Dans sa mission pour tâaider Ă dĂ©couvrir de nouvelles sources dâinformations et de nouvelles voix, Flint a dĂ©cidĂ© de te proposer une sĂ©lection de documents, livres, documentaires, podcasts testĂ©s et approuvĂ©s par lâĂ©quipe pour lâĂ©clairage prĂ©cis quâils apportent sur des thĂ©matiques qui traversent lâactualitĂ©. Comme dâhabitude, si tu veux nous en proposer dâautres ou nous pousser Ă travailler sur un sujet, rejoins-nous sur Discord ou commente notre brouillon.
LĂ©gende : đ Livres, guides đ» Ă©mission de radio, podcast đ° articles de presse, đ„vidĂ©o, documentaires, đŹproduction scientifique, đČ quand ça se lit sur les rĂ©seaux sociaux et un sigle ⏠quand câest payant.
13-04
Flint Production
5 infos pour rĂ©flĂ©chir au rĂŽle des images dans lâinformation
1ïžâŁ âLe poids des mots, le choc des photosâ. Câest par ce slogan cĂ©lĂšbre que Paris Match a lancĂ© une de ses campagnes publicitaires Ă la fin des annĂ©es 1970. Ă lâĂ©poque, le magazine perdait du terrain đ° raconte StratĂ©gies : au jeu de celui qui proposerait les images les plus fortes, le magazine Ă©tait menacĂ© par la montĂ©e en puissance de la tĂ©lĂ©vision. Mais pourquoi ça fonctionne si bien, les images, les vidĂ©os ? Plusieurs Ă©tudes, rassemblĂ©es dans đŹcet article de la professeure de psychologie HĂ©lĂšne Joffe dĂ©montrent quâune image a un pouvoir bien plus persuasif que des mots : elle a une charge Ă©motive plus transmissible (rappelle toi lâoutil argumentatif de lâappel Ă lâĂ©motion), elle sâimprĂšgne plus vite dans notre cerveau, elle est plus simple Ă mĂ©moriser et est souvent perçue comme une garantie dâauthenticitĂ© (parfois Ă tort). LâHistoire et lâactualitĂ© donnent des tas d’exemples de ces phĂ©nomĂšnes : la photo de la đ» petite fille brĂ»lĂ©e au napalm par les amĂ©ricains lors de guerre du Vietnam est dĂ©sormais mondialement connue, đ° celle du petit Aidan a fait effet dâĂ©lectrochoc lors de la crise des rĂ©fugiĂ©s syriens⊠Dans lâactualitĂ© brĂ»lante, la photo de đ° la jeune femme enceinte Ă©vacuĂ©e au milieu des dĂ©combres de Marioupol a eu quelque chose de plus choquant que les textes, un effet quasiment viscĂ©ral dans la reprĂ©sentation de lâhorreur en cours en Ukraine.
2ïžâŁ Depuis lâavĂšnement de la tĂ©lĂ©vision, notre paysage informationnel et culturel sâest encore Ă©largi, avec lâapparition du web puis des rĂ©seaux sociaux. Impossible de manquer le rĂŽle central des images sur Instagram, Snapchat ou TikTok. Or ces plateformes sont quasiment indispensables aux mĂ©dias, y compris si ceux-ci ont un ADN fondamentalement Ă©crit (câest ce quâexplique la responsable des rĂ©seaux sociaux du Guardian Ă đ° la Revue des MĂ©dias). En effet, câest sur ces rĂ©seaux que le public se trouve, et lâimage rĂ©pond aux enjeux dâimmĂ©diatetĂ© : pour lâinternaute, il sâagit de savoir et de comprendre en un clin d’Ćil. Dans sa tribune pour đ° Le Monde, Antoine Verdet, directeur marketing de la plateforme de photos Meero, explique que le rĂŽle de lâimage ânâest plus simplement dâinformer, mais dâimmerger son lecteur dans une expĂ©rienceâ.
3ïžâŁ ProblĂšme : Ă ce compte lĂ , il suffirait presque de plaquer une image choc sur un texte qui nâa rien Ă voir pour faire rĂ©agir lâauditoire. Ăa n’a rien de spĂ©cifique Ă lâĂšre numĂ©rique, mais ce type de manipulation a effectivement pris une nouvelle ampleur avec les rĂ©seaux sociaux et joue un rĂŽle non nĂ©gligeable dans le phĂ©nomĂšne des fausses informations. Le site đ° factuel de lâAgence France-Presse regorge dâexemples, mais si tu prĂ©fĂšres les vidĂ©os, regarde đ„ cette chronique de France TĂ©lĂ©visions : elle dĂ©montre comment, en sortant une image de son contexte, on peut lui faire dire Ă peu prĂšs nâimporte quoi. Avec les technologies les plus rĂ©centes, raconte đ° La Revue des MĂ©dias, les deepfakes, qui permettent de truquer trĂšs efficacement des vidĂ©os, inquiĂštent aussi.
