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Au fait, pourquoi tu likes ?

Au fait, pourquoi tu likes ?

Liker un tweet ou un post sur Facebook, c’est presque devenu un automatisme, parfois même sans que tu n’aies totalement lu la publication. Mais est-ce que tu t’es déjà demandé.e à quoi cela servait vraiment ? Qu’est-ce qu’il se passe concrètement lorsque tu “aimes” un contenu ? Je vais t’expliquer ce qui se cache derrière ces petits boutons, pour qu’on réfléchisse ensemble à l’impact de nos usages numériques sur nos (vraies) vies. 

💡 Pourquoi c’est intéressant ? S’ils permettent de montrer notre assentiment ou de sauvegarder des éléments, les likes participent de ce qu’on appelle le “bruit” en ligne, l’une des causes du mal-être informationnel que l’on évoque depuis plusieurs semaines. Réfléchir à leurs impacts peut permettre d’adapter l’usage qu’on en fait.

Les faits : 

❤️ Un même geste, une portée différente

Les principaux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Youtube, Instagram) te permettent de réagir aux publications, le plus souvent par des “like” (Numerama retrace l’histoire de l’outil). Sous forme de pouce, ou de cœur, cette mention “J’aime” peut avoir différentes significations selon la plateforme. 

D’une construction sociale virtuelle sur Twitter à un renforcement de l’engagement sur Facebook, Jean-Baptiste Bourgeois, planneur stratégique à l’agence We are social, détaille à Néon les différentes portées du like. Sur Youtube, un like peut impacter fortement la popularité d’une vidéo, lorsque sur Instagram, il témoigne surtout de la validation d’une communauté. 

🫂 Un enjeu social 

Le like traduit parfaitement la dimension sociale des réseaux numériques. En reçevoir sur Facebook ou Instagram peut avoir de vrais effets sur notre confiance en soi et sur l’image que l’on renvoie aux autres, notamment à l’adolescence (Marie Claire). Le like permet de prouver que l’on plaît et liker permet de se définir socialement, face à nos communautés d’appartenance. 

Anne Cordier, chercheuse en sciences de l’information et de la communication, évoque aussi la “pression temporelle” du like chez les ados : liker le plus rapidement possible permet de témoigner son attention et son intérêt pour la personne (Libération). Elle précise que la fonctionnalité est vectrice de lien social, quel que soit l’âge. Mais les plateformes restent commandées par des robots qui n’ont, eux, rien de social : les algorithmes.

🧠 Un indicateur nocif

Au fait, pourquoi tu likes ? Michaël Stora, psychanalyste et cofondateur de l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines, explique que tu likes des contenus pour recevoir de la validation en retour (principe de réciprocité) (Néon). 

Il faut que tu saches : à chaque like que tu obtiens, ton cerveau reçoit des petites doses de dopamine, l’hormone du bonheur. Cela va te pousser à publier plus, dans l’espoir d’en récolter davantage. C’est ce qu’on appelle une boucle de rétroaction. Mais ça peut aussi te conduire dans un état de manque voire dépressif si tu n’en reçois plus, ou moins. Michaël Stora appelle ça la “dislike psychique”. Le concepteur du “like” sur Facebook, Justin Rosenstein, qualifie lui-même cette fonctionnalité de “boîtes lumineuses de pseudo-bonheur” (The Guardian, France Inter). C’est ton cerveau qui est piégé ici, en croyant voir des choses qui lui font du bien, mais qui en réalité ne le nourrissent pas, selon Antoine Pelissolo, chef du service psychiatrie de l’hôpital Henri Mondor (Myjalis). 

En 2016, une étude du SAGE prouvait que face à des photos cumulant beaucoup de likes, ce sont les parties du cerveau “impliquées dans le traitement des récompenses, la cognition sociale, l’imitation et l’attention” qui étaient le plus stimulées. Une autre étude de Society for Research in Child Development de 2020 a montré que, chez les adolescents, recevoir moins de likes que d’autres provoque une détresse émotionnelle (sentiment d’exclusion, d’auto-dépréciation). Les effets étaient encore plus notables chez les adolescents déjà victime de harcèlement scolaire. Selon cette étude de Sonia Lupien, professeure au département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, voir un de ses posts liké augmente le niveau de cortisol, l’hormone du stress. À l’inverse, liker du contenu abaisse ce niveau (Sciences et Avenir). 

🤖 Un intérêt algorithmique et économique 

Qu’y a-t-il derrière ces mécanismes automatisés ? Youtube, Facebook, Instagram ou même Twitter proposent tous un fil d’actualités personnalisé, qui t’est propre. Et pour l’alimenter, les algorithmes ont besoin d’outils de mesure, dont le like, qui leur est fourni par… toi-même ! (Numerama) Ces algorithmes mettent en avant les contenus qui cumulent le plus de likes (ce qui peut être manipulé comme on l’expliquait ici au sujet de l’astroturfing), mais surtout ceux qui sont en rapport avec les contenus que tu aimes déjà. Tu l’as bien compris, les algorithmes renforcent complètement ton biais de confirmation. Et plus tu aimes le contenu que tu vois, plus tu restes de temps sur la plateforme (Madmoizelle). 

Comment le like s’intègre-t-il dans le système économique des réseaux sociaux ? En les renseignant sur tes goûts, tes habitudes, tes émotions, facilitant ainsi le ciblage publicitaire, principale source de revenus des réseaux sociaux (Libération, La Dépêche). Plus tu restes longtemps sur une plateforme, plus elle pourra vendre d’espace publicitaire pour te toucher. Selon John Herman du New-York Times, les réseaux sociaux font désormais face au défi d’engager au maximum les utilisateurs déjà présents, pas d’en attirer de nouveaux. Les likes ne sont donc plus une métrique pertinente pour les plateformes. Au contraire, ils représentent pour les internautes un outil de contrôle sur leur fil d’actualité (Slate). 

🤔 Qu’en pensent les plateformes elles-mêmes ?

Paradoxalement, les plateformes sont globalement conscientes des soucis que peut engendrer ce simple bouton “like” sur la santé mentale de leurs utilisateurs. Ce bouton a plusieurs fois été accusé d’exercer une “pression psychologique” sur les utilisateurs, qui peuvent être influencés par des posts cumulant beaucoup de “likes”, inquiet de ne pas en recevoir assez, ou même suivre la “course aux likes”, parfois au péril de leur vie (Futura Sciences, Le Bonbon). Instagram et Facebook ont donc décidé de laisser la possibilité aux utilisateurs de pouvoir masquer leur compteur de like (Siècle Digital), après avoir pensé à généraliser cette mesure (Usbek & Rica). 

Au cours d’une conférence TED, Jack Dorsey, l’ex-patron de Twitter, exprimait même son hostilité au “J’aime”, qui pervertit les utilisateurs et empêche selon lui des discussions saines entre eux. En 2015, le réseau de l’oiseau bleu avait pourtant modifié le bouton initial “favori” (représenté par une petite étoile jaune) par le coeur rouge “j’aime” que l’on connaît actuellement. Pourquoi ? Selon Libération, avec ce changement, “Twitter officialise l’usage du bouton qu’en font ses utilisateurs” : à l’origine, marquer d’une étoile un tweet permettait de “l’archiver”, pour le lire plus tard (Quartz, Libération).

Youtube a, elle, décidé de cacher uniquement le compteur de “Je n’aime pas”, les “dislike”, (le pouce vers le bas) sous les vidéos, jugeant que ce bouton était parfois à l’origine de cyberharcèlement. 

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