut-ĂŞtre moins de difficultĂ© Ă  concevoir un discours unitaire et Ă  le faire diffuser sur Internet par leurs bases militantes.

Sur la base de ces résultats, et bien qu’il faille relativiser l’influence des réseaux sociaux sur le résultat final d’une élection, on peut s’attendre à ce que les électeurs soutiens d’Emmanuel Macron se mobilisent moins fortement sur Internet que les électeurs d’extrême droite – alors même qu’il est le président sortant et que sa stratégie numérique tiendra compte de ce paramètre. De même, lors des élections législatives, on peut s’attendre à nouveau à un sur-investissement des réseaux sociaux par les citoyens exprimant des préférences politiques plus polarisées que l’électorat dans son ensemble.


Cet article a été co-publié dans le cadre du partenariat avec Poliverse qui propose des éclairages sur le fonctionnement et le déroulement de la présidentielle.

Déclaration d’intérêts

Marie Neihouser a reçu des financements de ESPOL, de l’UniversitĂ© Catholique de Lille et du Ceraps.
Felix-Christopher von Nostitz a reçu des financements de ESPOL, de l’UniversitĂ© Catholique de Lille et du Ceraps.
François Briatte a reçu, dans le cadre du projet de recherche PEOPLE2022, des financements de l’UniversitĂ© Catholique de Lille et de l’UniversitĂ© de Lille.
Giulia Sandri a reçu des financements de ESPOL, de l’UniversitĂ© Catholique de Lille et du Ceraps.
Tristan Haute a reçu des financements de ESPOL, de l’UniversitĂ© Catholique de Lille et du Ceraps.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.