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Pourquoi les influenceurs d’extrême-droite font-ils polémique ?

Pourquoi les influenceurs d’extrême-droite font-ils polémique ?

En bref :

Le 7 juin, le youtubeur toulousain Papacito (Ugo Gil Jimenez à la ville), figure assumée de l’extrême-droite, publiait une vidéo dans laquelle il mimait l’assassinat d’un mannequin présenté comme «gauchiste» et «qui vote pour Mélenchon». Le clip a rapidement été qualifié d’«appel au meurtre» par Jean-Luc Mélenchon, qui a déclaré vouloir porter plainte, rejoint par Fabien Roussel (PCF). Le 9 juin, le parquet de Paris a décidé d’ouvrir une enquête sur cette vidéo. Même si ces nouvelles formes de communication politique n’empruntent pas les codes traditionnels, leur impact n’est pas négligeable. 

🤖 Qui ça intéresse ? Selon nos robots, le sujet résonne tant à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche. 

🗒️ À emporter : cette polémique spécifique jette la lumière sur un mouvement de fond : l’usage très maîtrisé des réseaux sociaux par des militants d’extrême-droite, et le succès qu’ils remportent grâce à leurs contenus diffusés en ligne.

Les faits : 

💻 Sur Youtube, des influenceurs d’extrême-droite

– Papacito est un militant revendiqué de droite patriote et réactionnaire, auteur de plusieurs livres vantant le virilisme et des valeurs supposément issues des combats du Moyen-Âge. Il est co-auteur d’une BD écrite avec Marsault, une autre figure de ce courant politique vantant la violence à outrance, les «valeurs françaises» et rejetant l’immigration ou le «gauchisme». Dans une vidéo pour Valeurs Actuelles, il se présente comme «humoriste» et «polémiste professionnel», mais dans d’autres interview pour le même média et Boulevard Voltaire, il explique vouloir «convertir» les gens «par la blague», «par l’humour», être un passeur des idées conservatrices, contre celles promues par la gauche.

– Sur Youtube, Papacito est suivi de 108k abonnés. Avec d’autres noms comme le Raptor Dissident (706k abonnés) ou Valek Noraj (355k abonnés), il fait partie de ces stars d’une petite frange de la jeunesse au discours extrême. 

– On retrouve dans certains éléments culturels partagés par ces influenceurs et leurs communautés (masculinisme exacerbé, obsession du grand-remplacement, passion pour Fight Club, emoji spécifiques) des similitudes avec l’alt-right américaine et internationale. La spécificité française consiste peut-être à citer des figures comme Alain Soral ou Eric Zemmour, parfois devenus meme (phénomène internet repris en masse) à part entière. 

📣 Nouvel outil politique

– Ces nouveaux influenceurs militants investissent des plateformes telles que les réseaux sociaux, mais aussi des sites internet, des blogs, des forums, et même des jeux vidéos, aux audiences plutôt jeunes et donc avec moins de recul sur le contenu qu’elles consomment.

– Selon un rapport de Demos publié en 2011, à travers ces plateformes, ces nouveaux influenceurs parviennent à capter l’attention des générations qui «ont perdu la foi dans leur gouvernement, les institutions […] et le système judiciaire». Nombreuses sont les études qui soulignent l’habileté de l’extrême-droite à tirer profit des outils numériques pour séduire de nouveaux publics. 

– Auteur de Les grand-remplacés, enquête sur une fracture française, le journaliste Paul Conge décrit l’auditoire des vidéastes d’extrême-droite comme des «petits blancs» auto-revendiqués, fréquentant par exemple le forums «blabla 18-25» de jeuxvidéos.com, partageant une culture commune construite sur leurs usages en ligne. Dans son essai, il explique que les influenceurs comme Papacito mènent un «combat culturel» contre les idées progressistes, de même que la “Nouvelle Droite” (courant de pensée situé entre la droite et l’extrême-droite, impulsé par Alain de Benoist dans les années 1970-1980) avant eux.  

– Ces nouveaux influenceurs politiques sont indépendants, ce qui leur permet de développer en toute liberté leur argumentaire sans crainte de dissolution, comme l’exprime l’une des figures de l’extrême-droite sur TikTok, Estelle Redpill. 

– Les vidéos de ces influenceurs politiques sont fréquemment supprimées par Youtube, et leurs chaînes sont parfois suspendues pour non-respect des règles de la plateforme. La dernière vidéo de Papacito a d’ailleurs été retirée quelques heures après sa mise en ligne. Cela entraîne régulièrement des débats autour de la liberté d’expression.

🗣 ️ Comment mesurer leur influence ?

– Les militants d’extrême-droite restent minoritaires par rapport aux influenceurs d’une nouvelle forme de pop culture Youtube que sont Squeezie (15,9 millions d’abonnés), Cyprien (13,1 M abonnés) ou Norman fait des vidéos (12,1M abonnés). 

– Pour comparer à la présence de la gauche ou de l’extrême-gauche française sur Youtube, on peut citer l’influenceur Usul (189k abonnés sur sa chaîne personnelle), sauf que celui-ci est désormais adossé à un média traditionnel (Mediapart). Thinkerview (816k abonnés) est une autre chaîne notable, quoiqu’elle ne fonctionne pas sur une logique de personnalité qui influence – elle propose de longues interviews, et ses créateurs restent anonymes. 

💢 Nouveaux foyers de radicalisation ? 

“Par radicalisation, on désigne le processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux, qui conteste l’ordre établi”, selon la définition de Fahrad Khosrokhavar adoptée par le gouvernement

– C’est pour sa facilité d’utilisation et d’accès et pour son audience plutôt jeune que Youtube est l’une des plateformes privilégiées des militants. Son algorithme, souvent critiqué, permet «de recruter des partisans, en les attirant avec des contenus modérés, puis en les dirigeant vers des vidéos plus radicales». 

– Les forces de l’ordre surveillent d’autres formes de radicalisation, par exemple celle islamiste, dont les tenants sont eux aussi très habiles en ligne – 187 enquêtes ont été ouvertes dans le mois qui a suivi l’assassinat de Samuel Paty.  

– En mai 2021, la sous-direction antiterroriste relevait que l’extrême-droite violente avait massivement investi plateformes et outils numériques, recrutant des sympathisants «dans une logique de contre-hégémonie culturelle». En 2020, la DGSI surveillait un millier de militants d’extrême-droite pour leur potentiel de passage à l’acte, et entre 1 000 et 2 000 sympathisants. La surveillance de militants d’extrême-gauche est plus difficile à chiffrer – des chercheurs en comptaient tout de même 200“en phase de pré-terrorisme” en 2018.

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[Mise à jour 25 juin 2021 : retrait de Papacito du titre, ajout de précisions sur la manière dont Papacito se présente. ]