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Faut-il se fier aux likes et aux retweets ?

Faut-il se fier aux likes et aux retweets ?

En bref :

Le 28 mai 2021, Associated Press révélait que sur Twitter, des dizaines de milliers de faux comptes chinois partageaient en masse et de manière coordonnée les publications de diplomates et de médias chinois, afin d’en faire monter considérablement l’audience. Ces pratiques ont un nom, l’astroturfing, et sont plus communes qu’on ne peut le croire sur les réseaux sociaux. Elles font même partie de la nouvelle stratégie numérique des politiques, et la France n’est pas épargnée. 

🗒️ À emporter : si le terme peut paraître technique à première vue, ses conséquences peuvent en revanche influencer bon nombre d’internautes sans qu’ils en aient conscience. L’astroturfing est un processus de manipulation de masse, qui profite de la capacité des réseaux sociaux à rendre une information virale. Cette stratégie est difficile à discerner pour l’utilisateur, mais facile à mettre en place pour des marques, des partis politiques et des gouvernements. Face à ces techniques, la modération des réseaux sociaux n’a pas encore de réponse à la hauteur, et compte sur l’aptitude de chacun à en déceler la présence. 

Les faits : 

💡 Qu’est-ce que l’astroturfing ?

– Le réseau d’experts en intelligence économique AEGE définit l’astroturfing comme « une technique qui consiste à simuler la spontanéité d’un mouvement […] de justifier une prise de position en s’appuyant sur ce qui semble être la manifestation d’un sentiment majoritaire.» 

– Pour Fabrice Epelboin, enseignant à Sciences Po et spécialiste des médias sociaux et du web social, l’astroturfing permet de «simuler l’activité d’une foule dans un réseau social». En faisant intervenir de faux comptes, parfois anonymes, cette pratique doit permettre «d’influencer la perception des utilisateurs de la plateforme ou à donner plus de visibilité à un sujet, en fabriquant de façon artificielle sa popularité»

📲 Qui l’utilise ? 

– Entre juin 2020 et février 2021, les tweets de l’ancien ambassadeur de Chine au Royaume-Uni, Liu Xiaoming, ont été partagés plus de 43 000 fois. Mais la moitié de ces retweets venaient de faux comptes, créés spécialement pour cela. 

– Selon Fabrice Epelboin, la Chine est déjà impliquée dans ces pratiques depuis les années 2010 avec son Internet water army, composée de plus de 280 000 fonctionnaires payés pour louer l’action du gouvernement, ou le 50 cent party, constitué de particuliers rémunérés pour manipuler l’opinion publique en faveur du gouvernement chinois. 

– Les techniques d’astroturfing ont également été utilisées par le gouvernement sud-coréen lors des élections présidentielles de 2012, par le Pentagone, par les services de renseignement anglais, et plus anciennement par Richard Nixon. Des entreprises et des industries s’y sont également mises, comme Samsung en 2013, la compagnie de télécommunications canadienne Bell en 2014 ou l’industrie du tabac dans les années 1990. 

– Une enquête du Monde en 2019 a dévoilé que ces pratiques étaient aussi utilisées en France, par les partisans d’Emmanuel Macron et de la République en Marche notamment lors de la campagne présidentielle de 2017.

🤔 Quelles conséquences possibles ? 

– Une des techniques d’astroturfing consiste à «riposter», c’est-à-dire à commenter de manière massive des contenus contraires à la position ou à l’opinion défendue. D’après Le Monde, le parti politique La République en Marche a organisé plusieurs actions coordonnées de ce type en 2017 et 2018, vers des cibles désignées. Le plus souvent, cette «riposte» s’organise sur Twitter, contre des adversaires politiques, mais aussi contre les médias et journalistes. Elle pourrait être contraire à la loi Schiappa du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, puisqu’elle s’apparenterait à du cyberharcèlement, punissable de deux ans de prison et 30 000€ d’amende. 

– Sylvain Laurens, directeur d’études à l’EHESS, alerte sur le fait que ces stratégies d’astroturfing peuvent être employées par des lobbying industriels, jusqu’à instrumentaliser le soutien d’ONG scientifiques, en profitant du biais d’autorité

– Appliqué au commerce, l’astroturfing consiste à créer de toutes pièces des commentaires pour un produit afin de le survendre, ou au contraire d’en faire de la mauvaise publicité. 

🔎 Comment s’en prémunir ? 

– Le site Hoaxy permet de déterminer les comptes derrière de potentielles campagnes d’astroturfing sur Twitter à partir de trending topic (les sujets les plus discutés sur la plateforme à un instant T). 

– Il s’agit d’être prudent lorsqu’un compte qui vient d’être créé, et qui n’a presque rien partagé se met à être fortement actif, comme l’explique Radio Canada, qui donne les clés pour ne pas tomber dans le piège de l’astroturfing

– Pour Anne Brunel, journaliste à France Inter, on peut identifier ces fausses campagnes en observant si «une mobilisation virtuelle a – ou pas – son pendant dans la vie réelle».

– Dans son travail pour l’AEGE, Charles Ponsard détaille les solutions pour détecter la présence d’astroturfing et les réflexes à adopter face à de telles techniques, comme observer la rapidité et la régularité à laquelle sont publiées les informations ou bien la grammaire et le lexique utilisés. 

🤔 Et la modération dans tout ça ?

– La modération des réseaux sociaux face à ce phénomène est encore trop lente. La suspension de ces faux comptes survient après plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Dans son enquête, Associated Press a identifié «28 879 faux comptes ayant retweeté des publications de diplomates et médias chinois près de 200 000 fois avant d’avoir été suspendus.»

– En 2018, une employée de Facebook révèle que le réseau social a délibérément laissé s’organiser pendant 11 mois une campagne de manipulation en ligne coordonnée par le président hondurien Juan Orlando Hernandez dans le cadre des élections présidentielles. 

🤓 Mais d’où vient le terme astroturfing ?

– L’origine de ce terme n’a aucun rapport avec les réseaux sociaux. Il vient d’une marque américaine, Astroturf, spécialisée dans la conception de pelouses artificielles, très ressemblantes à du gazon naturel. Dès l’origine, la manipulation est au cœur du sujet. – Lié à l’expression «grassroots movements», «mouvement issu des racines d’herbes» en français, c’est-à-dire de la base, le terme astroturfingest employé pour la première fois en 1986 par le sénateur du Texas Lloyd Bentsen, pour décrire une situation similaire à celle observée sur les réseaux sociaux, mais avec des courriers !

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