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Pour ou contre les NFT ?

Pour ou contre les NFT ?

Dans le petit milieu des crypto-monnaies, les NFT (non-fungible tokens, jetons non fongibles) n’ont pas fini de faire parler d’eux. Ici, raconte la Tribune, c’est une start-up française qui réalise la plus grosse levée de fonds de la French Tech en certifiant par NFT des cartes de footballeurs à collectionner ou, dans Le Figaro, un jeu vidéo valorisé 3 milliards de dollars. Là-bas, lit-on dans les Échos, c’est le marché de l’art qui s’enflamme pour ce nouvel usage de la blockchain. Plus loin encore, rapporte Capital, c’est un arnaqueur qui s’échappe avec 2,7 millions de dollars…

Pourquoi c’est intéressant ? Les NFT et la frénésie qui les entoure témoignent d’une double fascination pour la blockchain et les nouveaux usages pratiques et relativement grand public qu’on lui trouve – ceux-ci étant, jusqu’ici, restés principalement liés au cryptomonnaies.

En bref : 

⛓️ Les jetons non-fongibles (NFT, non-fungible token) sont des objets numériques non interchangeables, des certificats d’authenticité d’oeuvres numériques, réputés quasiment inviolables car fonctionnant sur des blockchains. 

❌ Ils sont critiqués pour leur coût environnemental, leur caractère immatériel donc faillible, les usages immoraux qu’ils permettent (lorsque certains s’octroient la propriété des oeuvres des autres) et le vaste mouvement de spéculations qui les entourent. 

✅ Les NFT sont notamment bénéfiques pour les artistes, qui ont jusque-là eu beaucoup de mal à faire valoir leurs droits d’auteur en ligne, où la culture de la gratuité, de la reproduction et du remix sont très répandus. Ils séduisent beaucoup d’adeptes de la décentralisation puisqu’ils peuvent s’échanger de pair à pair. 

Les faits 

❓ Que sont les NFT ? 

Les Echos les qualifient de certificats d’authenticité associés à un objet virtuel : une image, une chanson, un tweet, un meme internet – le NFT de Disaster Girl, la petite fille sur l’illustration de ce newskit, est parti pour 500 000 dollars selon le New-York Times… On décrit les NFT comme inviolables, parce qu’ils sont enregistrés sur des blockchains – voir notre explication sur les limites de cette inviolabilité. 

– Les NFT sont des jetons, des objets numériques, des choses, dont la particularité principale est d’être non fongible, c’est-à-dire non interchangeable. Échangez un bitcoin contre un autre, vous aurez toujours un bitcoin : ce sont des biens fongibles. Echangez le certificat démontrant votre propriété du meme Disaster Girl ou d’une œuvre de la chanteuse Grimes (The Verge) contre un autre bien non fongible (la propriété d’une œuvre vendue chez Sotheby’s ? Celle d’un exemplaire numérique de 20 Minutes ?) et vous n’aurez pas du tout la même chose entre les mains. Voilà la spécificité des biens non-fongibles. 

– Les NFT chamboulent donc un concept désormais ultra répandu en ligne : tout produit numérique se produit à très faible coût et est reproductible et remixable à l’infini, ce qui rendait jusqu’ici la propriété d’un bien numérique quasiment impossible. La philosophie des NFT consiste au contraire à certifier qu’à un moment donné, il n’y a qu’un seul propriétaire d’une oeuvre numérique (ce que l’informaticien Stéphane Bortzmeyer explique ici, soulignant que pour que ça fonctionne, il faut placer sa confiance dans la place de marché et dans les procédés techniques qui permettent d’établir ces contrats). 

– L’art est le milieu où cette innovation a rencontré le plus d’écho : Les Échos comptabilisait début octobre 2,7 milliards de dollars de ventes d’art contemporain par l’intermédiaire de NFT sur l’exercice 2020-2021, en hausse de 117% par rapport à l’année précédente. Selon le site Non Fungible, le volume total de vente de NFT a dépassé les 410 milliards de dollars au 14 octobre. 

❌ Contre l’usage de ces jetons 

– La plupart des NFT échangés aujourd’hui sont adossés à la blockchain Ethereum, qui fonctionne, comme le Bitcoin, sur un système de preuve de travail (notre explication). L’impact environnemental de leur usage croissant est donc une question aussi pressante que celle de l’usage du Bitcoin (lire notre kit sur le sujet). 

– Ce que l’on possède, en dépensant des millions de dollars, c’est juste un fichier numérique, pas la version matérielle de l’œuvre (lorsqu’il en existe une). D’ailleurs, aucune blockchain ne permet d’empêcher la reproduction des œuvres. 

– La culture du libre est très présente en ligne et peut parfois être confondue avec une culture de la décentralisation, qui résonne avec l’usage de la blockchain (comme nous l’expliquions ici, le concept même de chaîne de bloc consiste à passer outre les organes centralisateurs). Ces deux idées sont pourtant bien différentes, ce qui explique les plaintes d’adeptes du libre comme l’artiste David Revoy : celui-ci offre ses œuvres en licence libre au monde numérique. Mais voilà que de très légers détournements de ses productions ont été privatisées par un tiers, qui en tire désormais un profit non négligeable sous forme de NFT. Se pose donc la question morale de savoir s’il est juste ou non de s’approprier ainsi la création numérique d’un autre, lorsque celle-ci est libre. Philosophiquement, certains considèrent même que cette volonté de créer de la rareté à partir de quelque chose d’essentiellement reproductible va à l’encontre de la culture internet. 

– Globalement, le succès des NFT en 2021 est très lié à une dimension de spéculation, aussi bien des investisseurs professionnels, qui s’intéressent beaucoup à la blockchain à ses applications (CBInsights), que des particuliers qui s’amusent notamment à sacraliser des blagues absurdes et clairement liées à la culture web, en déboursant plusieurs milliers de dollars pour la propriété d’un meme, d’un tweet, etc (Libération, The Conversation).

✅ Pour l’usage des ces jetons 

– Juridiquement, les NFT sont plutôt comparables à des licences d’exploitation – dont l’étendue varie d’un contrat à l’autre – qui permet à leurs propriétaires de décider avec qui visionner ou partager une œuvre et comment (en faisant payer le public, potentiellement ?), explique le professeur d’économie Pierre-Charles Pradier

– Pour les artistes, les NFT sont des révolutions permettant de certifier leurs œuvres, en particulier les œuvres numériques. Les NFT permettent aussi à celles et ceux qui auraient du mal à accéder au marché traditionnel de l’art d’avoir accès à un vaste monde bien moins élitiste via le numérique, explique Serwah Attafuah à Tracks (Arte)

– Au début des années 2000, l’influence des idées d’ouverture portées par l’expansion d’internet poussait à rendre l’art disponible partout, gratuitement, ce qui a favorisé un temps l’explosion du téléchargement (illégal) de pair à pair (Le Monde, Usbek & Rica). Parallèlement, les artistes ont toujours demandé rémunération pour leur travail. Les NFT pourraient aider à la réunion de ces visions autrefois quasiment opposées, en fournissant des certificats d’authenticité mais en préservant la dimension de partage décentralisé.

– Comme d’autres innovations portées par la blockchain, crypto-monnaies en tête, les NFT plaisent aussi pour ce type de considérations politiques, et rencontrent donc un fort écho du côté de ceux qui recherchent des systèmes de gestion décentralisés (Under the Radar). On en parlera plus longuement dans le prochain épisode de cette série.

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