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Redevance audiovisuelle : quels enjeux ?

Redevance audiovisuelle : quels enjeux ?

Mardi, une partie des salariés de Radio France et France Télévisions étaient en grève pour protester contre les attaques du pouvoir envers l’audiovisuel public et son indépendance, notamment en ce qui concerne la suppression de la redevance télé.

La contribution à l’audiovisuel public (ou « redevance »), mise en place à partir de 1933 (pour la radio, puis en 1949 pour la télévision), permet de financer les médias de service public : Radio France, France Télévision, France Médias Monde, Arte et l’INA. Cette contribution s’élève à 138 euros par foyer si vous possédez une télévision ou un dispositif assimilé. En tout, cette taxe rapporte 3,7 milliards d’euros par an et va directement dans les caisses de ces entreprises. C’est une « taxe affectée ». Cela signifie que son montant est fixe et n’est pas rediscuté chaque année par le Parlement. Cela permet un financement pérenne et indépendant de l’audiovisuel public, sans que ce dernier ne subisse les aléas des changements des politiques budgétaires.

En mars dernier, le candidat Emmanuel Macron proposait de supprimer cette redevance et de l’inclure dans le budget voté chaque année au Parlement. Cette annonce a énormément inquiété les syndicats et sociétés de journalistes, notamment au sein de l’audiovisuel public. Le 11 mai dernier, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire et le ministre délégué chargé des Comptes publics Gabriel Attal ont remis le sujet sur la table en conseil des ministres, annonçant une suppression courant 2022.

Mettre fin à cette redevance et la « budgétiser » revient à la soumettre chaque année à l’approbation des parlementaires, qui pourraient arbitrairement décider de couper des vivres. C’est assujettir cet audiovisuel public au pouvoir politique. Ni plus ni moins. Si l’audiovisuel était amené à dépendre directement d’un pouvoir politique … Quid des questions d’autocensure ? Les journalistes pourront-ils encore sortir des sujets à charge contre le gouvernement, révéler des affaires qui concernent la majorité, dénoncer certains politiques ? 

Imaginons que France TV soit amené à diffuser une enquête à charge contre des députés macronistes. Pourquoi se priveraient-ils de diminuer le budget des chaînes publiques lors du prochain vote du budget ?

Les caisses de l’audiovisuel public sont déjà attaquées par le pouvoir politique depuis plusieurs années : alors que la contribution est censée être indexée sur l’indice des prix à la consommation (hors tabac), les lois de finances ont dérogé à cette règle depuis 2019. Conséquence, selon le rapport de la Fondation Jean-Jaurès, rédigé par Julia Cage : les encaissements nets de cette contribution ont baissé d’environ 101 millions d’euros en 2021. Dans un contexte de forte inflation (+ de 5%), cette situation est très inquiétante.

À cela s’ajoute les réductions d’effectifs, les plans de départ volontaire, les non-remplacements de départs à la retraite. – de moyens pour l’audiovisuel public c’est – de moyens pour les rédactions, – de moyens pour partir sur le terrain et in fine – de moyens pour informer. Or cela a été montré par plusieurs études : les pays où le service public d’information est mieux financé ont un système démocratique plus solide et de meilleure qualité. Des médias financés de façon pérenne peuvent investir sur le long terme, contribuer à une meilleure connaissance de l’actualité et de nos institutions. Face à des médias privés de plus en plus concentrés, le service public est un rempart essentiel pour préserver notre démocratie.

L’économiste Julia Cage pointe également quelque chose d’essentiel : le financement public est un moyen de pression politique. En Argentine, la publicité publique a permis au gouvernement de réduire la couverture médiatique des scandales de corruption. Il est donc essentiel de préserver un système qui ne permette pas aux politiques de faire la pluie et le beau temps dans les rédactions. Ces systèmes de prélèvements affectés sont les seuls à garantir une forme d’indépendance

138 euros par an ça vous parait beaucoup ? C’est pourtant peu par rapport à nos voisins allemands (220 euros), britanniques (190 euros) ou suisses (331 euros). Selon l’UER, notre pays se place ainsi en 8e position en termes de montant. Cette fameuse « redevance télé » est donc très loin d’être une spécificité française : 46% des pays de l’Union Européenne ont également un système de taxe ou d’impôt affectés à leur audiovisuel public.

