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Birmanie : qui sont les militants du clavier ?

Birmanie : qui sont les militants du clavier ?

En bref :

En Birmanie, où la junte militaire a pris le pouvoir le 1er février 2021, les internautes se rebellent. Le hashtag #WhatsHappeningInMyanmar (ce qu’il se passe en Birmanie) est répété à l’envi, par des centaines de comptes Twitter, souvent accompagné d’un autre, qui souligne la date (par exemple #Sept15Coup) ou pousse pour l’acceptation du gouvernement d’unité nationale. 

💡 Pourquoi c’est intéressant ? Ce n’est pas la première fois que des communautés en ligne tentent d’influer sur des affaires politiques, à l’échelle nationale comme internationale. La réussite de ces actions, en revanche, est sujette à débat. 

Les faits : 

🇲🇲 Que se passe-t-il en Birmanie ? 

– Depuis son indépendance du Commonwealth, en 1948, la Birmanie est secoué par des coups d’États relativement fréquents, explique La Croix (€). 

– Le 1er février 2021, dirigée le général Ming Aung Hlaing, l’armée birmane a renversé le gouvernement de Aung San Suu Kyi, élu démocratiquement en 2015. La première ministre et le président de la République, Win Myint, ont été arrêtés et accusés de fraude. L’armée se sent d’autant plus légitime à prendre le pouvoir qu’elle est depuis longtemps garante de l’intégrité d’un territoire où se côtoient 130 ethnies différentes, selon le quotidien. La prise de contrôle s’est faite dans le calme, rapportait le JDD le 2 février

– Mais en opposition à cette prise de pouvoir, un groupe de parlementaires élus en novembre 2020 s’est constitué en “comité représentant le Parlement”, expliquent des spécialistes de la Birmanie (€). Ils ont travaillé à la rédaction d’une nouvelle Constitution fédérale, vouée à remplacer celle mise en place par l’armée en 2008, et ont annoncé la création d’un Gouvernement d’unité national (NUG) composé d’une diversité ethnique, d’âge, de plus d’un tiers de femmes et d’un quart de personnes sans affiliations politiques mais choisies pour leurs compétences (une proposition de résolution a été déposée à l’Assemblée nationale pour que la France reconnaisse ce gouvernement). 

– Face aux grèves générales et aux manifestations pro-démocratie qui se sont multipliées (The Diplomat 🇺🇸, Le Figaro, RFI, RTBF, France 24), l’armée birmane a rapidement choisi la répression, le pays sombrant peu à peu dans le chaos, selon FranceInfo. La contestation, notamment alimentée en ligne, continue huit mois plus tard (La Croix €).

– Mi-août, Le Monde comptait un millier de civils tués. 

💻 À quoi ressemble la lutte en ligne ? 

– Selon le magazine spécialisé dans la couverture du monde numérique hors pays occidentaux Rest of World 🇺🇸, un des groupes à l’origine de la mobilisation en ligne est constitué de fans de K-Pop (pop coréenne). 

– En ligne, des communautés se créent autour de tel ou tel élément de culture populaire (de la pop, un artiste particulier, etc), les internautes échangent entre eux, sont habitués à poster et re-tweeter des textes, images, vidéos, collages qu’ils et elles créent pour parler de leurs centres d’intérêts communs. Dans ce cas-ci, ces réseaux constitués se sont accordés pour changer d’objectif et faire connaître la situation hors des frontières et pour militer pour le Gouvernement d’unité nationale. Concrètement, cela consiste à retweeter ou re-poster des messages similaires pour faire du bruit en ligne.

– Dès février, L’Express évoquait des échauffourées en ligne : un groupe appelé “les hacker de Birmanie” a perturbé les sites webs de la Banque centrale, de la page de propagande de l’armée ou de la chaîne de télévision d’État, l’armée elle-même a supprimé plusieurs fois l’accès à Facebook et Twitter. 

– La mobilisation en ligne a un vrai coût pour ces militants, dans la mesure où l’armée supprime régulièrement l’accès à Internet (Reuters 🇺🇸, France 24). Siècle Digital explique que la technologie sert aussi à la surveillance, aux restrictions et aux enlèvements orchestrés par les forces militaires (voir aussi Myanmar Now 🇺🇸). 

– Néanmoins, les posts et reposts de militants pro-démocratie continuent d’affluer, ici ou , par exemple. Et les campagnes en faveur du Gouvernement d’unité national prennent une vraie ampleur sur Facebook, raconte Radio Free Asia 🇺🇸. On retrouve ainsi des traces du mouvement “Accept NUG Reject Military”, lancé le 9 août par le corps de coordination de la grève générale (General strike coordination body 🇺🇸), sur Twitter, Facebook, Youtube et ailleurs.

📣 Ce type de mobilisation s’est-il déjà vu ailleurs ? 

– Des mobilisations politiques, notamment de communautés initialement réunies en ligne par leur amour de la K-Pop, sont désormais fréquentes, rapporte le Time 🇺🇸. Lors de la campagne américaine de 2020, des fans ont piégé Donald Trump lors de l’un de ses premiers rallyes, selon Le Monde et le New-York Times 🇺🇸 ; en Thaïlande, ces mélomanes avaient participé aux manifestations anti-gouvernementales de 2020 (Reuters 🇺🇸, Khaosod English 🇺🇸) ; en Indonésie, ils et elles s’engagent pour l’alphabétisation (Telerama)… Si bien que Le Figaro qualifie ces communautés de “mouvement punk du XXIe siècle” (voir aussi France 24). 

– L’ère des grandes mobilisations en ligne et hors ligne a probablement été ouverte par les Printemps Arabes, que les médias ont un temps qualifié de “révolution 2.0” ou “révolution Facebook” – les chercheurs discutent le bien-fondé de cette expression, ici et par exemple. Dans son essai Twitter et les gaz lacrymogènes (2017), la techno-sociologue Zeynep Tufekci a analysé ces mouvements et ceux qui leur ont suivi (Occupy Wall Street, la révolution des parapluies à Hong-Kong, les manifestations turques en 2013 – différents de la situation birmane en ce que ce sont surtout des mouvements d’initiative populaire, pas en réaction à un coup d’état). Elle souligne, d’une part, que beaucoup ont dû faire face à de fortes répressions. D’autre part, qu’ils sont à la fois forts par leur capacité à mobiliser facilement énormément de gens grâce à internet, et fragiles par la rapidité de leur mobilisation, qui empêche les militants de construire les structures permettant de pousser leurs revendications jusque dans les institutions (conférence TED 🇺🇸, Berkman Klein Center for Internet and Society 🇺🇸). 

– Dans le cas birman, la contestation vient à la fois de la rue, du net et des parlementaires et officiels destitués, ce qui modifiera peut-être la donne.

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