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Conserver, modifier ou supprimer la redevance audiovisuelle ?

Conserver, modifier ou supprimer la redevance audiovisuelle ?

3,2 milliards d’euros par an. VoilĂ  ce que rapporte la contribution citoyenne Ă  l’audiovisuel public (CAP), ou redevance audiovisuelle. Et chaque annĂ©e, France TĂ©lĂ©visions, Radio France, Arte ou France MĂ©dias Monde en bĂ©nĂ©ficient. Oui mais voilĂ , sa suppression a Ă©tĂ© l’une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron. Elle a Ă©tĂ© approuvĂ©e par l’AssemblĂ©e nationale le 23 juillet. Alors pourquoi la supprimer ? Faut-il la garder ? Peut-on simplement la rĂ©former ? Pour y voir plus clair, je suis allĂ© chercher les arguments des dĂ©fenseurs de la redevance, celle de ces dĂ©tracteurs, et puis ceux qui proposent des alternatives. Pour que l’on puisse rĂ©flĂ©chir tous ensemble au sort de l’audiovisuel public.

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  • au service d’une information de qualitĂ© pour tous

Pour Pauline Perrenot, d’Acrimed, supprimer cette redevance ne ferait que renforcer la dĂ©pendance des chaĂźnes publiques au budget de l’État, et ainsi favoriser les pressions politiques. En dĂ©clarant vouloir le faire pour les Français, le gouvernement oppose “les usagers Ă  leurs services publics”. L’association milite pour un renforcement du service public, dans un contexte de forte concentration des mĂ©dias privĂ©s. C’est Ă©galement ce que critique le quotidien allemand Tagesspiegel, qui considĂšre que “les mĂ©dias publics dans une dĂ©mocratie doivent disposer d’un financement transparent et pĂ©renne” (Acrimed, France 24, MĂ©diapart, Tagesspiegel).

La chercheuse spĂ©cialiste en droit audiovisuel Pauline Trouillard estime qu’en remettant en cause l’autonomie de l’audiovisuel public vis-Ă -vis du pouvoir politique et du marchĂ©, une suppression de la redevance serait mĂȘme contraire aux textes europĂ©ens. Elle restreindrait encore plus l’obligation de pluralisme et d’impartialitĂ© de l’audiovisuel public, conditions de la dĂ©mocratie selon la Cour europĂ©enne des droits de l’Homme (Le Monde). 

Par son programme d’émissions variĂ©es et son adaptation aux enjeux du numĂ©rique, le service public audiovisuel contribue Ă  limiter les inĂ©galitĂ©s d’accĂšs Ă  la culture, selon le sociologue Olivier Alexandre et Françoise Benhamou, Ă©conomiste de la culture (Le Monde).

  • pour un modĂšle financier plus sain 

La sociĂ©tĂ© des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) estime que supprimer cette redevance n’est en rien un geste pour le pouvoir d’achat des mĂ©nages, comme le prĂ©sente le gouvernement. L’économie a Ă©tĂ© Ă©valuĂ©e Ă  37 centimes par jour par mĂ©nage. De plus, certains mĂ©nages sont dĂ©jĂ  exonĂ©rĂ©s de cette taxe (les personnes ĂągĂ©es aux faibles ressources, les mĂ©nages trĂšs modestes ainsi que les personnes infirmes ou invalides) et ne verront donc aucun avantage Ă  cette suppression. La SACD regrette que les 3,5 milliards d’euros de la redevance puissent ĂȘtre compensĂ©s via l’impĂŽt sur le revenu et la TVA (Univers Freebox, Flint). 

Dans Contrepoints, Bruno Levy s’oppose Ă©galement Ă  cette suppression de la redevance audiovisuelle, qui n’aura pour consĂ©quence selon lui que d’ajouter encore des impĂŽts aux Français, de maniĂšre dissimulĂ©e. DeuxiĂšme point de vigilance : supprimer la redevance conduirait Ă  rendre plus opaque l’utilisation de l’audiovisuel public par l’État, et donc, les dĂ©rives. 

