26-07
Flint Production
Conserver, modifier ou supprimer la redevance audiovisuelle ?
3,2 milliards dâeuros par an. VoilĂ ce que rapporte la contribution citoyenne Ă lâaudiovisuel public (CAP), ou redevance audiovisuelle. Et chaque annĂ©e, France TĂ©lĂ©visions, Radio France, Arte ou France MĂ©dias Monde en bĂ©nĂ©ficient. Oui mais voilĂ , sa suppression a Ă©tĂ© lâune des promesses de campagne dâEmmanuel Macron. Elle a Ă©tĂ© approuvĂ©e par lâAssemblĂ©e nationale le 23 juillet. Alors pourquoi la supprimer ? Faut-il la garder ? Peut-on simplement la rĂ©former ? Pour y voir plus clair, je suis allĂ© chercher les arguments des dĂ©fenseurs de la redevance, celle de ces dĂ©tracteurs, et puis ceux qui proposent des alternatives. Pour que lâon puisse rĂ©flĂ©chir tous ensemble au sort de lâaudiovisuel public.
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- au service dâune information de qualitĂ© pour tous
Pour Pauline Perrenot, dâAcrimed, supprimer cette redevance ne ferait que renforcer la dĂ©pendance des chaĂźnes publiques au budget de lâĂtat, et ainsi favoriser les pressions politiques. En dĂ©clarant vouloir le faire pour les Français, le gouvernement oppose âles usagers Ă leurs services publicsâ. Lâassociation milite pour un renforcement du service public, dans un contexte de forte concentration des mĂ©dias privĂ©s. Câest Ă©galement ce que critique le quotidien allemand Tagesspiegel, qui considĂšre que âles mĂ©dias publics dans une dĂ©mocratie doivent disposer d’un financement transparent et pĂ©renneâ (Acrimed, France 24, MĂ©diapart, Tagesspiegel).
La chercheuse spĂ©cialiste en droit audiovisuel Pauline Trouillard estime quâen remettant en cause lâautonomie de lâaudiovisuel public vis-Ă -vis du pouvoir politique et du marchĂ©, une suppression de la redevance serait mĂȘme contraire aux textes europĂ©ens. Elle restreindrait encore plus lâobligation de pluralisme et dâimpartialitĂ© de lâaudiovisuel public, conditions de la dĂ©mocratie selon la Cour europĂ©enne des droits de lâHomme (Le Monde).
Par son programme dâĂ©missions variĂ©es et son adaptation aux enjeux du numĂ©rique, le service public audiovisuel contribue Ă limiter les inĂ©galitĂ©s dâaccĂšs Ă la culture, selon le sociologue Olivier Alexandre et Françoise Benhamou, Ă©conomiste de la culture (Le Monde).
- pour un modĂšle financier plus sain
La sociĂ©tĂ© des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) estime que supprimer cette redevance nâest en rien un geste pour le pouvoir dâachat des mĂ©nages, comme le prĂ©sente le gouvernement. LâĂ©conomie a Ă©tĂ© Ă©valuĂ©e Ă 37 centimes par jour par mĂ©nage. De plus, certains mĂ©nages sont dĂ©jĂ exonĂ©rĂ©s de cette taxe (les personnes ĂągĂ©es aux faibles ressources, les mĂ©nages trĂšs modestes ainsi que les personnes infirmes ou invalides) et ne verront donc aucun avantage Ă cette suppression. La SACD regrette que les 3,5 milliards dâeuros de la redevance puissent ĂȘtre compensĂ©s via lâimpĂŽt sur le revenu et la TVA (Univers Freebox, Flint).
Dans Contrepoints, Bruno Levy sâoppose Ă©galement Ă cette suppression de la redevance audiovisuelle, qui nâaura pour consĂ©quence selon lui que dâajouter encore des impĂŽts aux Français, de maniĂšre dissimulĂ©e. DeuxiĂšme point de vigilance : supprimer la redevance conduirait Ă rendre plus opaque lâutilisation de lâaudiovisuel public par lâĂtat, et donc, les dĂ©rives.
