Faut-il libérer Britney Spears ?

En bref :

Sous la tutelle juridique de son père Jamie Spears, la popstar Britney Spears a demandé au mois d’avril à s’entretenir directement au tribunal de Los Angeles au sujet du régime qui l’empêche de prendre ses décisions seule. L’annonce de cet entretien a ravivé la campagne #FreeBritney. Animé par des fans de la chanteuse de 39 ans, le mouvement vise à lui rendre son autonomie juridique. Ce 23 juin, la chanteuse a exposé sa vision de la tutelle à laquelle elle est assujettie depuis 13 ans. Elle évoque manipulation et contrôle permanent, médication et contraception forcées et des rythmes de travail effrénés. 

🗒️ À emporter : derrière l’aspect star system qui pourrait pousser à prendre le sujet à la légère, on voit poindre de vraies questions relatives à la santé mentale et l’hospitalisation sous contrainte, aux dynamiques liant médias et célébrités ainsi qu’au sexisme et à la violence de l’industrie musicale. 

Les faits :

🤘 Génération 2000 

– Issue d’un milieu populaire, Britney Spears perce en 1998, à 17 ans, avec le morceau “…Baby one more time”. Sa carrière avait commencé 6 ans plus tôt à la télévision. Aujourd’hui, sa fortune est estimée à 60 millions de dollars.

– Au sommet de sa carrière dans les années 2000, Britney Spears fait partie, avec Lindsay Lohan, Paris Hilton et d’autres, de ces stars américaines dont la vie a été scrutée par les paparazzis. Cette décennie a été marquée par une explosion des tabloïds, aux articles souvent misogynes (la couverture médiatique de la rupture de Justin Timberlake et Britney Spears a par exemple consisté à entacher la réputation de la chanteuse tandis qu’elle améliorait celle du chanteur).

😓 Dépression

– Pour Britney Spears, la période se solde par une dépression, des déboires judiciaires (alcools, drogues, bataille pour la garde de ses enfants) qui se multiplient en 2007 et 2008, et la conduisent à passer plusieurs évaluations psychiatriques. Début 2008, son père Jamie Spears et un avocat sont désignés tuteurs de la jeune femme, c’est-à-dire gérants de ses finances et de sa santé physique et mentale. Pour le psychiatre Jean-Victor Blanc, cela l’a peut-être sauvée du destin d’Amy Winehouse (décédée d’une overdose à 27 ans). 

– Britney Spears a expliqué être atteinte d’un trouble bipolaire et avoir traversé une dépression post-partum, potentiellement accentuée par la pression médiatique – dans le documentaire I am Britney Jean, elle explique qu’à certains moments, elle ne “pouvait sortir de chez elle sans être suivie par 20 voitures”. Sous réserve d’être suivies médicalement, des personnes souffrant de troubles bipolaires peuvent aujourd’hui vivre des vies totalement normales. 

🔎 Fans inquiets

– La première occurrence du hashtag #freebritney remonte au 20 février 2009, quand un fan a posté un article censé montrer que le père de Britney Spears menaçait de la séparer de ses deux enfants. Le mouvement du même nom, lui, ne prend réellement corps qu’en 2019, alors que l’artiste repousse une série de concerts à une date indéfinie et que son activité habituellement régulière sur Instagram cesse pendant trois mois.

– Le mouvement est notamment alimenté par le podcast Britney’s gram, qui diffuse un enregistrement d’une personne se déclarant impliquée dans le montage légal autour de la tutelle de la star et s’inquiète de sa santé et de son autonomie. 

– La propension des fans à chercher à analyser chacun des posts de la star et à ne pas croire ses messages de réassurance se rapproche du comportement de certains adeptes de théories du complot, selon l’historienne et spécialiste du complotisme Marie Peltier, notamment parce qu’ils présentent de nombreux biais de confirmation. 

🕵️ Privation de liberté ? 

– S’il avait été présenté à l’époque comme une solution “temporaire”, le régime de tutelle adopté est normalement réservé aux personnes âgées, aux handicapés mentaux ou aux personnes extrêmement malades. Il a été modifié dès 2008 pour s’étendre indéfiniment. 

– Britney Spears a sorti quatre albums et réalisé plusieurs tournées depuis 2008, ce qui participe à faire douter ses fans de son incapacité mentale. Son dossier médical n’est pas connu, rappelle le New-York Times dans son documentaire Framing Britney Spears.

– En 2016, Jamie Spears percevait 130 000 dollars de salaire annuel pour la gestion des affaires de sa fille, le remboursement de son espace de bureau et 1,5% des revenus des concerts et merchandising de l’artiste à Las Vegas. En 2020, Britney Spears l’a accusé d’avoir dépensé trop de son argent, notamment pour payer ses anciens co-tuteurs légaux. 

– Britney Spears tente depuis 2014 de mettre fin au régime de tutelle. Elle a déclaré à son avocat “avoir peur de son père” et ne plus vouloir de lui comme “co-curateur”. Elle voudrait le remplacer par Jodi Montgomery (curatrice professionnelle), pour les questions de soins mentaux et médicaux, et par une banque pour ses finances. En novembre, le tribunal avait rejeté sa demande d’enlever définitivement Jamie Spears du régime de tutelle – partagé avec le fonds Bessemer Trust.

– Au tribunal, ce 23 juin, la chanteuse a raconté le rythme de travail intense qui lui a été imposé, a expliqué avoir été forcée de changer de médication contre son gré et ne pouvoir profiter d’aucune vie privée ni d’aucune liberté de mouvement à cause d’un contrôle permanent.

– Une nouvelle audition est prévue le 29 septembre. Le 12 août, Jamie Spears a annoncé qu’il était disposé à renoncer à son rôle de tuteur, à son rythme.

On ne saurait vous laisser partir sans vous renvoyer vers ce fameux meme de la fin des années 2000.

[Modifications 28.06.2021 : ajout d’un lien vers la newsletter In Her Words pour explorer la question de la contraception forcée.
05.07.2021 : ajout d’une précision sur la modification du régime de tutelle dès 2008
30.07.2021 : ajout de la date d’audience de septembre
13.08.2021 : ajout de la décision de Jamie Spears ]

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