C’est aussi ce que souligne Sandrine Cassini, du Monde : elle craint qu’en supprimant cette redevance, “un socle stable”, on assiste Ă  une volatilitĂ© des financements de la part de l’État. Cela conduirait Ă  une diminution du budget allouĂ© Ă  l’audiovisuel public, qui ne verrait comme autre option qu’un recours plus important Ă  la publicitĂ©. De plus, elle rappelle que “l’indĂ©pendance de l’audiovisuel public est garantie par le Conseil constitutionnel et dĂ©coule de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen de 1789”. 

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  • pour trouver un financement plus stable

Samedi 23 juillet, alors que les dĂ©putĂ©s examinaient la loi de Finance rectificative, la suppression de la redevance a Ă©tĂ© actĂ©e, et sera remplacĂ©e par une fraction de la TVA (perçue comme injuste pour Christian Eckert, ancien secrĂ©taire d’État au budget, Info du jour). La part affectĂ©e Ă  l’audiovisuel public sera fixĂ©e par le Parlement, ce qui reprĂ©sente “plus de garanties que si on devait chaque annĂ©e nĂ©gocier avec Bercy” selon un cadre du secteur (Les Echos). 

  • Ă©tablirait une participation plus juste

Ici, dans une pĂ©tition signĂ©e par 875 personnes Ă  ce jour (25/07/2022), Martin Villette voit aujourd’hui cette redevance audiovisuelle obligatoire comme une injustice : programmes de tĂ©lĂ©vision plus en adĂ©quation avec ses valeurs, chaĂźnes loin de leur “rĂŽle d’éducation populaire” et trop au service de leurs financeurs (gouvernement et annonceurs), attrait pour d’autres sources d’information, indĂ©pendantes comme des chaĂźnes Youtube. 

D’autres questionnent la cohĂ©rence de cette redevance, basĂ©e sur la possession d’un tĂ©lĂ©viseur, Ă  l’heure des tablettes et smartphones. Ce modĂšle creusait alors les inĂ©galitĂ©s et la dimension “injuste” dĂ©noncĂ©e entre les mĂ©nages financeurs et ceux exonĂ©rĂ©s (France 24, L’Express

Selon le dĂ©putĂ© LREM Bruno Studer, Ă©galement prĂ©sident de la commission des affaires culturelles de l’AssemblĂ©e nationale, la dĂ©cision de supprimer cette redevance entre dans la volontĂ© d’Emmanuel Macron “de simplifier le paysage fiscal en diminuant le nombre d’impĂŽts”: la redevance Ă©tant prĂ©levĂ©e en mĂȘme temps que la taxe d’habitation, la disparition de cette derniĂšre en 2023 rend pour le dĂ©putĂ© cette suppression cohĂ©rente. Une universalisation de cette taxe, accompagnĂ©e par sa baisse, un temps discutĂ©e, n’apparaĂźt pas comme une solution viable car cela ajouterait des impĂŽts Ă  des mĂ©nages aujourd’hui exonĂ©rĂ©s (Capital). 

  • mettrait fin Ă  l’utopie de l’indĂ©pendance de l’audiovisuel public

Certains partisans de cette suppression y voient une dĂ©cision logique : les chaĂźnes de l’audiovisuel manqueraient de pluralisme, notamment dans les interlocuteurs choisis donnant ainsi que des reportages Ă  sens unique et sans rĂ©el contrepoids (ici). Le collectif #PasAvecMaRedevance dĂ©nonce justement ce manque d’équilibre dans le traitement de l’information de la part de France TV Slash, une chaĂźne numĂ©rique du service public. Elle ferait “ouvertement la promotion des thĂšses woke” et ne respecterait pas la neutralitĂ© politique dont doit faire preuve l’audiovisuel public (Midi Libre). Sur le site Riposte LaĂŻque, on soutient cette suppression, l’audiovisuel public jugĂ© trop connotĂ© idĂ©ologiquement.

Pour Patrick Eveno, professeur Ă©mĂ©rite en histoire des mĂ©dias, la suppression de la redevance audiovisuelle ne changerait pas grand-chose Ă  l’indĂ©pendance des journalistes du service public : le Parlement peut dĂ©jĂ  modifier le montant de ce financement, puisqu’il fait partie du budget votĂ© chaque annĂ©e. Il prĂ©cise que son montant a diminuĂ© de 146,5 millions d’euros entre 2018 et 2021. L’universitaire considĂšre plutĂŽt cette redevance comme un “totem idĂ©ologique” pour les journalistes, plutĂŽt qu’une vĂ©ritable garantie d’indĂ©pendance (La Croix, The Conversation). 