En 2022, en France, 65 % des recettes de la redevance ont bénéficié à France Télévisions, 15,9 % à Radio France, 7,5 % à Arte France, 7 % à France Médias Monde, 2,4 % à l’INA et 2,1 % à TV5 Monde. Cette redevance représente 82% du chiffre d’affaires de France Télévisions, 86,4% pour Radio France et 95% pour la chaîne franco-allemande Arte. La publicité représente aujourd’hui donc une extrême minorité du financement de l’audiovisuel public (fort heureusement). Mais cela montre surtout l’importance qu’a cette petite taxe sur de nombreuses rédactions déjà très fragilisées et loin de rouler sur l’or.

Mais alors comment le gouvernement justifie la suppression la contribution à l’audiovisuel public ? Pour soi-disant « rendre du pouvoir d’achat » aux Français. Seulement, il y a un hic… … Dès l’annonce de cette mesure, durant la campagne présidentielle, en mars dernier, l’entourage du président assurait que la suppression de cette redevance ne créerait en aucun cas une perte de financement pour l’audiovisuel public. Vous voyez venir l’arnaque ? 

Si l’on supprime un impôt ou une taxe quelque part … il faut trouver un moyen de le compenser ailleurs. Autrement dit : sous couvert d’une mesure pour le pouvoir d’achat, le gouvernement pourrait répercuter cette suppression sur d’autres prélèvements. J’utilise le conditionnel car personne ne sait vraiment ce que souhaite faire le gouvernement : « Nous ne savons rien du mode de collecte d’une éventuelle nouvelle contribution. Nous ne savons rien du montant des engagements futurs de l’Etat et de leur pérennité dans le temps ». C’est ce que déclarait il y a quelques jours l’intersyndicale de Radio France. Preuve que même chez les principaux concernés, on ne sait toujours pas à quelle sauce on risque d’être mangé.

Dès 2017, pour Emmanuel Macron, le fonctionnement de l’audiovisuel public était « une honte ». Quelques années plus tard, en 2021, il soutenait sans réserve la fusion de TF1 et M6. On l’a peu entendu en revanche sur les menaces de l’empire Bolloré sur les médias français. Face à cela, il nous faut défendre un service public audiovisuel de qualité, épargné de toute logique économique et managériale, indépendant du pouvoir politique. Du pluralisme, des moyens pour enquêter, des journalistes. Pas de fusions, de plans d’économie et de budgétisation.

MAIS : une autre forme de taxation est-elle possible ? C’est une question à laquelle le rapport de la Fondation Jean-Jaurès tente de répondre. La contribution à l’audiovisuel public présente aujourd’hui plusieurs limites : elle ne s’applique qu’aux téléviseurs et elle ne dépend pas des revenus du foyer. Elle pèse donc plus lourdement dans les budgets des plus modestes. Aujourd’hui, 68% des pays membres de l’UER (Union Européenne de Radio-télévision) prélèvent une taxe sur l’ensemble des appareils connectés et/ou dans tous les foyers sans distinction (comme en Allemagne).

On peut aujourd’hui imaginer des solutions alternatives, notamment un impôt proportionnel ou progressif en fonction du revenu. En s’inspirant de ce que fait aujourd’hui la Suède ou la Norvège. En 2019, la Suède a remplacé la redevance par une « taxe de service public » égale à 1 % du revenu imposable. Le montant de cette taxe est limité à 1 347 couronnes suédoises, soit environ 126 euros par an. Auparavant, la redevance s’élevait à 225 euros par an et par foyer fiscal. Résultat : la mise en place de cette taxe a permis un gain de pouvoir d’achat réel pour les plus modestes ET une augmentation des moyens pour l’audiovisuel public suédois.

L’enquête réalisée dans la cadre du rapport rendu par Julia Cage montre qu’une part importante de la population française est réceptive à l’idée d’un nouveau type de contribution affectée. Les idées ne manquent pas et les modèles de contribution sont multiples. À nous de réorienter le débat et de mettre ces propositions dans le débat pour garantir l’indépendance de l’audiovisuel public !

Pour consulter le rapport de la Fondation Jean-Jaurès rédigé par Julia Cage, c’est ici.

✍️ L’auteure de l’article : Léo Lefrançois (@Leo_Lefrancois) est un jeune journaliste, à Radio Parleur. Il est spécialisé dans la politique, les luttes sociales et les médias. Retrouvez le thread au bout de ce lien.