Câest aussi ce que souligne Sandrine Cassini, du Monde : elle craint quâen supprimant cette redevance, âun socle stableâ, on assiste Ă une volatilitĂ© des financements de la part de lâĂtat. Cela conduirait Ă une diminution du budget allouĂ© Ă lâaudiovisuel public, qui ne verrait comme autre option quâun recours plus important Ă la publicitĂ©. De plus, elle rappelle que âlâindĂ©pendance de lâaudiovisuel public est garantie par le Conseil constitutionnel et dĂ©coule de la DĂ©claration des droits de lâhomme et du citoyen de 1789â.
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- pour trouver un financement plus stable
Samedi 23 juillet, alors que les dĂ©putĂ©s examinaient la loi de Finance rectificative, la suppression de la redevance a Ă©tĂ© actĂ©e, et sera remplacĂ©e par une fraction de la TVA (perçue comme injuste pour Christian Eckert, ancien secrĂ©taire dâĂtat au budget, Info du jour). La part affectĂ©e Ă lâaudiovisuel public sera fixĂ©e par le Parlement, ce qui reprĂ©sente âplus de garanties que si on devait chaque annĂ©e nĂ©gocier avec Bercyâ selon un cadre du secteur (Les Echos).
- Ă©tablirait une participation plus juste
Ici, dans une pĂ©tition signĂ©e par 875 personnes Ă ce jour (25/07/2022), Martin Villette voit aujourdâhui cette redevance audiovisuelle obligatoire comme une injustice : programmes de tĂ©lĂ©vision plus en adĂ©quation avec ses valeurs, chaĂźnes loin de leur ârĂŽle dâĂ©ducation populaireâ et trop au service de leurs financeurs (gouvernement et annonceurs), attrait pour dâautres sources dâinformation, indĂ©pendantes comme des chaĂźnes Youtube.
Dâautres questionnent la cohĂ©rence de cette redevance, basĂ©e sur la possession dâun tĂ©lĂ©viseur, Ă lâheure des tablettes et smartphones. Ce modĂšle creusait alors les inĂ©galitĂ©s et la dimension âinjusteâ dĂ©noncĂ©e entre les mĂ©nages financeurs et ceux exonĂ©rĂ©s (France 24, LâExpress)
Selon le dĂ©putĂ© LREM Bruno Studer, Ă©galement prĂ©sident de la commission des affaires culturelles de lâAssemblĂ©e nationale, la dĂ©cision de supprimer cette redevance entre dans la volontĂ© dâEmmanuel Macron âde simplifier le paysage fiscal en diminuant le nombre dâimpĂŽtsâ: la redevance Ă©tant prĂ©levĂ©e en mĂȘme temps que la taxe dâhabitation, la disparition de cette derniĂšre en 2023 rend pour le dĂ©putĂ© cette suppression cohĂ©rente. Une universalisation de cette taxe, accompagnĂ©e par sa baisse, un temps discutĂ©e, nâapparaĂźt pas comme une solution viable car cela ajouterait des impĂŽts Ă des mĂ©nages aujourdâhui exonĂ©rĂ©s (Capital).
- mettrait fin Ă lâutopie de lâindĂ©pendance de lâaudiovisuel public
Certains partisans de cette suppression y voient une dĂ©cision logique : les chaĂźnes de lâaudiovisuel manqueraient de pluralisme, notamment dans les interlocuteurs choisis donnant ainsi que des reportages Ă sens unique et sans rĂ©el contrepoids (ici). Le collectif #PasAvecMaRedevance dĂ©nonce justement ce manque dâĂ©quilibre dans le traitement de lâinformation de la part de France TV Slash, une chaĂźne numĂ©rique du service public. Elle ferait âouvertement la promotion des thĂšses wokeâ et ne respecterait pas la neutralitĂ© politique dont doit faire preuve lâaudiovisuel public (Midi Libre). Sur le site Riposte LaĂŻque, on soutient cette suppression, lâaudiovisuel public jugĂ© trop connotĂ© idĂ©ologiquement.
Pour Patrick Eveno, professeur Ă©mĂ©rite en histoire des mĂ©dias, la suppression de la redevance audiovisuelle ne changerait pas grand-chose Ă lâindĂ©pendance des journalistes du service public : le Parlement peut dĂ©jĂ modifier le montant de ce financement, puisquâil fait partie du budget votĂ© chaque annĂ©e. Il prĂ©cise que son montant a diminuĂ© de 146,5 millions dâeuros entre 2018 et 2021. Lâuniversitaire considĂšre plutĂŽt cette redevance comme un âtotem idĂ©ologiqueâ pour les journalistes, plutĂŽt quâune vĂ©ritable garantie dâindĂ©pendance (La Croix, The Conversation).
