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Résolution 2022 : comment se mettre au régime (d’information)

Résolution 2022 : comment se mettre au régime (d’information)

Il y a quelques jours, juste avant les vacances, je te parlais de la fatigue des Français. Enfin disons plutôt que je me moquais gentiment des médias qui titraient à l’unisson “Les Français sont fatigués” en citant une étude qui ne montrait vraiment pas que l’on était plus très fatigués et surtout pas plus qu’avant. Je me suis fait allumer par quelques-uns sur les réseaux sociaux qui me disaient “ah mais quand même, c’est vrai, on est tellement fatiguééééés”. Oui, certes. Alors ce matin je vais te surprendre.

Histoire de pousser le bouchon énervant un peu plus loin, maintenant que nous sommes tous bien reposés (ou épuisés !) par nos vacances en famille, je vais te parler à nouveau de la fatigue. La fatigue de la rentrée. Attends…quoi ? Une nouvelle étude le prouve ? “A la Une ce matin : retour de vacances, les Français sont encore plus fatigués, selon une étude”. Nan nan. Je vais te parler d’une fatigue bien plus profonde, qui ne s’appuie pas sur un sondage auprès des Français, mais sur des recherches en psychologie et neurosciences. Une fatigue méconnue qui va t’attaquer encore plus rapidement que la fatigue de fin d’année. Justement parce que c’est la rentrée. Et comme c’est le moment des bonnes résolutions que tu ne suivras pas, je vais t’en proposer une nouvelle. Je vais réfléchir avec toi sur comment tu peux essayer de maigrir. Mais pas maigrir de gras, non, ça ce n’est pas mon métier (et puis le gras c’est la vie), mais comment tu peux maigrir… d’information. Quel rapport avec la fatigue, me diras-tu ? Reste avec moi, je vais tout t’expliquer.

Michel Le Van Quyen

Il y a quelques années, un célèbre neuroscientifique, Michel Le Van Quyen, s’est réveillé un matin avec le visage paralysé. Il a cru à un AVC. Mais après plusieurs examens, on lui a dit qu’il n’avait rien. Sauf que son visage refusait toujours de bouger. Alors puisqu’il ne pouvait plus rien faire, l’hyperactif Michel a annulé toutes ses conférences et travaux. Il s’est retrouvé à ne plus pouvoir parler. Ses pensées se sont calmées, jusqu’à se taire, la seule chose qu’il pouvait tenter, c’était rêvasser en contemplant la nature, et donc laisser s’installer le sillence. Quatre semaines après, miracle, la moitié de son visage pouvait à nouveau bouger et il pouvait presque parler normalement. “Ayant l’esprit cartésien”, écrit-il, “je n’affirme pas que seul le silence m’a guéri”, mais quand même. Du coup il en a fait un objet de recherche (et un livre génial, « Cerveau et silence »). Et ce qu’il a découvert a changé sa vision des choses.

Johann Hari

A l’âge de 40 ans, le journaliste et auteur Johann Hari réalise qu’il a de plus en plus de mal à se concentrer. Il lit toujours beaucoup de livres, mais lire lui fait de plus en plus l’effet de “remonter un esclator en sens inverse”. Après avoir interrogé de nombreux spécialistes à travers le monde, il en vient à la conclusion que nous sommes tous en train de développer une culture pathogène de l’attention. “Il n’y a pas moyen d’avoir un cerveau normal aujourd’hui”, relève-t-il dans un fascinant ouvrage sorti le 6 janvier “Stolen Focus” (attention volée). “Une petite étude menée auprès d’étudiants a révélé qu’ils ne se concentrent désormais sur une même tâche que pendant 65 secondes. Une autre étude sur des employés de bureau a montré qu’ils ne se concentrent en moyenne que pendant trois minutes. Cela ne se produit pas parce que nous sommes tous devenus individuellement faibles de volonté. Votre concentration ne s’est pas effondrée. Elle a été volée”. Volée par qui, par quoi ? Par nos écrans, et par les milliers de sollicitations qu’ils nous envoient chaque jour. Qu’a fait Johann Hari ? Il s’est réservé une petite chambre au bord de la plage à Provincetown, à la pointe de Cape Cod. “J’ai annoncé triomphalement à tout le monde – je vais rester là-bas pendant trois mois, sans smartphone, et sans ordinateur qui puisse se connecter. J’en ai assez. J’en ai assez d’être branché.” La suite de l’histoire est passionnante. Je vais te raconter.