đŸ€” Quelles alternatives ?

Dans cette longue note pour la Fondation Jean JaurĂšs, Julia CagĂ© appelle plutĂŽt Ă  une rĂ©forme de la redevance, plutĂŽt qu’à une suppression, ce qui permettrait d’amĂ©liorer rĂ©ellement le pouvoir d’achat des Français et d’en faire un financement plus juste. Elle prend en exemple les modĂšles nordiques (NorvĂšge, SuĂšde, Finlande), oĂč les mĂ©nages paient dĂ©sormais un impĂŽt affectĂ© Ă  ce financement (donc sanctuarisĂ©) et progressif : 1% des revenus imposables en SuĂšde avec un plafond Ă  126€, par un barĂšme en fonction des revenus en NorvĂšge, et mĂȘme en impliquant les entreprises en Finlande. L’économiste met aussi en avant le fonctionnement italien (redevance intĂ©grĂ©e Ă  la facture d’électricitĂ©) ou allemand (impĂŽt rĂ©coltĂ© par une agence contrĂŽlĂ©e par les chaĂźnes publiques) (L’Obs, France info). 

Ils sont plusieurs, dont Julia CagĂ© mais aussi Patrick Kanner, sĂ©nateur PS, ou Boris Vallaud, dĂ©putĂ© socialiste, Ă  reconnaĂźtre la nĂ©cessitĂ© de rĂ©former cette redevance jugĂ©e “injuste et obsolĂšte”. Leur proposition est d’instaurer une contribution universelle, mais progressive en fonction des revenus des mĂ©nages. Ces montants seront fixĂ©s par un organisme indĂ©pendant. Selon leurs estimations, ce systĂšme diminuerait la redevance de 85% des foyers (20 minutes, Terra Nova). C’est aussi ce que soumet la sociĂ©tĂ© d’auteurs la Scam, qui appelle mĂȘme Ă  une rĂ©forme complĂšte de l’audiovisuel public : redĂ©finir ses missions, son organisation et son financement

Il ne faut pas s’y tromper. La France n’est pas le seul pays oĂč la redevance est dĂ©battue. Au Royaume-Uni, oĂč sa suppression a Ă©tĂ© envisagĂ©e, elle a finalement Ă©tĂ© maintenue jusqu’en 2027, mais gelĂ©e jusqu’en 2024 (La revue europĂ©enne des mĂ©dias et du numĂ©rique). 

En Allemagne, cette redevance, universelle, est directement prĂ©levĂ©e par un organisme contrĂŽlĂ© uniquement par l’audiovisuel public, ce qui garantit une indĂ©pendance vis-Ă -vis du pouvoir politique. Les entreprises y participent Ă©galement (France 24, France Info)

L’Italie a intĂ©grĂ© cette redevance dans la facture d’électricitĂ©, mais la publicitĂ© reprĂ©sente une grande part des revenus de la RAI, principal groupe audiovisuel public du pays.

En Espagne, aux Pays-Bas ou encore dans une partie de la Belgique, l’audiovisuel public est financĂ© par l’impĂŽt, il n’y a aucune redevance. Mais notamment en Espagne, la suppression de la publicitĂ© sur les chaĂźnes publiques en 2010 rend aujourd’hui difficile leur financement. Le pays prĂ©voit de taxer les plateformes de streaming vidĂ©o pour pallier ces manques (Courrier International). 

Enfin, les États-Unis ou la Chine ne demandent qu’une participation minime Ă  leurs citoyens pour financer les mĂ©dias publics (Challenges).

En Europe, selon les derniĂšres donnĂ©es de 2017, la France se classe 8Ăšme au niveau du montant de sa redevance audiovisuelle. La Suisse est de loin la premiĂšre (406€ par foyer), devant le Danemark (330€) et la NorvĂšge (307€) (Le Figaro). 

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