05-07
Flint Production
Le nucléaire est-il écologique ?
En bref :
Loi Climat et Résilience actuellement discutée en Commission mixte paritaire, retard de la France pour atteindre ses objectifs d’émission de gaz à effets de serre, fuite d’un brouillon de travail du GIEC… Les raisons de discuter de l’empreinte écologique française ne manquent pas. Le nucléaire étant la première source d’énergie du pays, et la France le deuxième plus gros producteur au monde, celui-ci vient régulièrement accaparer le débat. Par exemple ici, organisé entre Arnaud Montebourg et Eric Piolle par Reporterre, ou là, abordé par Nicolas Hulot sur FranceInfo.
🗒️ À emporter : selon les points de vue, la question du nucléaire est tantôt abordée sans considérer les problématiques qui l’entourent, tantôt noyée parmi les autres énergies et facteurs de destruction environnementale. Pour aborder le sujet calmement, il peut donc être utile de commencer par vérifier le cadre du débat : s’inquiète-t-on de l’empreinte carbone de la France ? de son empreinte écologique totale ? d’autre chose encore ?
Les faits :
🌡️ Pas les mêmes débats selon les objectifs environnementaux
– L’activité humaine a de multiples effets sur la planète : modification de l’habitat, utilisation des ressources, déchets, dont les effets les plus néfastes sont les pollutions, la dégradation de l’environnement et la disparition de certaines espèces ou ressources naturelles.
– Plusieurs indicateurs permettent de suivre l’évolution de ces effets en fonction des enjeux (perte de biodiversité, raréfaction des ressources, modifications climatiques, risques sanitaires environnementaux, etc) depuis des dizaines d’années. Deux en particuliers sont fréquemment utilisés dans les sujets grands publics. L’empreinte écologique englobe tous les indicateurs décrivant les effets de l’activité humaine (pêche, agriculture et déforestation, pollution, empreinte carbone, etc). L’empreinte carbone ne concerne que les émissions de gaz à effets de serre émises par l’entité étudiée (pays, région, industrie, personne, etc). Utiliser l’un ou l’autre pousse à envisager différemment la question nucléaire.
– Les émissions de gaz à effet de serre (GES), notamment de CO2, sont en augmentation depuis le début de l’ère industrielle. Elles ont provoqué une hausse des températures mondiales de 1,15° entre 1850 et 2019, qui ne tend qu’à s’aggraver.
– Le réchauffement climatique est souvent présenté comme le problème environnemental principal, car sa rapidité entraîne des réactions liées ou en chaîne, parmi lesquelles la montée des eaux, les migrations climatiques, la disparition accélérée d’espèces, etc.
– L’Accord de Paris veut limiter la hausse de température à 2° d’ici 2100. En France, la loi Climat et Résilience doit acter la manière de réduire les émissions de GES de 40% d’ici 2030. À l’échelle mondiale, le mix énergétique (répartition des différentes sources d’énergie) est dominé à 84% par les énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz), dont l’usage produit beaucoup de gaz à effet de serre.
🥵 Le nucléaire face aux gaz à effet de serre
– La France est le 2e plus gros producteur d’énergie nucléaire, celle-ci représentant 67% de sa production électrique en 2020. Pour les ménages, la facture d’électricité obtenue est dans la médiane des prix européens. Les émissions de GES produites sont 12,5 fois inférieures à celles des autres principaux électriciens européens, selon EDF.
– Après l’accident de Fukushima, l’Allemagne a décidé de quitter progressivement le nucléaire. Les dernières centrales doivent fermer en 2022. La part du charbon dans le mix énergétique a diminué au fil des ans, de même que les GES émis, mais les énergies renouvelables ne suffisent pas encore à assurer la totalité de la production d’électricité.
– Le nucléaire est une énergie bas carbone, loin derrière les énergies fossiles. Un rapport de 2018 du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) souligne qu’il rejette sensiblement la même quantité de CO2 par kilowattheure que les énergies renouvelables.
🌍 Le nucléaire face à la protection de l’environnement
– Il arrive qu’on qualifie le nucléaire d’énergie “décarbonée”. Comme pour les autres énergies, l’ensemble du cycle du nucléaire, notamment le transport, émet tout de même des gaz à effet de serre.
– Classés en 6 catégories selon leur durée de vie et leur niveau de radioactivité, les déchets de la filière sont gérés par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), partout en France. Chaque type de déchet est stocké de manière à éviter qu’il ne pollue son environnement (naturel, santé humaine, etc), selon son niveau de radioactivité.
– Parmi les risques qui sont discutés : les accidents des lieux de stockage, les transports de déchets à travers le pays, la pollution qui dure dans le temps long (plusieurs dizaines de milliers d’années pour les produits contenant du plutonium).
– La catastrophe de Tchernobyl donne un aperçu très concentré des effets du nucléaire sur l’environnement : pins jaunis sur 7 km autour de la centrale, animaux morts d’irradiation, 3% des invertébrés du sol survivant 2 mois après la catastrophe, mais aussi repeuplement et adaptation relativement rapide de la faune, qui reste sous observation 32 ans plus tard.
☢️ Le nucléaire face à la sécurité des humains
– La question de la sécurité humaine est compliquée à trancher, car il est difficile de s’accorder sur le nombre de morts provoqués par les accidents nucléaires, à Tchernobyl (une cinquantaine ? plusieurs dizaines de milliers ?) comme à Fukushima (0 ? 500 ?).
– Difficile, aussi, de décider ce qu’il faut calculer : les morts provoquées par l’explosion ? Ceux atteints de maladies comme le cancer de la thyroïde à cause des radiations ? Ceux victimes des effets économiques et sociaux post-accidents ? Quid, aussi, des risques induits par les déchets enfouis ? (Nous n’avons trouvé que cette étude, publiée en 2018, qui note une légère surmortalité par cancer du poumon chez les hommes vivant proche du centre d’enfouissement de l’Aube comparé à ceux vivant loin de tout lieu de stockage.)
– On peut aussi tenter de comparer le nombre de victimes du nucléaire à celles des énergies fossiles. Si on parle d’accidents, les décès dus à l’exploitation du charbon sont fréquents (23 000 décès prématurés en Europe chaque année). Et la pollution des énergies fossiles serait à l’origine d’un décès sur cinq dans le monde, selon une étude menée à Harvard (plus de 360 000 par an rien qu’en Chine).
– Les ⅔ des 56 réacteurs français sont vieillissants, ce qui suscite des inquiétudes. EDF a lancé en 2014 son programme de grand carénage, qui doit permettre la rénovation et la modernisation des centrales et coûter 50 milliards d’euros. Mais l’échec de l’EPR de Flamanville, qui a englouti 19 milliards d’euros contre 3,5 milliards initialement prévus, ne rassure pas les observateurs.
📢 Un débat historique
– Pro et antinucléaires se livrent une guerre récurrente de l’information. Ces débats peuvent peut-être aussi s’expliquer par le choc entre une tradition du militantisme écologiste français antinucléaire et l’arrivée d’une nouvelle tendance plus “nucléaire compatible”.
La question du nucléaire nous a été posée par une lectrice. Vous aussi, proposez-nous sur Discord des débats à décortiquer ou des sujets à démêler !
[Modification du 6 juillet 2021 : précision sur l’aspect « décarboné » du nucléaire.
Correction 7 février 2022 : comme l’a fait remarquer un lecteur, les 360 000 décès par an en Chine sont dus à la pollution et non à des accidents directement dus à l’exploitation de mines de charbon.]
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