4ïžâŁ Mais ne tombons pas dans lâexcĂšs, les images ont aussi une vraie valeur informative et illustrative. Les vidĂ©o- ou photo-reportages permettent dââemmenerâ l’auditoire sur le terrain. Pour la communautĂ© de la recherche en source ouverte, que Sophie Gindensperger đ° te prĂ©sentait il y a quelques jours, les images servent aussi Ă enquĂȘter, trouver, recouper de lâinformation. Enfin, soulignons la grande utilitĂ© de la data-visualisation : une bonne reprĂ©sentation graphique rend quelquefois beaucoup plus simple lâexplication de sujets parfois trĂšs complexes. Pour en voir des exemples, je te recommande les travaux (et les super threads Twitter) de đČ Clara Dealberto et Jules Grandin.Â
Cette question des visualisations dâinformation permet aussi dâillustrer un point important : mĂȘme sans volontĂ© de manipuler, les images vĂ©hiculent des prĂ©jugĂ©s ou des idĂ©es sous-jacentes, ce que lâon illustrait dĂ©jĂ dans đ° cet article. Cette problĂ©matique nâest pas spĂ©cifique aux reprĂ©sentations visuelles, elle est mĂȘme prĂ©sente chaque fois quâil y a choix et hiĂ©rarchisation de lâinformation. Mais ce đČ thread du cartographe Levi Westerveld sur lâĂ©volution du traitement du conflit en Ukraine par le New-York Times montre bien ce que des prĂ©supposĂ©s peuvent faire Ă lâinfo – au dĂ©part, le journal illustrait lâavancĂ©e Russe avec de grosses flĂšches rouges, ce qui laissait imaginer une toute puissance de Poutine face Ă une Ukraine sans dĂ©fense. Au fil des jours, la reprĂ©sentation graphique a Ă©tĂ© affinĂ©e, les mouvements des troupes plus dĂ©taillĂ©s, la dĂ©fense ukrainienne mieux reprĂ©sentĂ©e⊠autant dâĂ©lĂ©ments qui permettent de comprendre que la rĂ©alitĂ© du terrain est bien plus complexe que la vision un peu caricaturale des dĂ©buts.Â
5ïžâŁ La question du rĂŽle des images est fascinante car elle plonge plus loin que dans notre seule consommation dâinformation, pour aller se loger jusque dans les recoins de nos reprĂ©sentations culturelles. Quelles images, quelles idĂ©es nous renvoient films, sĂ©ries, jeux-vidĂ©o, photographies sur le monde ? Sâil est loin dâĂȘtre le seul, le fĂ©minisme a largement explorĂ© ces questions pour mieux comprendre les effets des images sur la reprĂ©sentation quâa la sociĂ©tĂ© des femmes et des hommes. Dans đ BeautĂ© Fatale, lâessayiste Mona Chollet montre par exemple le rĂŽle de la publicitĂ©, du cinĂ©ma et des mĂ©dias dans la perpĂ©tuation dâune vision Ă©triquĂ©e de ce que sont et ce que peuvent les femmes. Vous prĂ©fĂ©rez le choc des images au poids des essais ? Penchez-vous sur la rĂ©cente đ„ campagne de lâassociation Women in Games : pour faire prendre conscience de la perpĂ©tuation de clichĂ©s appliquĂ©s aux personnages fĂ©minins de jeux-vidĂ©o, les membres de lâassociation les ont Ă©changĂ©es avec des figures masculines. Effet visuel garanti !
Pour aller plus loin
- Je te recommande le đŹ carnet de recherches de lâhistorien des cultures visuelles et enseignant Ă lâĂcole des Hautes Ătudes en Sciences Sociales (EHESS) AndrĂ© Gunthert, qui dĂ©cortique frĂ©quemment les significations dâimages fortes de lâactualitĂ©.
- Tu peux aussi lire le đŹ travail de thĂšse de BĂ©nĂ©dicte Langlois, sur la Culture de lâinformation, la culture de lâimage et celle par lâimage dans lâenseignement secondaire.
- Ou encore âManipuler lâimage de presse ?â, des chercheuses en sciences de lâinformation et de la communication Alexie Geers et Audrey Leblanc.