Dans cette fatigue chronique qui nous touche tous, même après deux semaines de vacances, le personnage principal de cette histoire, c’est notre cerveau. On a tendance à le voir comme une machine à traiter les informations. Et l’information, au fond, ça n’a rien de physique. C’est dans la tête et sur Internet. Sauf que ce n’est pas vrai. Parce que notre cerveau est avant tout une sorte de pile. Et son énergie dépend de la qualité de l’information qu’il consomme, et donc du bruit informationnel.

Quand tu lis un mail, quand tu reçois un gentil coeur sur Instagram, quand tu regardes une vidéo à la télé ou sur Youtube, ou juste quand tu penses à la prochaine tâche que tu dois faire, c’est comme si tu mangeais un cheeseburger ou une chips. Biologiquement, pour ton corps je veux dire, c’est assez comparable. Alors imagine manger 1000 chips par jour et tu auras un peu une idée de l’effet de l’information sur cet organe pas comme les autres qu’est ton cerveau. Et donc : sur ton corps en général.

La paralysie faciale du Dr Le Van Quyen, c’est ça. Une indigestion de nourriture que l’on croit immatérielle mais qui nous atteint physiquement. Le neuroscientifique appelle ça le “brouhaha cérébral”. Un bruit cognitif tout aussi toxique que le bruit matériel.

Alors pourquoi ? Parce que nous ne supportons pas de ne rien faire. Le philosophe Pascal écrivait, dans ses Pensées : “Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre”. Il en est ainsi de ce mal du siècle que l’on appelle le FOMO, “the fear of missing out”, c’est à dire “la peur de rater quelque chose”. Or il se trouve que cette agitation incessante a un impact réel sur notre organisme.

Tu as peut-être déjà entendu parler du système sympathique et de son frère jumeau, le système para-sympathique. Contrairement à ce que son nom suggère, le système sympathique n’a rien de sympa. Sous l’effet du stress, il libère des hormones dans ton corps (comme l’adrénaline ou le cortisol) dont l’objectif est de fournir l’énergie nécessaire à l’action. C’est utile pour sauver sa peau, par exemple, c’est pour ça qu’il est aussi développé chez nous. Mais si on le stimule trop (par exemple dès si tu regardes trop ton téléphone pour lire un mail ou une info, et encore plus si cette info provoque chez toi une émotion négative), il fait des dégâts. Par exemple : il détériore ton coeur, ton intestin, ton système sanguin et même ta libido. Le sytème para-sympathique, à l’inverse, est là pour rééquilibrer et ralentir ton activité pour que tu puisses récupérer, digérer et dormir. Pour activer ce système, il faut le contraire du bruit, c’est à dire le silence. Voilà. Tu vois donc dans quelle merde nous nous trouvons aujourd’hui !

Mais ce n’est pas tout ! Le pire arrive ! Ton cerveau est une pile intelligente, certes, mais pas autant que tu le crois ! Earl Miller, un neuroscientifique du Massachusetts Institute of Technology, a expliqué à Johann Hari que que « votre cerveau ne peut produire qu’une ou deux pensées à la fois dans votre esprit conscient. C’est tout. Nous sommes très, très bornés. Nous avons une capacité cognitive très limitée ». Ce qui fait que, quand tu t’amuses fièrement à passer d’un écran à un autre et inversement, tu dépenses encore plus d’énergie. On appelle ça le “switch cost”. “Imaginez, disons, que vous êtes en train de faire votre déclaration d’impôts, que vous recevez un texte, que vous le regardez – ce n’est qu’un coup d’œil, qui prend trois secondes – puis que vous retournez à votre déclaration d’impôts. À ce moment-là, votre cerveau doit se reconfigurer, lorsqu’il passe d’une tâche à une autre« . Par exemple, poursuit Hari, “dans le cadre d’une étude menée au laboratoire d’interaction homme-machine de l’université Carnegie Mellon, 136 étudiants ont été invités à passer un test. Certains d’entre eux devaient avoir leur téléphone éteint, d’autres l’avaient allumé et recevaient des SMS par intermittence. Les étudiants qui ont reçu des messages ont obtenu des résultats inférieurs de 20 % en moyenne. Il me semble que nous perdons presque tous actuellement ces 20 % de matière grise, presque tout le temps. Miller m’a dit qu’en conséquence, nous vivons maintenant dans « une tempête parfaite de dégradation cognitive« .