đ€ Quelles alternatives ?
Dans cette longue note pour la Fondation Jean JaurĂšs, Julia CagĂ© appelle plutĂŽt Ă une rĂ©forme de la redevance, plutĂŽt quâĂ une suppression, ce qui permettrait dâamĂ©liorer rĂ©ellement le pouvoir dâachat des Français et dâen faire un financement plus juste. Elle prend en exemple les modĂšles nordiques (NorvĂšge, SuĂšde, Finlande), oĂč les mĂ©nages paient dĂ©sormais un impĂŽt affectĂ© Ă ce financement (donc sanctuarisĂ©) et progressif : 1% des revenus imposables en SuĂšde avec un plafond Ă 126âŹ, par un barĂšme en fonction des revenus en NorvĂšge, et mĂȘme en impliquant les entreprises en Finlande. LâĂ©conomiste met aussi en avant le fonctionnement italien (redevance intĂ©grĂ©e Ă la facture dâĂ©lectricitĂ©) ou allemand (impĂŽt rĂ©coltĂ© par une agence contrĂŽlĂ©e par les chaĂźnes publiques) (LâObs, France info).
Ils sont plusieurs, dont Julia CagĂ© mais aussi Patrick Kanner, sĂ©nateur PS, ou Boris Vallaud, dĂ©putĂ© socialiste, Ă reconnaĂźtre la nĂ©cessitĂ© de rĂ©former cette redevance jugĂ©e âinjuste et obsolĂšteâ. Leur proposition est dâinstaurer une contribution universelle, mais progressive en fonction des revenus des mĂ©nages. Ces montants seront fixĂ©s par un organisme indĂ©pendant. Selon leurs estimations, ce systĂšme diminuerait la redevance de 85% des foyers (20 minutes, Terra Nova). Câest aussi ce que soumet la sociĂ©tĂ© dâauteurs la Scam, qui appelle mĂȘme Ă une rĂ©forme complĂšte de lâaudiovisuel public : redĂ©finir ses missions, son organisation et son financement
Il ne faut pas sây tromper. La France nâest pas le seul pays oĂč la redevance est dĂ©battue. Au Royaume-Uni, oĂč sa suppression a Ă©tĂ© envisagĂ©e, elle a finalement Ă©tĂ© maintenue jusquâen 2027, mais gelĂ©e jusquâen 2024 (La revue europĂ©enne des mĂ©dias et du numĂ©rique).
En Allemagne, cette redevance, universelle, est directement prĂ©levĂ©e par un organisme contrĂŽlĂ© uniquement par lâaudiovisuel public, ce qui garantit une indĂ©pendance vis-Ă -vis du pouvoir politique. Les entreprises y participent Ă©galement (France 24, France Info)
LâItalie a intĂ©grĂ© cette redevance dans la facture dâĂ©lectricitĂ©, mais la publicitĂ© reprĂ©sente une grande part des revenus de la RAI, principal groupe audiovisuel public du pays.
En Espagne, aux Pays-Bas ou encore dans une partie de la Belgique, lâaudiovisuel public est financĂ© par lâimpĂŽt, il nây a aucune redevance. Mais notamment en Espagne, la suppression de la publicitĂ© sur les chaĂźnes publiques en 2010 rend aujourdâhui difficile leur financement. Le pays prĂ©voit de taxer les plateformes de streaming vidĂ©o pour pallier ces manques (Courrier International).
Enfin, les Ătats-Unis ou la Chine ne demandent quâune participation minime Ă leurs citoyens pour financer les mĂ©dias publics (Challenges).
En Europe, selon les derniĂšres donnĂ©es de 2017, la France se classe 8Ăšme au niveau du montant de sa redevance audiovisuelle. La Suisse est de loin la premiĂšre (406⏠par foyer), devant le Danemark (330âŹ) et la NorvĂšge (307âŹ) (Le Figaro).Â
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