Ça va, tout va bien ? Je m’arrête là ? Attends, un dernier truc, et pas des moindres. En plus de détruire nos organes vitaux, ce bruit informationnel, qu’on appelle aussi “infobésité”, ou même (j’aime bien le nom), “infoxication”, nous pousse à faire encore plus d’erreurs de jugement qu’avant. Pourquoi ? Parce que notre cerveau fait quand même bien les choses, si j’ose dire.

Pour éviter cette intoxication informationnelle, notre cerveau met en place des automatismes. Ça te permet de prendre des décisions sans brûler toute l’énergie de ton cerveau et dégrader ton organisme. Le problème c’est que ces mécanismes cognitifs sont justement… des mécanismes. Le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman appelle ça « le système 1 et le système 2″. Le système 2 c’est quand tu réfléchis (donc une seule réflexion à la fois, comme on vient de le voir), et le système 1 c’est tout ce que tu fais, dis, décide, sans réfléchir. Et donc plus tu es bombardé d’informations, plus tu actives ton système 1. Et plus tu prends le risque de faire ou de penser n’importe quoi. C’est de ces systèmes que viennent les biais cognitifs qui alimentent par exemple la propagation des fausses informations et la polarisation des opinions. Mais aussi les erreurs très coûteuses que prennent parfois les responsables en entreprise ou dans nos institutions.

🧪 Un Lab de l’info(bésité) ?

Tu vois, c’est pour ça qu’il faut prendre l’infobésité au sérieux. C’est une question de santé publique. Et qu’en 2022, il faut réfléchir à nous mettre au régime. Pour ça, il y a ton Flint préféré bien sûr, qui te fais gagner du temps en triant pour toi l’information vraiment pertinente et en t’ouvrant l’esprit avec des sources d’info les plus variées possibles, mais ce n’est qu’un premier pas. C’est un immense challenge qui nous attend, tous. C’est pour cela que j’ai eu l’idée de lancer cette année, “Le Lab de l’info” (ou le Lab de l’infobésité, je ne suis pas encore sûr du nom, tu me diras). Un espace de réflexion et d’expérimentation : avec des analyses, des ateliers, des discussions avec des experts et chercheurs et de nouveaux algorithmes sympathiques (ou plutôt para-sympathiques, si tu as tout suivi) à développer sur la plateforme Flint, pour nous aider à tous nous mettre au régime !

Comment on va faire ? Eh bien je ne sais pas, c’est toi qui va me dire. Et construire avec moi ! Pour en discuter ensemble, je te propose de nous retrouver le jeudi 13 janvier en vidéoconférence entre 8h et 8h45. Pour t’inscrire et recevoir une invitation personnelle, il te suffit d’aller ici :

✍️ Je m’inscris à l’atelier « Le Lab de l’info »!

Je te souhaite une merveilleuse année 2022, n’hésite pas à m’écrire (benoit @ flint.media) je réponds à tout le monde ! Je te laisse avec cette citation de Clay Shirky, qui parlait déjà d’infobésité en 2009 :

“Le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui n’est pas celui de la surcharge d’informations, car nous sommes toujours confrontés (et l’avons toujours été) à la surcharge d’informations… Penser à la surcharge d’informations ne décrit pas précisément le problème ; penser à la défaillance des filtres le fait”.

Voilà. Parmi les filtres, il y a ton cerveau, et il y a les robots Flint. Alors partage cette lettre autour de toi en invitant tes connaissances à s’abonner à Flint pour eux ou pour leur entreprise. Plus on sera nombreux, plus on y arrivera !

Benoît 💛